À quel moment le choix du lieu du tournage de 13 jours 13 nuits s’est-il décidé ?
Martin Bourboulon : Dès l’écriture, puisqu’il était évidemment impossible de tourner en Afghanistan. Il fallait donc se projeter rapidement sur les lieux où nous allions filmer. Nous avons fait le tour des pays envisageables afin de trouver les décors de ce que nous étions en train d’écrire. Petit à petit nous avons éliminé ceux qui étaient dépourvus d’une structure capable d’accueillir un tournage de cette ampleur ou dont le régime politique créait trop d’incertitudes. Le Maroc s’est assez vite imposé. Pour ses paysages, pour son expérience des gros tournages américains et les conditions de crédit d’impôt très intéressantes que le pays propose.
Avez-vous fait beaucoup d’allers-retours pour sélectionner les décors ?
Assez peu, car j’ai pu m’appuyer sur l’expertise des membres de mon équipe avec qui j’ai l’habitude de travailler comme mon chef décorateur Stéphane Taillasson. Il est allé régulièrement au Maroc prendre contact avec les équipes locales et faire une première sélection de décors qu’il m’a présentés au fur et à mesure, et que j’ai pu visualiser grâce à Google Earth. Mon premier voyage sur place pour valider mes choix a eu lieu le 16 février 2024, quatre mois avant le début du tournage.
Avez-vous répété avec les comédiens en amont du tournage ?
J’ai fait des lectures individuelles avec Roschdy [Zem] et Lyna [Khoudri] mais aussi en duo, en trio. Ce sont des moments essentiels pour moi, où je prends le temps, dans un bureau de production, d’interroger et de « challenger » les dialogues que nous avons écrits. Car une fois sur le plateau, surtout dans un film qui nécessite autant de figuration, je sais que le timing serré ne me le permettra pas. En revanche, je ne fais jamais de répétition par peur de perdre la magie du moment sur le tournage.

Concernant les scènes de foule, là aussi vous ne faites jamais de répétitions techniques, une fois sur le plateau ?
Pour ces scènes-là, tout se joue en amont. Une fois les décors choisis, nous nous rendons sur place pour nous poser et répondre à toutes les questions en termes de mise en scène, de cadrage, de ce que nous allons filmer et laisser hors champ. Je pense au décor de l’aéroport, par exemple, pour lequel nous avons construit uniquement les parties visibles à l’écran. Le jour J, quand les 800 figurants arrivent, tout doit être réglé au millimètre et nous devons nous en tenir au cadre, sinon c’est injouable.
Comment avez-vous vécu ces scènes de foule ?
Comme des rendez-vous techniques qu’il ne faut pas rater mais où je sais que je suis parfaitement entouré pour les filmer dans le temps imparti. La pression existe mais elle n’est pas plus forte que les autres jours.
Aviez-vous calé ces scènes à un moment précis du tournage ?
Pas vraiment non plus. Évidemment, nous avons évité de commencer le tournage par ces séquences afin de se mettre un peu en jambes. Mais le plan de travail dépend de tout un tas d’autres impératifs, en termes d’utilisation des décors notamment. Elles s’inscrivent simplement dans celui-ci.
Comment s’est passé le recrutement des figurants ?
Je me suis appuyé sur un directeur de casting « figuration » dont le rôle était essentiel. Comme nous ne tournions pas en Afghanistan avec des Afghans, il fallait porter une attention particulière à chaque visage pour éviter qu’à l’écran, un détail ne saute aux yeux et nous sorte de la scène. Un vrai travail de fourmi.
Qu’est-ce qui vous a le plus frappé durant ces semaines de tournage au Maroc ?
La manière, dans ce qui peut paraître de l’extérieur un peu chaotique, dont les équipes sont incroyablement organisées, particulièrement dans la gestion de la foule et de la figuration. À l’exception des chefs de poste qui sont français et que je connais depuis des années, l’immense majorité de l’équipe est marocaine. Nous étions seulement 35 Français sur 300 personnes. Et le travail entre nous tous a été d’une totale fluidité.
Mohamed Bida, le commandant de police en poste à l’époque à l’ambassade de France, qui raconte son histoire dans le livre dont votre film est tiré, est-il venu sur le plateau ?
Oui, au moment des scènes de l’aéroport. Il m’a confié avoir été frappé par le réalisme des scènes, qui l’ont replongé des années en arrière à Kaboul. Sa présence m’a procuré une émotion particulière, évidemment, mais qui ne devait pas me perturber et me déconcentrer car le temps tournait. J’ai cependant été rassuré qu’il valide notre travail en le jugeant réaliste. Ça permettait de se dire que nous ne faisions pas fausse route.
En amont du tournage, comment avez-vous travaillé ce réalisme avec Nicolas Bolduc qui était aussi votre directeur de la photographie sur Les Trois Mousquetaires ?
Quand nous nous engageons dans un tel projet, nous avons pleinement conscience d’être le film d’après ! Après Green Zone de Paul Greengrass ; après Zero Dark Thirty et Démineurs de Kathryn Bigelow… Nous commençons donc par nous poser la question centrale de savoir si, dans ma manière de filmer, je vais m’inscrire dans la continuité de ces films ou si j’essaie de trouver un style original pour m’en démarquer à tout prix. C’est à ce moment-là que nous avons validé et intégré l’idée que 13 jours, 13 nuits ne serait pas tourné caméra à l’épaule. Et que nous serions dans une écriture filmique plus lente, plus stable, plus en douceur. L’une de mes références majeures – pour la scène d’évacuation dans le tunnel, notamment – était la séquence de checkpoint de Sicario de Denis Villeneuve. C’est aussi à cette étape-là que nous avons échangé avec Nicolas [Bolduc] sur la colorimétrie, l’étalonnage... Et puis, bien plus tard, juste avant le premier jour de tournage, nous avons passé quatre ou cinq heures à marcher tous les deux dans Casablanca. Pour se laisser imprégner par l’ambiance et parler encore et toujours du film en en peaufinant son identité.

