Emma de Caunes : de « Neuf meufs » à « Neuf mecs »

Emma de Caunes : de « Neuf meufs » à « Neuf mecs »

24 mars 2022
Séries et TV
Yannick Renier dans « Neuf Mecs » d'Emma de Caunes.
Yannick Renier dans « Neuf Mecs » d'Emma de Caunes. Alessandro Clemenza/Studiocanal Original/Majie Films/Canal+
Un an après la série Neuf meufs, Emma de Caunes a imaginé – toujours avec son coauteur Diastème – son pendant masculin. Neuf épisodes – et un unitaire de 90 minutes – célébrant la sensibilité du sexe « fort » et portés par le désir de mettre en avant de nouvelles têtes. Pour le CNC, la scénariste et réalisatrice revient sur cette expérience.

Quand est née l’idée de Neuf mecs ?

J’y ai pensé dès le tournage de Neuf meufs. Dans une idée de série-miroir, de complémentarité et non d’opposition entre les sexes. C’est pour la même raison d’ailleurs que, dans Neuf meufs, j’avais tenu à accorder une attention particulière aux personnages masculins. À les montrer touchants et fragiles. La série a été diffusée en février 2021 et j’ai proposé l’idée de Neuf mecs à Canal+ dans la foulée. Dès avril, j’ai eu leur feu vert et je suis repartie en écriture avec Diastème.

Comment vous répartissez-vous le travail ?

Cette fois, Diastème était en pleine finition de son nouveau long métrage, Le Monde d’hier [En salles le 30 mars, NDLR], mais on fonctionne toujours de la même manière. On commence par se mettre d’accord sur une situation et l’enjeu de chaque épisode. On se connaît tellement que les échanges sont fluides. Ce sont les mêmes conneries qui nous font rire ! Diastème excelle vraiment dans les dialogues et possède un vrai sens de la comédie qui est tout aussi central dans Neuf mecs que dans Neuf meufs.

Quelle a été votre ligne directrice d’écriture pour cette deuxième série ?

Parler d’une masculinité qui ne se résume pas à de la virilité. J’ai pu observer depuis quelque temps que #Metoo a créé chez les hommes que j’aime et qui m’entourent un sentiment d’inconfort dans leur rapport de séduction avec les femmes. Je ne parle évidemment pas de l’aspect vertueux essentiel de #Metoo et de ces hommes qui ont été rattrapés pour leurs actes délictueux. Mais la question basique « c’est quoi être un homme aujourd’hui ? » a évolué. J’avais envie de m’en emparer en imaginant des portraits un peu inattendus, des hommes plus vulnérables.

Je voulais montrer – sans évidemment en faire une généralité – combien souvent, par rapport aux femmes, l’expression des sentiments est plus pudique, plus en retenue chez eux.

Est-il plus complexe pour vous d’écrire des personnages masculins ou la question du genre ne change absolument rien ?

Honnêtement, au moment de me lancer, j’étais un peu pétrifiée. Écrire pour des hommes n’a rien de simple chez moi ; ça ne me vient pas aussi naturellement que de développer des personnages féminins. Mais j’ai pu compter une fois encore sur Diastème. Et puis j’avais tout de même quelques idées de base sur lesquelles on allait s’appuyer. J’ai ainsi voulu avoir un panel d’âge, comme dans Neuf meufs. Montrer – parce que j’y crois ! – qu’il existe encore des jeunes romantiques, contrairement aux idées reçues ou la manière dont on les décrit trop souvent. Parler de sexualité. Mais aussi d’acceptation de la sexualité avec ce garçon dont la mère est persuadée qu’il est gay et qui est catastrophée quand elle comprend qu’il est hétéro. Passer par l’humour pour distiller des messages aussi simples que la nécessité d’accepter l’autre tel qu’il est. Mais au-delà de ces thématiques, Neuf mecs est née aussi – comme Neuf meufs – de l’envie de travailler avec des acteurs.


Des acteurs pour la plupart inconnus ?

C’était essentiel à mes yeux. Pour y parvenir, il y a évidemment eu un gros boulot de casting avec Juliette Ménager et Nicolas Derouet – qui étaient déjà présents sur Neuf meufs. Mais je m’y suis employée aussi en assistant aux travaux de fin d’année de l’École du jeu, une école de théâtre géniale créée par Delphine Eliet. Je me suis fait plus confiance que sur Neuf meufs en allant jusqu’au bout de mes intuitions. Mais trouver certains rôles a été particulièrement complexe. Je pense à l’épisode où deux amis se surprennent à avoir une attirance physique l’un pour l’autre qu’ils n’arrivent pas à contrôler. Je dirai que 80% des acteurs de 17-18 ans que nous avons rencontrés nous ont expliqué qu’ils n’embrasseraient pas un autre mec à l’écran. Par crainte des réactions de leurs potes ou de leur famille. Ça raconte quelque chose de notre époque…

Pourtant, jamais dans l’écriture de cette situation, je n’ai voulu être dans la provocation mais, à l’inverse, dans la tendresse et l’innocence de ce moment de la découverte de la sexualité.

Les comédiens occupant une place centrale dans la série, comment cela se traduit dans votre manière de travailler avec eux ?

Cela passe par un travail en amont. Même s’il paraît toujours trop court. Je l’avais déjà exigé sur Neuf meufs et j’ai fait pareil ici. Tout cela vient évidemment des expériences que j’ai pu vivre comme actrice. Échanger avant de se retrouver sur le plateau avec celui ou celle qui va vous diriger est indispensable. Encore plus dans le cas d’une série comme Neuf mecs où l’on ne dispose que deux jours de tournage par épisode. Ce n’est pas sur le plateau qu’on va commencer à se poser des questions. Il faut les avoir réglées avant. J’ai donc demandé et obtenu une journée de répétition par épisode. Elles furent intenses mais toutes très efficaces.

Comme Neuf meufs, Neuf mecs est une série en neuf épisodes, ainsi qu’un unitaire de 90 minutes. C’est un exercice complexe de dédoubler les choses ?

Il faut savoir que Neuf meufs était au départ un long métrage que je n’avais pas réussi à financer. Quand Canal+ a accepté que j’en fasse une série, j’ai évidemment transformé certaines histoires pour rentrer dans ce cadre, notamment pour tenir l’unité de lieu. Mais l’idée du récit tout entier contenu en une journée était déjà au cœur du projet. Cet aller-retour entre unitaire et série était donc présent dès le départ. Mais sur Neuf meufs, je n’avais pas assez anticipé les saynètes qui devaient servir de lien pour construire l’unitaire de 90 minutes. Je les ai tournées vraiment à l’arrache. Sur Neuf mecs, forte de cette expérience, j’avais plus de matière, plus de liens créés entre les personnages. Il n’empêche que ce sont des exercices totalement contradictoires. Pour chaque épisode de dix minutes, il faut réussir le pari de rendre très vite les personnages suffisamment intrigants ou attachants. Alors que pour le 90 minutes, on va à l’inverse chercher à étirer le temps. C’est un travail schizophrène mais passionnant. Même si on court toujours après le temps. J’aurais ainsi adoré avoir un mois de pause entre le tournage et le début du montage, mais ça n’a pas été possible. J’ai enchaîné dès le lendemain !

NEUF MECS

Réalisation : Emma de Caunes
Scénario : Emma de Caunes et Diastème
Photographie : Nicolas Bordier
Montage : Thomas Glaser
Production : Majie Films, StudioCanal
Diffusion : Canal+.