Thomas Boullé : « Je travaille les scripts de La Faute à Rousseau comme on écrit une dissertation en Terminale ! »

Thomas Boullé : « Je travaille les scripts de La Faute à Rousseau comme on écrit une dissertation en Terminale ! »

08 juin 2022
Séries et TV
Charlie Dupont dans la saison 2 de « La Faute à Rousseau ».
Charlie Dupont dans la saison 2 de « La Faute à Rousseau ». Jean-Philippe BALTEL - DEMD PROD - FTV

Cocréateur avec Agathe Robilliard de la série La Faute à Rousseau, diffusée sur France 2, qui vient de terminer sa saison 2, le scénariste Thomas Boullé revient sur la manière d’aborder le thème de l’éducation à la télévision. Entretien.


Comment parler d’éducation à la télévision aujourd’hui sans faire la leçon ?

Je crois que c’est plus facile qu’avant en fait ! On peut désormais raconter des histoires du point de vue des adolescents, et pas seulement de celui des adultes. Ce travail d’écriture permet d’être plus juste, plus intime. C’est donc une bonne période pour parler d’éducation à la télévision.

De L’Instit à Madame le Proviseur en passant par Le Remplaçant ou L’École de la vie, l’éducation a souvent inspiré la fiction française. Comment l’expliquez-vous ?

Les histoires ancrées dans le cadre scolaire peuvent être regardées à la fois par les parents et par les enfants, et ainsi générer un dialogue à la maison. Rassembler toute la famille devant le même écran, c’est clairement un enjeu pour les grandes chaînes. Encore plus actuellement. D’un côté, on a davantage de séries de niche diffusées sur les plateformes. Et de l’autre, sur les grandes chaînes, on est plutôt dans cette démarche de réunion familiale. Dans La Faute à Rousseau, par exemple, il y a cette idée que notre professeur, parce qu’il enseigne la philosophie, est légitime pour exposer son point de vue, partager son savoir et intervenir dans la vie des jeunes. Il y a quelque chose de naturel dans ses interactions avec les élèves.

J’ai eu 7 à mon bac de philosophie... Alors, La Faute à Rousseau m’a offert une forme de revanche !
Thomas Boullé

Vous avez pensé la structure de votre série comme un enseignement de philosophie...

Exactement. Cet aspect a été amusant à découvrir en tant que scénariste : je me suis rendu compte que je travaillais comme on écrivait une dissertation en Terminale ! Je suis parti de deux idées opposées, la thèse et l’antithèse, pour arriver à une conclusion évidente et éclairante, la synthèse ! J’ai trouvé fou de constater une telle similarité entre la manière de réfléchir et la manière de raconter des histoires. C’est comme si un récit était une forme de dissertation incarnée...

La philosophie, c’est votre truc ? Vous avez toujours aimé cette matière ?

J’ai eu la chance d’avoir au lycée une professeur de philosophie géniale, avec qui je pouvais énormément échanger. Pour moi, la philosophie était une matière presque subversive. On avait le droit et l’obligation de nous ouvrir, de parler de nos expériences personnelles, et pas seulement de faits scientifiques ou de dates. C’était à la fois déstabilisant et libérateur. Mais il faut avoir la chance de tomber sur le bon professeur... Cependant, je me souviens aussi d’avoir été très frustré, à cause d’une mauvaise note à mon bac : 7, je crois ! Pourtant, j’avais eu de bons résultats toute l’année. (Rires.) La Faute à Rousseau m’a offert une forme de revanche !


Comment travaillez-vous les thèmes de philosophie dans l’écriture ?

Agathe Robilliard, ma coautrice, a fait des études de philosophie. Notre méthode, c’est d’identifier une notion au programme de l’Éducation nationale, ou proche du programme. On se documente beaucoup sur le sujet et on ressort trois idées, qui donnent la possibilité au professeur Rousseau d’incarner le cours de façon singulière.

18 ans, c’est vraiment le meilleur âge pour commencer à apprendre la philosophie
Thomas Boullé

Vous avez eu des retours de vrais enseignants en philosophie ?

Non, mais j’ai l’impression que c’est bon signe. (Rires.) Nous n’avons donc énervé personne !

Le bac de philosophie approche. Conseilleriez-vous aux élèves de Terminale de regarder votre série ?

Cette série ne doit pas constituer leur seule source d’information... mais elle peut leur montrer qu’étudier la philosophie, c’est faire quelque chose de vivant, qui se nourrit de l’intime. Il ne faut pas en avoir peur ! C’est une matière chargée en émotion. Le système scolaire est bien fait de ce point de vue-là. La philosophie arrive dans le cursus éducatif en Terminale, au moment où l’on en a le plus besoin. C’est l’âge de la transformation, de l’entrée dans la vie adulte. Comme dit Rousseau, il n’a plus des élèves face à lui, mais des citoyens en âge de voter ! Donc 18 ans, c’est vraiment la meilleure période pour commencer à apprendre la philosophie.

Comment avez-vous construit le personnage du professeur Rousseau, très distinct de la version espagnole originale ?

Il est différent dans son rapport aux femmes. Il n’est pas misogyne comme l’original. Après, dans les deux cas, ces hommes rencontrent des difficultés à appliquer leurs propres recettes dans leur vie personnelle. Pour notre personnage, nous avons surtout insisté sur son ancien côté punk, sur la dualité entre ses rêves de jeunesse et l’homme qu’il est devenu. Nous avons aussi mis l’accent sur le contraste entre le jeune qu’il était à l’époque, obsédé par la notion de liberté individuelle, et la nouvelle génération, plus sensible aux questions de diversité et de vivre-ensemble. Les deux professeurs ont des visions du monde très différentes. Le nôtre a parfois du mal à communiquer...

Comment avez-vous travaillé la mise en scène des cours ?

Dans le rôle du professeur Rousseau, Charlie Dupont improvise volontiers. Ce sont les séquences les plus longues et les plus riches en termes de texte. Et souvent, il est seul face à toute une classe. Comme il le dit, il s’agit de moments où il est lui-même, comme dans la vraie vie... À l’écriture, on travaille énormément ces scènes pour leur donner du rythme. Mais il ne faut pas non plus être timides en matière de philosophie et escamoter notre concept. Ensuite, Charlie effectue un gros travail pour s’approprier les notions et les incarner.

Est-ce qu’une saison 3 est en vue ?

À l’heure actuelle, l’architecture de la saison 3 est prête ! Et si France 2 le souhaite, nous pouvons tourner à partir de cet été pour revenir à l’antenne vers les mêmes dates l’année prochaine. Mais pour l’instant, la production n’a pas encore officiellement été commandée.

La Faute à Rousseau – 2 saisons

Créée par Agathe Robilliard et Thomas Boullé (d’après la série espagnole Merlí)
Scénario : Thomas Boullé, Agathe Robilliard, Laure Mentzel, Mélusine Laura Raynaud, Ludovic Abgrall, Joris Morio, Cécile Polard
Réalisée par Agathe Robilliard, Octave Raspail, Adeline Darraux, Anne Fassio
Avec Charlie Dupont, Anny Duperey, Louis Duneton...
Produit par France Télévisions et DEMD Productions