Avez-vous commencé à monter pendant le tournage ?
Oui. Stan Collet avait monté Les Trois Mousquetaires : Milady. Il a pu s’appuyer ici sur le découpage très précis que j’avais fait en amont. Il faut savoir aussi que la décision de ne pas tourner caméra à l’épaule simplifie le travail d’un monteur. Dans le cas contraire, nous tournons toute la journée à deux ou trois caméras, ce qui multiplie les possibilités de montage. Là, il y a moins de plans, donc moins d’options possibles. Au fil des scènes qu’il reçoit, Stan [Collet] fait une première base de montage et je rebondis dessus dès la fin du tournage en partant d’un premier ours – une première version du film évidemment inaboutie, mais qui permet d’en voir la continuité – et nous travaillons séquence par séquence.
Comment 13 jours, 13 nuits s’inscrit-il dans votre collaboration au long cours avec le producteur Dimitri Rassam ?
C’est un projet forcément particulier car il nous a emmenés à l’opposé de ce que nous venions de faire avec Les Trois Mousquetaires. Et en même temps, il s’inscrivait pleinement dans notre manière de travailler ensemble depuis toujours, en collaboration avec Ardavan Safaee, le président de Pathé qui est à l’origine du projet. Ce fut un travail de confiance absolue entre nous trois. Car sans elle, nous ne pouvons pas mener à bien des opérations comme celle-ci où, même si le budget est important, tout ce dont nous avions envie est toujours trop cher. Depuis Papa ou maman (2015), Dimitri [Rassam] m’a permis de vivre mon souhait d’aborder des genres différents, de ne pas rester enfermé dans la comédie. J’ai conscience de cette rareté et j’en savoure chaque instant.
13 JOURS, 13 NUITS

Réalisation : Martin Bourboulon
Scénario : Martin Bourboulon, Alexandre Smia d’après le récit de Mohamed Bida
Production : Chapter 2, Pathé Films, M6 Films
Distribution et ventes internationales : Pathé Films
Sortie le 27 juin 2025