Pourquoi avoir choisi de transposer l’univers adolescent, cher à la plateforme Slash, dans un cadre carcéral ?
Marine Colomies : Nous avions envie avec Pierre Hervé, avec qui je travaille au sein de la société de production La Méridienne de créer une série carcérale, plus précisément sur les mineurs incarcérés, une population très peu représentée en fiction en France – pour ne pas dire jamais. Nous voulions aussi collaborer avec Marine Maugrain-Legagneur : nous avions en effet beaucoup aimé sa série Mental (2019).
Marine Maugrain-Legagneur : Ce projet m’a parlé tout de suite, parce que la tonalité me donnait envie. Et aussi parce que la prison est un lieu qui m’intéresse tout comme le public adolescent. J’ai donné des cours en maison d’arrêt quand j’étais étudiante, j’en garde un souvenir assez fort. Nous sommes partis sur une comédie qui – un peu comme Mental – ne s’interdit pas d’être irrévérencieuse, mais qui repose sur un fond sociologique assez juste. En particulier sur des jeunes gens au parcours heurté et difficile.
Qu’est-ce que la prison dit de cette jeunesse qu’on voit peu ailleurs ?
Marine Maugrain-Legagneur : Nous avions envie de montrer qu’il s’agit d’abord, et avant tout, d’adolescents. Comme dans Mental, nous faisons leur connaissance en tant que jeunes avant de les rencontrer comme détenus. Nous ne savons pas tout de suite pourquoi ils sont incarcérés, pour nous c’était secondaire. L’idée, c’est d’humaniser cette jeunesse enfermée à cause d’un parcours compliqué. Ce sont des ados comme les autres, pour qui la prison n’est pas une fin, mais un passage pour avancer ensuite vers autre chose.
Marine Colomies : Il y a cette idée de réhabilitation en filigrane, mais ces jeunes ont les mêmes problématiques, même si les conditions sont particulières, que les autres ados. Nous retrouvons les mêmes enjeux autour de l’amitié, de l’amour, etc. Comment se construit-on dans un environnement aussi hostile, qui nous renvoie sans cesse nos échecs à la figure ?
Zonz mélange comédie et récit carcéral. Qu’est-ce qui vous intéressait dans ce décalage de ton ?
Marine Colomies : Il était présent dès l’écriture. Il y avait cette volonté de se placer à hauteur d’ado. Par exemple, le personnage d’Alice a une imagination débordante, elle voit des choses dans le décor, et tout un langage se crée autour de cela.
Marine Maugrain-Legagneur : Ces jeunes sont au début de leur vie. D’une certaine manière, la prison est un passage. Nous avons cherché une forme d’énergie dans le dynamisme de l’adolescence. Dans une prison, comme dans la vie, on rit, on pleure, et parfois de l’absurde surgit. Rien n’est jamais totalement noir ou blanc…
Quelles ont été vos inspirations ?
Marine Maugrain-Legagneur : Nous avons puisé dans des comédies anglaises comme celles de Guy Ritchie ou Edgar Wright, des comédies pop avec des esthétiques affirmées. Ces cinéastes n’hésitent pas à mélanger comédie, thriller et violence. Nous avons cherché à créer une expérience ludique et généreuse. Mais en même temps, nous ne voulions pas qu’elle se fasse au détriment des personnages, ni de ce qu’ils vivent. La comédie ne devait pas effacer l’émotion. À un moment, elle nous embarque dans cette histoire d’évasion délirante, et parfois, elle laisse la place à ce que vivent réellement les personnages.

Il y a dans la série une énergie folle, dans l’écriture et la mise en scène. Comment avez-vous travaillé son rythme ?
Marine Colomies : Nous avons voulu nous appuyer sur l’humour du montage, avec des associations de plans inattendues, des plans « commentaires » qui illustrent l’imaginaire des personnages. Nous avons vraiment joué cette carte du montage très dynamique, en posant dès le départ une grammaire visuelle très précise, avec nos références : Guy Ritchie, Edgar Wright, mais aussi Skins ou Misfits.
Marine Maugrain-Legagneur : Avec Alice, la série a un personnage principal qui projette ses pensées dans le décor. Nous avons donc beaucoup travaillé sur la matérialité des effets. En parallèle, la série est assez méta et se permet des surimpressions. L’objectif était d’aller chercher la surprise dès que nous le pouvions.
Comment avez-vous conçu les personnages ?
Marine Maugrain-Legagneur : Nous les avons d’abord pensés comme des ados. Nous sommes partis de ce que nous voulions dire sur l’adolescence enfermée. Ensuite, nous avons réfléchi à ce qu’ils avaient pu faire pour être incarcérés. Notre héroïne, Alice, est le point d’entrée du spectateur : elle découvre l’arène, ses règles, ses codes. Comme elle, le spectateur arrive avec des préjugés sur ceux qu’elle va rencontrer. Peu à peu, elle les déconstruit. Pour chacun d’eux, nous avons tenu à les asseoir dans des parcours de vie qui nous semblaient importants. Gabin, par exemple, est inspiré du Scum d’Alan Clarke (1979), un film qui nous a beaucoup marquées. Hacine est en échec scolaire, en colère permanente, avec ce sentiment de ne jamais être à sa place. Reem est une mineure étrangère non accompagnée, qui a traversé la Méditerranée sur un bateau avant de vivre dans la rue. Sa violence vient de ce parcours. Rose et Killian, eux, sont plus poétiques, presque en décalage.

Comment s’est déroulé le tournage de la série ?
Marine Maugrain-Legagneur : C’était très intense. Nous n’avions que 45 jours de tournage, avec jusqu’à neuf minutes utiles par jour à filmer. Beaucoup de plans. L’étalonneur nous a dit que nous avions fait jusqu’à 600 coupes par épisode… soit 50 % de plus qu’un long métrage classique ! (Rires.) Il y avait énormément de matière à sortir. Il fallait avancer, ne pas se disperser. Donc oui, un peu de tension, mais surtout un super esprit de bande.
Marine Colomies : Les jeunes du casting se sont vraiment investis. Une alchimie s’est créée entre eux. Nous avions organisé une petite résidence avant le tournage pour qu’ils se rencontrent et fédérer le groupe. Elle a très bien fonctionné.
Où avez-vous tourné ?
Marine Colomies : Nous avons tourné à la maison centrale de Clairvaux (Aube), dans le Grand Est. C’est un bâtiment réel, qui a accueilli des détenus comme Carlos ou Guy Georges, et qui a fermé ses portes un an seulement avant le début du tournage de Zonz…
Zonz, 8 épisodes de 30 minutes, disponibles sur France.tv slash

Créée par Marine Maugrain-Legagneur, Quentin Pissot et Alicia Pratx
Réalisée par Marine Colomies et Marine Maugrain-Legagneur
Produite par Pierre Hervé (La Méridienne)
Avec Mona Claude, Roman Doduik, Adem Benosmane, Camille Chamoux, Fauve Hautot et Nicole Ferroni
Soutiens sélectifs du CNC : Fonds de soutien audiovisuel (aide à la préparation et aide à la production)