D’où est venue l’idée de créer une série sur Montmartre ?
Aline Panel : D’une discussion entre TF1 et les auteurs d’Authentic Prod, alors en cours d’écriture de la série télévisée Je te promets (2021-2023). Nous venions de finir la troisième saison et nous avions décidé de ne pas faire de quatrième. Nous étions contents d’arrêter en beauté. Comme la série avait rencontré un joli succès d’estime et d’audience, TF1 a souhaité retravailler avec nous et les scénaristes Brigitte Bémol et Julien Simonet. Dans Je te promets, nous avions déjà quelques séquences d’époque, pas en costumes, mais dans la France d’après la Seconde Guerre mondiale. Nous avons eu envie d’aller encore plus loin dans le genre, de se lancer dans une production d’époque ambitieuse.
Pourquoi avoir choisi le quartier de Montmartre comme cadre ?
Parmi les différentes idées en discussion, celle de faire quelque chose autour du Moulin Rouge est ressortie. C’est ce fil que les auteurs ont eu envie de tirer. Compte tenu du contexte et de l’époque que nous vivons actuellement, j’avais envie de quelque chose de lumineux. Cette période du tournant du XXe siècle l’était vraiment. Il y avait des problèmes, bien entendu, et nous les évoquons aussi. Mais il y avait un bouillonnement. Nous étions sur une pente ascendante, tout semblait possible dans cette démocratisation naissante. À la fin de l’époque balzacienne et au début du XXe siècle commençaient à apparaître les premiers mélanges de classes sociales. Il y avait encore beaucoup de pauvreté, d’inégalités, la place des femmes était peu enviable et les homosexuels allaient encore en prison… Mais nous menions des combats qui valaient la peine d’être vécus, parce qu’ils allaient être vaincus. Nous avons voulu nous appuyer là-dessus pour montrer que tout reste possible pour nos concitoyens contemporains. Et, en prime, bien sûr, le côté festif de Montmartre était parfait comme cadre à un divertissement.

Comment avez-vous travaillé pour recréer fidèlement le Paris de 1899 ?
Nous avons fait appel aux conseils d’une historienne, qui a aidé les auteurs. Ils ont beaucoup travaillé en amont pour se documenter et éviter les anachronismes. Il peut y en avoir, mais ils sont volontaires et assumés. Je pense, par exemple, à la basilique du Sacré-Cœur, qui n’était pas terminée en 1899. Mais nous avons choisi de la montrer totalement, pour l’image, en acceptant d’être un peu en avance… Pour le reste, nous avons respecté les lieux et les personnages historiques, de Sarah Bernhardt à Toulouse-Lautrec, en passant par La Goulue. Le personnage de Céleste s’inspire aussi de Blanche Cavelli, l’une des premières danseuses à s’être effeuillée sur scène. Nous avons eu des surprises, comme celle de découvrir que le moteur électrique existait déjà à l’époque, et nous l’avons intégré à l’histoire. Donc le cadre est vrai, et pour le reste, les personnages sont fictionnels.
C’est une production très ambitieuse.
Oui, exactement. Notre chance a été que TF1 nous suive jusqu’au bout. Ils ont investi beaucoup d’argent dans le projet, environ 70 % du budget. TF1 Studios – ex-Newen – a mis un gros minimum garanti pour compléter le financement. Et je veux aussi rendre hommage au CNC qui nous a accompagnés tout du long pour optimiser notre plan de financement. Dans une série d’époque, il y a une promesse au niveau des décors et des costumes. Nous ne pouvons pas faire de miracles avec nos budgets, mais quand nous vendons Montmartre, nous vendons aussi le cabaret. Alors j’ai dit à mes auteurs de mettre le paquet sur le cabaret ! C’est pour ça que nous avons choisi une actrice moins connue, mais avec une vraie formation de danseuse : Alice Dufour, passée par le Crazy Horse et le Cirque du Soleil. Elle est parfaitement légitime pour jouer le rôle de Céleste. Cela dit, il ne faut pas se leurrer : ce n’est pas une série que nous visionnons pour les décors. Nous venons pour les personnages, leurs histoires et l’âme de Montmartre. Nous avons décidé que c’était ce cabaret et ces rues autour. Donc nous avons minimisé le nombre de décors pour optimiser, en recentrant sur le cœur névralgique de la série.
Avez-vous pu tourner réellement à Montmartre ?
Oui, pendant deux jours. Nous avons maximisé cette occasion pour injecter des images du vrai Montmartre dans chaque épisode. Nous avons aussi tenu à filmer des moments iconiques de l’histoire, comme un fameux baiser devant la basilique. Mais tourner sur place, ce n’est pas qu’un problème d’argent : bloquer l’escalier de Montmartre, c’est un vrai défi logistique ! Sans parler des questions de faisabilité, il y a aussi un souci d’authenticité, car il ne reste presque plus rien de l’époque. Donc si c’est pour tout reprendre ensuite en effets numériques…
Avez-vous recréé le quartier de Montmartre en studio ?
Non, cela aurait coûté trop cher. Nous avons construit uniquement le cabaret, son intérieur et son hall d’accueil. Ensuite, nous avons réaménagé une rue de l’hôpital psychiatrique désaffecté de Ville-Évrard, en décorant avec des façades d’échoppes et la devanture du cabaret, pour filmer les entrées et sorties depuis la rue.

Comment avez-vous conçu les séquences de spectacle de cabaret ?
Nous ne sommes pas tout à fait dans le style de l’époque, qui était quand même très corseté et un peu monotone. Nous avons pris des libertés pour créer quatre chorégraphies, qui jouent un rôle narratif à chaque fois. Par exemple, la première, « Babylon », montre les enjeux auxquels Céleste est confrontée et les répercussions de sa mise à nu. Nous ne voulions pas de spectacles « cartes postales », qui puissent être coupés sans que cela ne change rien à l’histoire. Ces moments sont presque des métaphores de la dramaturgie qui se développe. C’est la première fois que je monte un spectacle comme celui-là, à côté de la préparation d’un tournage : c’est presque une production dans la production ! Il a fallu trouver un chorégraphe et un corps de danseuses. Johan Nus a donc rejoint le projet avec ses danseuses. Ensuite, il a fallu planifier les répétitions. Pour Alice Dufour, cela n’a pas posé de problème, car elle a une vraie formation de danseuse professionnelle. Mais Roxane Turmel, qui joue sa meilleure amie, n’avait jamais dansé. Elle a beaucoup travaillé pour pouvoir exécuter elle-même son french cancan sur scène. Il a fallu organiser des journées dans le plan de travail, durant lesquelles les filles pouvaient répéter, caler des jours off dans les décors, mais sans tournage, pour répéter les chorégraphies, etc.
Et pour la mise en scène du spectacle ?
La caméra est immersive. Nous ne faisons pas une simple captation. Les caméras sont dans la salle, sur scène, filmant les danseuses mais aussi le public, ce qui peut être d’ailleurs frustrant. Nous avons essayé d’allier les deux au montage : offrir une vision globale du spectacle tout en restant dans un film où les personnages vivent et ressentent le moment.
Montmartre, en 8 épisodes, à voir sur TF1

Créée par Brigitte Bémol et Julien Simonet
Scénaristes : Brigitte Bémol et Julien Simonet
Avec Alice Dufour, Victor Meutelet, Claire Romain…
Productrices : Aline Panel et Estelle Boutière
Réalisateur : Louis Choquette
Sociétés de production : Authentic Prod, TF1 Production
La série a bénéficié du Fonds de soutien audiovisuel (Aide automatique à la production) du CNC.