Rosalie Charrier, itinéraire d’une nouvelle figure du clip

Rosalie Charrier, itinéraire d’une nouvelle figure du clip

07 août 2020
Séries et TV
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Image extraite du clip Call Me de Sarah Rebecca réalisé par Rosalie Charrier
Image extraite du clip Call Me de Sarah Rebecca réalisé par Rosalie Charrier Affreux, Sales & Méchants / Vladimir Féral - Alter K
Ancienne journaliste culturelle, Rosalie Charrier exploite désormais sa passion de l’image dans le milieu du clip. Après avoir mis en images les chansons Boys de Spang Sisters et L’Amour saignant d’Abel Chéret, elle a collaboré avec l’artiste américaine Sarah Rebecca pour la vidéo Call Me à l’ambiance lynchienne. Lumière sur une jeune réalisatrice qui conçoit le clip comme un véritable objet cinématographique.

Rosalie Charrier DR

Depuis deux ans, Rosalie Charrier fait rimer « envie de création » avec « mise en images de musiques ». A 25 ans à peine, elle a inscrit son nom dans la liste des réalisateurs de clips reconnus en France. Une trajectoire fulgurante pour celle qui était, il y a encore quelques années, journaliste culturelle pour une grande chaîne de télévision. « Le journalisme m’a permis de désacraliser l’univers culturel. Les plateaux de tournage, les comédiens et les comédiennes peuvent impressionner. Mais pendant deux ans, j’ai été au plus près de cet univers-là. Rencontrer des cinéastes et des artistes m’a aidée à prendre du recul : ce sont des humains qui ont juste de grandes idées inspirantes, il ne faut pas non plus les sacraliser », explique la jeune femme titulaire d’une licence de lettres modernes appliquées obtenue à La Sorbonne.

Son passage du journalisme au vidéoclip est venu concrétiser des envies profondes de réalisation. « J’ai toujours été attirée par l’écriture. J’écrivais des histoires lorsque j’étais petite et je prenais beaucoup de photos. Le cinéma m’a toujours intéressée et j’ai toujours eu en moi ce désir de raconter des choses, d’écrire et de mettre des images sur tout ça. Je me suis donc dit que réaliser des clips pouvait être un bon moyen de me rapprocher de mes rêves. » Mais ne venez pas pour autant lui dire que le clip n’est donc qu’une étape pour elle pour accéder au cinéma. Mettre la musique en images est bien plus que ça pour elle : un « art à part entière », un formidable « territoire d’expérimentation pour développer son univers et rencontrer des équipes techniques ».  « Le cinéma est une parure. Le clip est un des bijoux de cette parure », s’enthousiasme Rosalie Charrier qui défend avec conviction ce laboratoire de création qui lui permet également d’apprendre à travailler son découpage technique ou à utiliser des moodboards (planche regroupant des idées, des textes, images ou autres éléments donnant une idée du style visuel - ndlr). « C’est un bel apprentissage », ajoute-t-elle.

Une rencontre d’univers

« Le clip est vraiment un échange. Il faut savoir repérer la sensibilité et l’univers de l’artiste puis rester fidèle à ce qu’il est tout en lui apportant ce que je suis, précise Rosalie Charrier. Eux ont écrit un morceau, ils savent pourquoi ils l’ont écrit ainsi. Ils ont une histoire, leurs secrets. Moi, j’écoute leur chanson et finalement je l’interprète avec ma propre sensibilité. J’espère leur apporter un autre regard sur ce qu’ils font et enrichir leur parole et leur mélodie pour mettre en avant leur art ». Difficulté de l’exercice, elle doit s’exprimer visuellement et scénaristiquement sans prendre trop de place par rapport à l’artiste et sa chanson. Un travail d’équilibriste pour lequel elle échange beaucoup avec les artistes avec lesquels elle collabore. « J’ai besoin de connaître la personne en face de moi comme elle a besoin de me connaître. Travailler ensemble est finalement un acte de confiance ».

L’idée du clip lui vient après avoir écouté à de nombreuses reprises le morceau qu’elle doit illustrer visuellement. Pour partir d’une « page vierge », elle n’interroge pas immédiatement l’artiste sur ce qu’il a voulu dire, ce qui lui permet de s’imprégner totalement de la musique, sans a priori. Elle note ensuite tout ce qui lui vient à l’esprit avec un vrai souci de précision. « Je peux écouter le morceau 40 fois. Je veux vraiment respecter la chanson et l’artiste qui me fait confiance. Je veux lui proposer un scénario qui colle complètement au rythme du titre. Je note donc la moindre sonorité. Lorsque je travaille mon scénario, je pense déjà au montage : je vois le clip dans ma tête même si le résultat ne sera pas à 100% le même. Mais je veux proposer à l’artiste une ligne directrice que je vais tenir », détaille-t-elle.

