« Histoire bruyante de la jeunesse (1949-2020) », un dense travail d’archives

« Histoire bruyante de la jeunesse (1949-2020) », un dense travail d’archives

26 novembre 2020
Séries et TV
Histoire bruyante de la jeunesse (événements de mai 1968) d'Aurélie Gégan et Marie Durrieu
"Histoire bruyante de la jeunesse (événements de mai 1968)" d'Aurélie Gégan et Marie Durrieu Yami 2 - Alamy - ARTE FRANCE - ARTE G E I E
Dans ce documentaire, diffusé ce jeudi à 23h10 sur Arte (et déjà disponible sur Arte.tv), Aurélien Guégan et Marie Durrieu retracent les différents révoltes de la jeunesse de 1949 à nos jours. Interview croisée sur leur important travail d’archives.

Dans quel cadre a été réalisé ce documentaire ?

Aurélien Guégan : La société Yami 2, pour laquelle j’ai travaillé comme monteur sur d’autres films, est à l’origine du projet dans lequel s’inscrit notre documentaire. Lancé en partenariat avec Arte, ce dernier s’appuie sur une consultation des téléspectateurs par l’intermédiaire d’un questionnaire appelé « Il est temps » et diffusé dans un certain nombre de pays. Ce questionnaire a ensuite donné lieu à des programmes pour la télévision sur la génération d’aujourd’hui et la jeunesse. On nous a ainsi confié le film d’archives.

Pourquoi ne pas avoir entrecoupé les archives avec des interviews de spécialistes ou d’historiens ?

Marie Durrieu : Ne pas avoir de témoignages ou d’interviews est vraiment un choix éditorial de notre part. Avec Aurélien, nous voulions que ceux qui donnent leur avis sur la jeunesse ne soient pas des spécialistes ou historiens, même si nous avons beaucoup lu en amont des essais sur le sujet. Mais nous voulions que les jeunes de chaque époque parlent à la première personne, ce qui nous permettait d’être à leur hauteur et de ne pas avoir de distance critique avec les différentes époques.

Aurélien Guégan : Au tout début du projet, avant même d’élaborer quelque chose, nous nous sommes demandés à quoi allait ressembler le film. Mais assez vite, nous avons compris que peu importe les dispositifs et la mise en scène choisis, nous ne voulions pas aller vers des experts et un format classique de documentaire pour la télévision. Nous ne voulions pas être dans un décalage temporel permanent entre celui qui parle aujourd’hui et ce qu’il raconte. Nous avons donc évacué petit à petit cette idée même de faire appel à des intervenants.

Comment ont été choisies les archives ?

Marie Durrieu : L’écriture s’est faite en étroite collaboration avec le travail d’archives. En écrivant, nous regardions beaucoup de documentaires et nous avons consulté énormément d’archives pour savoir si ce que nous voulions raconter existait en images. Nous nous imaginions des situations et des personnages alors qu’il n’y avait parfois pas grand-chose sur eux. Nous avons donc fait un premier travail de défrichage d’archives en parallèle de l’écriture. Nous avons ensuite avancé main dans la main avec la documentaliste qui a fait un travail monumental de recherche d’archives.

Aurélien Guégan : La première trame faite par Marie était purement historique et rassemblait les thématiques que nous voulions faire émerger, telles que les questions de genre, l’antiracisme, le féminisme… Cette première base de travail extrêmement fournie nous a permis de commencer à séquencer le film et de faire un certain nombre de choix. Elle a également guidé le travail réalisé avec la documentaliste pour élaguer progressivement le film. S’il est aujourd’hui toujours très dense, il l’était mille fois plus avant.

Marie Durrieu : En commençant ce travail de recherche, nous savions que nous avions des sortes de garde-fous assez forts pour toujours allier le politique et le culturel et toujours regarder cette histoire de jeunesse depuis un point de vue assez contemporain. La manière de parler de la voix-off et les mots qu’elle choisit sont ainsi très actuels.

Comment s’est fait le dialogue entre les archives de mouvements sociaux ou de concerts et les séquences de films qui entrecoupent ce documentaire ?

Aurélien Guéguan : Ce dialogue n’a pas été si intellectualisé que ça. Il y avait des séquences assez déterminées sur le cinéma, comme celle sur la Nouvelle Vague. Nous savions que nous allions mettre une articulation à ce moment-là pour traiter ce sujet d’une certaine manière. Pour les autres extraits de films, il s’agit davantage de pastilles pour faire résonner une époque avec une image, comme des fenêtres sur une période donnée qui sont dans la continuité du récit. C’est un mille-feuille de références perpétuelles.

Marie Durrieu : Comme l’explique Aurélien, nous n’avons pas intellectualisé sur le moment mais nous avons vraiment déplié plein de possibilités narratives sur les moyens de lier politique et culture. Pour la partie sur Mai 68 par exemple, un musicien va nous raconter l’histoire politique à travers sa musique tandis que les extraits de la Nouvelle Vague peuvent évoquer des faits culturels.

Le cinéma est un support d’identification très fort pour la jeunesse. On le voit d’ailleurs avec la séquence rassemblant James Dean et Marlon Brando. Il est intéressant de voir comment des images d’archives documentaires et de cinéma inspirent les jeunes dans leur manière de bouger et de parler.

Le documentaire est très dense et évoque les années 1949 à 2020 en deux parties de 52 minutes. Pourquoi ne pas avoir envisagé un format plus long ?

Aurélien Guégan : Il y avait des garde-fous. Histoire bruyante de la jeunesse reste un film de commande et nous avons travaillé avec Arte depuis le début. Nous avons écrit un certain nombre d’intentions mais nous savions aussi qu’Arte avait une attente très forte sur le volet culturel. Il ne fallait pas trop tomber dans la sociologie ou trop évoquer les contextes politiques des époques traitées. Pour la séquence sur Mai 68 par exemple, la chaîne ne voulait pas que le film traite cette période comme un point d’orgue car ça avait déjà été fait un certain nombre de fois. Comment faire alors ? Il fallait se lancer à un moment donné et faire confiance aux associations qui ont donné un prisme et un regard sur ce moment de l’histoire. La musique ou les faits culturels ont en eux un germe symbole de leur époque, c’est ce qui fait aussi progresser le film.

Marie Durrieu : Nous savions dès le départ que le film ne devait pas dépasser les 2x52 mn. Nous nous étions donc dit que chaque séquence, peu importe l’époque, devait durer entre 2mn30 et 3 mn. Mais cette contrainte de base a donné lieu à un film dans lequel la vitalité de la jeunesse se transmet. On ne voit jamais mourir nos personnages ou les mouvements évoqués. Nous sommes toujours dans une transmission d’énergie ce qui donne une rythmique et une cadence au film.

"Il est temps"

L’opération « Il est temps » a été lancée au printemps dernier par les 3 pôles d’ARTE (ARTE France, ARTE Deutschland, ARTE GEIE), NHK World, Upian, Yami 2, On est prêt et Basis Berlin. Ce projet transmédia a démarré par une enquête en ligne « élaborée par une équipe franco-allemande de sociologues » pour découvrir la « vision du monde de demain des citoyens français, allemands et d’autres pays ». Plus de 400 000 personnes ont répondu à ce questionnaire et ces réponses ont servi de sources d’inspiration à de jeunes documentaristes allemands et français pour « filmer leur génération face aux défis d’un monde en plein bouleversement ». Ces films sont diffusés sur Arte depuis le 24 novembre et jusqu’au 27 novembre. Cette programmation spéciale conclut cette initiative marquée également par divers événements en ligne.

Histoire bruyante de la jeunesse (1949-2020) a été soutenu par le CNC