Alain Kruger : « Louis de Funès, c’est un corps en délire »

Alain Kruger : « Louis de Funès, c’est un corps en délire »

10 juillet 2020
Cinéma
La Folie des grandeurs de Gérard Oury
La Folie des grandeurs de Gérard Oury © 1971 Gaumont
Le commissaire de l’exposition consacrée à Louis de Funès, qui ouvre ce mercredi 15 juillet 2020 à la Cinémathèque française de Paris, raconte la façon dont il a envisagé et construit cette célébration inédite d’une des plus célèbres figures comiques du cinéma français. Entretien.

C’est la première fois que la Cinémathèque française consacre une exposition à un acteur. Pourquoi Louis de Funès ?

C’est un vieux rêve qui se concrétise. Je portais, en effet, ce désir depuis de longues années et je suis ravi que les équipes de la Cinémathèque m’aient permis aujourd’hui de le concrétiser. Le terme « acteur » pour évoquer Louis de Funès n’est bien-sûr pas faux, mais il limite considérablement les choses. De Funès était surtout un créateur. Il était d’ailleurs l’auteur de beaucoup de ses gags et a initié un grand nombre de projets.


La notion « d’auteur » surprend lorsqu’on évoque le travail de Louis de Funès...

Observez l’évolution de son jeu tout au long de sa carrière et vous verrez la façon dont il règle sa gestuelle, son énergie, ses émotions, pour arriver à une sorte de perfection. On dirait un musicien de jazz. Il se conforme à un thème musical pour ensuite proposer des variations. Le fait qu’il soit inimitable lui confère un statut exceptionnel. Les metteurs en scène se mettaient à son service pour obtenir le meilleur de lui. Prenez un film expérimental comme L’Homme orchestre de Serge Korber. Il est le résultat de la rencontre entre un jeune cinéaste et un acteur de 55 ans. Je trouve ça magnifique. Même dans les films qui sont moins bons, il y a au moins une scène géniale. Et puis, ce n’est pas un hasard si les meilleurs films de Gérard Oury sont ceux avec Louis de Funès.

exposition Louis de Funès © La Cinémathèque française


La rencontre avec Gérard Oury est décisive dans la carrière de Louis de Funès...

Lorsqu’il le dirige dans une petite scène du film à sketches Le crime ne paie pas en 1962, Gérard Oury est tellement impressionné par son génie comique qu’il décide d’en faire sa vedette. Il lui faisait faire beaucoup de prises parce qu’il savait que Louis de Funès lui proposerait à chaque fois quelque chose de nouveau.


Il manque peut-être à Louis de Funès d’avoir signé ses propres films à l’instar de Charlie Chaplin, Buster Keaton ou Jacques Tati...

C’est vrai même s’il a coréalisé La Soupe aux choux et L’Avare avec Jean Girault. Mais ce qui l’intéressait c’était surtout que les choses existent. Il avait le projet de réaliser un film entièrement muet.


Comment expose-t-on Louis de Funès ?

Deux mots, deux idées clefs, nous ont guidés : le rythme et l’intemporalité. Cette intemporalité est liée à son tempo d’acteur qui ne ressemble à aucun autre. L’idée était donc de restituer ce rythme. L’exposition débute avec le burlesque, donc les films en noir et blanc. Nous traversons ensuite les Trente Glorieuses. Des couleurs bien spécifiques guident et illuminent le parcours. Après le noir et blanc, nous passons à un monde orangé très pop qui marque les années soixante-dix, la France de Pompidou. Il y a aussi le vert qui est la signature de Gérard Oury. De la Jaguar du Corniaud jusqu’à la cuve du chewing-gum yankee des Aventures de Rabbi Jacob et aux pompons dans La Folie des grandeurs, il y a une ligne verte évidente. Enfin, il y a le rouge du théâtre et de la danse. Louis de Funès, c’est un corps en délire, un corps transfiguré, transgenre, un corps de danseur, théâtral. Un corps d’élite aussi, celui de la Gendarmerie nationale.


Vous qualifiez Louis de Funès d’inimitable, a-t-il pour autant des héritiers ?

Non, il est irremplaçable. C’est une figure totalement unique. Prenez l’humanité qui émane de chacun de ses personnages.

Même s’il jouait le pire des personnages, on ne pouvait s’empêcher de l’aimer. On voit à travers lui l’humanité de l’homme qu’il était. Son élégance et sa grâce transfigurent chacun de ses personnages. Il jouait en permanence avec le spectateur et semblait leur dire : « Tout ça, c’est du cinéma ! 


L’exposition n’évoque pas la partie intime de l’homme, pourquoi ?

Il y a le musée à Saint-Raphaël - celui de la famille de Funès - qui explore très bien la partie intime. Cette exposition a pour but de montrer comment il a travaillé pour devenir cet immense acteur que nous connaissons et que nous aimons tous. Il y a déjà cinq générations qui aiment Louis de Funès.

Exposition Louis de Funès  La Cinémathèque française