Elle prend soin également de noter les envies de l’artiste comme une couleur, une image précise… Ou encore, comme dans le cas de Sarah Rebecca pour Call Me, une direction à prendre quant au casting. « Ce morceau très émouvant m’a inspiré une histoire d’amour. Je voyais deux personnes qui s’aiment et se retrouvent. En échangeant avec elle à ce sujet, Sarah m’a précisé qu’elle aimerait voir deux jeunes. Cette idée m’a plu et je l’ai suivie », se rappelle Rosalie Charrier qui a collaboré avec la chanteuse américaine après avoir rencontré, lors d’un festival de clips, le producteur Vladimir Féral (Affreux, sales & méchants) qui l’a convaincue de proposer un pitch pour cette chanson qu’elle trouve « très cinématographique ». Dans ce clip, elle a d’ailleurs tenu à rendre hommage à l’univers de Blue Velvet de David Lynch, comme un clin d’œil à son amour du cinéma et au charme de Sarah Rebecca. « Elle a un côté intimidant, féminin et puissant, avec une petite fragilité mais aussi une grande force. Elle donne l’impression de sortir d’un film ».

 

Le cinéma en toile de fond

Rosalie Charrier soigne particulièrement la narration de ses clips et les plans qu’elle travaille longuement. « L’histoire est importante pour moi et j’espère que ça se voit. Je fais le découpage technique et je pense chaque plan. Sans pouvoir l’expliquer, je sais les plans que je souhaite et ceux dont je ne veux pas », confie-t-elle. Autre constante chez elle, le besoin de travailler en pellicule, même si elle « n’éprouve aucun dégoût pour le numérique ». « J’aime le précieux. Avec la pellicule, on sait que la scène sera unique car on ne pourra pas la faire 50 fois. J’aime ce côté spontané, instinctif, et l’exigence que la pellicule demande. On a beaucoup moins le droit à l’erreur. Et les quelques erreurs qu’on retrouve malgré tout finissent par être charmantes », explique-t-elle en soulignant les concessions à faire en tant que réalisatrice.

Au montage, il n’y a parfois que quatre prises. Même si elles ne sont pas parfaites, il faut en choisir une. Il faut accepter que tout ne soit pas exactement comme on l’avait imaginé.

Ses liens avec le cinéma vont bien au-delà du support choisi pour tourner ou de ses envies de réaliser des films. Rosalie Charrier baigne dans le 7e art depuis son plus jeune âge grâce à son père, l’acteur, producteur et artiste peintre Jacques Charrier (Les Tricheurs, Les Dragueurs, Babette s’en va-t-en guerre) dont elle est très proche. « Il m’a eu tard, je suis son dernier enfant. Il a donc beaucoup de choses à me raconter. Depuis mon enfance, j’entends des anecdotes, parfois des souvenirs de tournages mais surtout des histoires de sa vie qui n’appartiennent qu’à lui ». Autant de souvenirs qui l’inspirent. Si son père lui fait inéluctablement penser au cinéma, leurs échanges sont davantage basés sur les mots que sur les images. « Je suis peu allée au cinéma avec lui. Etrangement j’y allais plutôt avec ma mère qui n’a jamais travaillé dans le cinéma. Mon père dialogue davantage qu’il me montre des films. Il évoque plus sa vie que le cinéma ».

C’est avec lui qu’elle a échangé après sa première expérience en tant que réalisatrice de clip. « Je tournais près de chez lui. C’est la première personne que j’ai vu après le tournage, lui qui ne savait pas trop ce qu’était un clip même s’il était – et est toujours - fier de moi. Je n’oublierai jamais ce moment où il est venu me chercher sur le plateau. Il faisait beau et il y avait quelque chose de presque magique. Echanger avec lui, qui m’a donné l’envie de faire du cinéma, n’est pas anodin ».

Le clip Call Me de Sarah Rebecca réalisé par Rosalie Charrier a bénéficié de l’aide avant réalisation du CNC pour une vidéomusique.