Vous avez reçu deux prix au Festival de la fiction de La Rochelle. Est-ce que ça aide à lancer une série ?
Emmanuelle Destremau : Ces récompenses mettent un petit focus sur la série, c’est certain. D’autant que nous sommes arrivés dans ce festival avec un objet télévisuel un peu décalé. Nous ne savions pas trop comment il serait accueilli. Le succès à La Rochelle nous a détendus. Nous avons vu que la série parlait au public.
Bruno Merle : Dans les festivals, nous nous prenons au jeu. Quand nous gagnons à la fin, nous sommes contents !
Comment avez-vous imaginé le concept d’Extra-lucide, qui explore l’idée de la télépathie ?
Emmanuelle Destremau : Bruno avait imaginé un long métrage sur cette idée d’un homme capable de lire dans les pensées mais le projet ne s’est pas fait. Il est resté sur l’étagère et un jour, Bruno en a parlé au producteur Jonathan Blumental (Prélude). Ils ont réfléchi à en faire une série. Ensuite, avec Bruno, nous avons transformé le personnage central en femme, ce qui nous a permis de repartir à zéro dans l’écriture.
Bruno Merle : Cela a relancé mon enthousiasme et mon désir de retravailler ce sujet.
Quel était justement le désir initial derrière ce concept ?
Bruno Merle : Toutes les possibilités comiques liées à la télépathie. C’est le premier réflexe. Et puis avec Emmanuelle, une fois que nous avons épuisé ce champ des possibles, nous avons commencé à réfléchir à ce que nous avions vraiment envie de dire. Nous sommes allés chercher des concepts un peu plus enfouis. Chaque épisode soulève une thématique. Pénétrer la vérité profonde de l’inconscient de l’autre, qu’est-ce que ça nous raconte du vivre ensemble ? De l’altérité ?
Emmanuelle Destremau : La série permet de brosser un portrait de la société assez vaste. Parce que Denise, notre héroïne, peut aller dans la tête de n’importe qui.
Comment écrit-on une série sur un superpouvoir sans tomber dans le style Marvel ?
Bruno Merle : Emmanuelle et moi ne sommes pas tellement lecteurs de comics Nous n’expliquons jamais pourquoi notre héroïne a ce superpouvoir. Il n’y a pas de morsure d’araignée bionique. Mais nous avons quand même gardé certains codes du genre : elle porte, elle aussi, une forme de costume en permanence. Et nous faisons tout un épisode sur cette idée classique : « Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités. » Denise se demande si elle ne devrait pas faire le bien avec ce pouvoir. Nous sommes baignés dans la culture du superhéros, que nous soyons fans ou pas. Nous avons donc assumé tout ça. Mais nous, notre matière reste l’intime.
Emmanuelle Destremau : Nous envisageons plus ce pouvoir comme un sixième sens, presque littéral, quelque chose de très sensoriel. Et nous avons plutôt voulu nous demander ce que Denise ressent dans son corps, comment on se construit avec un tel pouvoir quand on est enfant. Nous mettons la loupe sur Denise et moins sur l’archétype.
Denise cherche quand même à aider l’autre avec son pouvoir. Comment avez-vous construit le personnage ?
Bruno Merle : Nous avons essayé d’imaginer ce que c’est que d’être enfant avec ce pouvoir. Cette petite fille qui n’a jamais eu la possibilité de croire au Père Noël. Elle n’a jamais pu croire aux mensonges des adultes. Et rien que ça, ça construit grandement un personnage. Ensuite, le risque aurait été d’en faire une nihiliste et nous ne le voulions pas. Nous avons décidé très vite de montrer qu’il y avait de la beauté dans l’être humain.
Aimeriez‑vous avoir ce pouvoir de lire dans les pensées des autres ?
Bruno Merle : Je crois que la série répond pour nous… (Rires.) Non, c’est probablement l’enfer. Et encore, notre Denise a le choix d’entendre ou de ne pas entendre. Elle doit activer son pouvoir pour qu’il fonctionne. Être télépathe en permanence, c’est l’hôpital psychiatrique à coup sûr ! Donc la vraie question, c’est : si nous avions ce pouvoir, pourrions-nous nous empêcher d’aller piocher dans la tête des autres ? La série met surtout en avant la nécessité du jardin secret. La beauté des secrets et des mensonges. Parce que se raconter des histoires, c’est utile. La réalité brute et froide a aussi ses limites.
L’univers visuel de la série est très singulier. Comment avez-vous pensé la mise en scène ?
Bruno Merle : Dans Extra-lucide, nous entendons les pensées des gens. Il y a beaucoup de dialogues, de concepts, d’idées. C’était donc important que ce soit aussi une série qui passe par les sens, et pas seulement une série cérébrale. Nous voulions y insuffler une esthétique forte, avec des couleurs tranchées et une belle lumière. Cet appartement est un peu un cerveau en lui-même. Il est très grand, avec plein de couloirs, comme un écho à la scène du début de la série dans laquelle nous pénétrons dans l’inconscient. Quand on se lance dans un huis clos de trois heures, on joue avec l’enfermement, mais il ne faut pas que ça tourne à l’étouffement, que les spectateurs se lassent de ce décor.
Emmanuelle Destremau : Et puis cet appartement est un personnage en soi. Il raconte des choses sur la progression de nos personnages.
Pourquoi avoir choisi de faire un huis clos ?
Bruno Merle : Au-delà des raisons financières liées à l’économie d’une série comme Extra-lucide, nous avions surtout besoin de réduire le monde de Denise. Il fallait limiter le champ des possibles. Sinon, la tentation est trop grande de l’envoyer à l’Élysée voir ce qui se passe dans la tête du président de la République. En réduisant la taille du monde, cela permet de ne pas se disperser et de rester concentré sur quelques lignes dramatiques.
Que voudriez-vous que les spectateurs retiennent de la série ?
Bruno Merle : Son originalité. Sa liberté. Et aussi que la solution est dans l’autre, même s’il ne nous ressemble pas forcément.
Emmanuelle Destremau : Le ludique est aussi essentiel. C’est très présent dans notre écriture, j’espère. Dès le premier jour, nous avons voulu en faire un objet qui pétille, que ce soit comme un grand jeu, pas quelque chose de trop cérébral. Nous nous sommes vraiment astreints à écrire des scènes amusantes à faire jouer à nos acteurs, car tout est très dialogué.
Y a-t-il des directions que vous aimeriez encore explorer avec Denise par la suite ?
Bruno Merle : Dès l’écriture, nous avions des envies. Et comme le dernier épisode se termine sur une ouverture, avec une séquence post-générique, cela donne des perspectives. De toute façon, je crois qu’écrire une série, c’est toujours rêver une saison 2. Qu’elle se fasse ou pas, cela fait partie de la grammaire de l’écriture sérielle.
Emmanuelle Destremau : Le concept est fort et il peut parfaitement se télescoper avec un autre personnage. Rien ne dit que Denise est la seule avec ce pouvoir…
Extra-lucide, saison 1 en 6 épisodes, à voir sur OCS/Ciné +
Créée et écrite par Emmanuelle Destremau et Bruno Merle
Réalisée par Bruno Merle
Avec Camille Rutherford, Sabrina Ouazani, Antoine Chappey…
Sociétés de production : Prelude, Jack n’a qu’un œil, OCS Signature
Musique : Arnaud Jollet et Ruppert Pupkin
Soutien sélectif du CNC : Fonds de soutien audiovisuel (Aide sélective à la fiction)