"Possessions" (Canal+), un thriller entre réel, mythes et superstitions

"Possessions" (Canal+), un thriller entre réel, mythes et superstitions

02 novembre 2020
Séries et TV
Imri Biton (Eran) et Nadia Tereszkiewicz (Natalie) dans l'épisode 1 de Possessions
Imri Biton (Eran) et Nadia Tereszkiewicz (Natalie) dans l'épisode 1 de "Possessions" Vered Adir - Haut et Court TV - Quiddity - Canal+

Jeune Française installée en Israël, Natalie (Nadia Tereszkiewicz) est accusée d’avoir poignardé à mort son mari le soir même de leurs noces. Karim (Reda Kateb), un diplomate français chargé d’aider ses compatriotes en difficulté, se plonge dans l’histoire de Natalie et de sa famille pour comprendre. Tel est le postulat de départ de Possessions, série franco-israélienne créée par Shachar Magen, lancée ce lundi soir sur Canal+. Rencontre avec son réalisateur, Thomas Vincent.


Qu’est-ce qui vous a attiré dans le scénario de Shachar Magen ?

Lorsque je lis un scénario que l’on me propose, ça se joue sur un autre niveau que le seul intérêt ou l’efficacité. Il faut qu’à un moment je me connecte émotionnellement au script au-delà de ses qualités intrinsèques. Un peu comme un mariage : on rencontre des tas de personnes plus ou moins sympathiques, plus ou moins belles, et on tombe amoureux de certaines. Mais ce n’est pas forcément la somme de leurs qualités qui fait qu’on les aime. C’est un peu pareil pour un scénario. Ici, le déclic est arrivé au bout de 15 ou 20 pages, lorsque je me suis rendu compte que c’était un western, mais version « polanskienne ». Je n’avais jamais vu ça avant et ça m’intéressait.

Un aspect du scénario me rappelait Rosemary’s Baby, avec ce personnage féminin à la fois mystérieux et inquiétant dont on ne sait pas s’il est une victime ou non.

Et avec cette ambiguïté et cette morbidité assez érotique, mais transposée dans un univers de western marqué par le désert et l’aveuglement du soleil. Ces éléments m’ont donné envie de réaliser cette série, même si d’autres aspects plus rationnels sont entrés en compte.

Que vous a inspiré la ville de Beer-Sheva qui est au cœur de la série ?

Je connaissais déjà Israël, mais je n’étais jamais allé dans ce coin-là. J’ai découvert grâce à Internet cette ville nouvelle qu’est Beer-Sheva, plantée au milieu de rien. Vraiment de rien. C’est extrêmement fort : c’est une incroyable métaphore de la civilisation et de notre rapport à l’inconnu. Cette ville est bercée de soleil, mais elle est littéralement au milieu du désert. Ce n’est pas comme s’il y avait une banlieue qui petit à petit devenait plus clairsemée avant d’arriver dans le désert. Non, là c’est la ville et le désert, point. Comme si elle avait été posée là par hélicoptère. C’est une ville un peu surréelle. Elle nous représente : c’est notre raison assiégée par l’imaginaire avec le sable qui rentre dans les rues dès qu’il y a du vent et l’artifice de nos constructions.

La série a été tournée en Israël, mais peu d’éléments permettent vraiment de situer le décor. Le pays n’est pas montré comme on a l’habitude de le voir.

Je pense que 90 % de ce qui est vu à l’étranger de la culture israélienne tournent, d’une manière ou d’une autre, autour de la fondation de l’État d’Israël et du conflit avec les Palestiniens. Ici, ce n’est pas le sujet. Le fait d’avoir tourné un peu dans Ramallah est clairement une façon de ne pas faire comme si ce conflit n’existait pas. Lorsqu’on est là-bas, on ne peut pas – et on ne doit pas – l’évacuer. Mais, en même temps, les Israéliens sont des personnes qui ont une vie normale – ou anormale en l’occurrence dans Possessions – et le raconter est légitime. Nous ne montrons pas l’image habituelle d’Israël parce que ce pays a une culture qui n’est pas anodine et Shachar a une façon très poétique d’aborder le réel. Ce dont il parle est clairement lié à la politique israélienne, mais il le fait de manière oblique.

Dans le dossier de presse de la série, vous écrivez : « Ce “dibbouk” [esprit ou démon qui occupe un corps, NDLR] qui empêche Natalie de vivre sa vie n’est pas n’importe quel démon. Il est précisément le rappel qu’à l’image de cette jeune femme, Israël est un pays où la banalité n’est pas de mise. Un pays “possédé” par son histoire. Hanté par le sang. Celui des siens, celui des autres. »

C’est un niveau de lecture valide, mais ce n’est évidemment pas le seul. Je ne pense pas qu’on puisse résumer la série à ça. Mais évidemment, il est possible de faire une métaphore intéressante de ce pays hanté par ses démons intérieurs. Il y a quelque chose de flagrant en Israël – et je ne l’avais pas saisi avant d’y passer du temps –, c’est à quel point le pays est divisé. On entend beaucoup parler du conflit israélo-palestinien. On sait qu’il existe, mais pas à ce point-là. Lorsqu’on passe du temps là-bas, on se rend compte de la violence de la polarisation entre, d’un côté, le bloc droite nationaliste et les orthodoxes, et, de l’autre, la gauche et les libéraux. Le pays est pris en otage par les intégristes religieux. Le système électoral est proportionnel, les faiseurs de rois sont donc de petits partis. Ceux qui font 5 % permettent de faire basculer le gouvernement d’un côté ou de l’autre, et ces 5 % sont des religieux. L’extrême droite religieuse a un pouvoir sur la société qui est problématique pour de nombreuses personnes. Possessions raconte d’une certaine manière ce même poids que représente la croyance sur la liberté des gens à vivre leur vie.

Reda Kateb (Karim) dans le premier épisode de Possessions Vered Adir - Haut et Court TV - Quiddity - Canal +

On passe dans la série du réel à quelque chose de plus mythologique, irrationnel. Comment réussir ce tournant à l’écran ?

Lorsque je suis arrivé dans ce projet, les premiers épisodes étaient écrits. Les autres l’ont été au cours du tournage. Avec Shachar, nous voulions vraiment donner comme mouvement à la série de partir de la ville pour s’enfoncer dans le désert et finir dans cette maison au milieu de nulle part. Il était important pour nous qu’elle soit ainsi isolée pour en faire un lieu désincarné, presque abstrait. Nous avons eu beaucoup de mal à trouver ce décor, car une telle maison n’existe pas dans la réalité. Nous avons finalement choisi cette ferme. Or tout un angle de la bâtisse ne pouvait être filmé, car il y avait une étable avec des moutons. Il a fallu trouver des astuces de mise en scène pour donner vie à ces scènes infusées d’imaginaire.

Quelle était votre ligne directrice pour la réalisation ?

Certaines images sont saturées de lumière, car je voulais vraiment raconter ce que l’on ressent lorsque l’on est à l’extérieur dans ce type d’endroit. Lorsque l’on sort d’une maison dans le désert, le soleil vous met une bonne claque : il est un peu aveuglant, blanc, brutal… Je souhaitais montrer cette violence-là. Il y a également des gros plans sur Natalie.

la série repose beaucoup sur ce qui se passe à travers les âmes. Ce n’est pas tant le corps de l’héroïne que je suis allé chercher, mais son regard qui est la porte d’accès à l’âme.

Nadia [Tereszkiewicz] n’est pas comme son personnage dans la vie : elle rit fort, elle est très vivante et pas du tout inhibée. Mais elle a effectivement ces immenses yeux bleus. Certains acteurs ont des yeux qui marchent et d’autres non. Elle, ça fonctionne. On voit son âme à travers son regard. Lorsque l’on met la caméra sur elle en gros plan, c’est frappant : il se passe quelque chose.

À l’inverse des personnages féminins de la série (Natalie ; la policière israélienne qui mène l’enquête ; la mystérieuse mère de Natalie), les personnages masculins sont plus doux, presque effacés…

C’est l’imaginaire et la vision du monde qu’a Shachar, non pas que je n’y souscrive pas. Il s’intéresse beaucoup aux personnages féminins. En travaillant avec Reda Kateb et Tchéky Karyo [qui incarne le père de Natalie, NDLR], c’était assez drôle de voir à quel point leurs personnages en prenaient plein la figure en permanence. Ils ont pris sur eux. (Rires.)

Comment s’est passée votre collaboration avec Shachar Magen ?

Nous avons beaucoup travaillé ensemble, y compris sur les épisodes qui étaient déjà écrits lorsque je suis arrivé. Mon rôle, dans un projet dans lequel j’interviens comme réalisateur, est d’interroger le scénario par rapport à ce qui était fixé au départ : « Est-ce la meilleure façon d’écrire une scène par rapport au but fixé par Shachar ? Cette séquence peut-elle être enlevée ? » Je fais un travail d’interprète. J’ai eu davantage d’impact sur les deux derniers épisodes écrits lorsque j’étais présent. Mais c’est et ça reste le projet de Shachar. Il le porte depuis le début.

Possessions est à découvrir ce lundi à 21 h 05 sur Canal+