Anne Luthaud : « Le GREC est un lieu singulier entre l’école et la profession »

Anne Luthaud : « Le GREC est un lieu singulier entre l’école et la profession »

16 mai 2025
Cinéma
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"Big Boys Don’t Cry" d’Arnaud Delmarle, développé au GREC, Mention spéciale du Jury Queer à Clermont Ferrand 2025 Simon Gouffault

Lancé en 1969 par Jean Rouch, Pierre Braunberger et Anatole Dauman, le Groupe de recherches et d’essais cinématographiques (GREC), coprésidé par Léa Mysius et Clément Cogitore depuis 2022, a soutenu près de 1 300 premiers films et a permis de découvrir de nombreux cinéastes. Sa déléguée générale, Anne Luthaud, revient sur l’histoire et les missions de cette association qui a fait de la liberté de création et d’expérimentation sa marque de fabrique.


Comment est né le Groupe de recherches et d’essais cinématographiques (GREC) ?

Anne Luthaud : Le GREC, qui est soutenu depuis ses débuts par le CNC, a été fondé en 1969 par le cinéaste Jean Rouch ainsi que deux producteurs de la Nouvelle Vague, Pierre Braunberger et Anatole Dauman. Leur ambition était d’offrir un endroit aux cinéastes pour débuter et faire des films « en toute liberté » sans aucune autre contrainte que leur désir de cinéma. Le GREC a été pensé pour produire des premiers films de court métrage sans limite d’âge ou d’expérience. Il a diversifié au fil du temps son accompagnement mais a toujours suivi cette ligne directrice. La transmission est aussi une autre de ses valeurs cardinales. Ainsi, dès le départ, le trio fondateur a siégé au sein des trois collèges historiques – appelés aussi groupes de lecture – qui étudient les candidatures des premiers films sur scénario. Aujourd’hui, de nombreux cinéastes passés par le GREC, à l’image d’Alain Guiraudie, prennent part à nos commissions. Je pense également à Léa Mysius et Clément Cogitore qui ont réalisé leurs premiers films au GREC et en sont les coprésidents depuis 2022. Des techniciens confirmés assistent aussi les jeunes réalisateurs sur le tournage de leurs films. Nous avons le souci d’aider les cinéastes à tisser des liens avec leurs pairs. La vocation du GREC n’est pas de livrer un discours sur le cinéma mais de « faire faire » du cinéma. Avec une volonté claire : donner du temps aux cinéastes pour réfléchir, « trouver leur film » et pratiquer.

De quelle manière choisissez-vous les films à produire ?

Il y en a plusieurs dont les trois groupes de lecture évoqués plus haut et ouverts à toutes les formes, documentaire, fiction, expérimental. Ils se réunissent trois fois par an et sont chacun composés de trois commissions. Le GREC choisit aussi des projets sur images à travers la commission GREC Rush. Nous l’avons créée il y a une dizaine d’années afin de nous adapter aux pratiques des jeunes cinéastes liées au numérique. Ces derniers ne passent pas nécessairement par l'écriture avant de tourner. Nous sélectionnons 3 à 5 projets par an sur la base de 5 à 7 minutes de rushes envoyées par les candidats. Ensuite, le GREC les accompagne aux étapes de postproduction, montage, étalonnage et diffusion comme c’est aussi le cas dans le cadre des films choisis sur scénario. Les groupes de lecteurs sont composés de professionnels en exercice (réalisateurs, producteurs, techniciens…), tous bénévoles. Ces derniers portent une attention particulière à la prise de risque dont font preuve les candidats, à leur esprit de recherche et d’expérimentation dans la forme comme dans le fond.

Le GREC est né afin d’offrir un endroit aux cinéastes pour débuter et faire des films en toute liberté sans aucune autre contrainte que leur désir de cinéma.

De quelle autre façon un cinéaste émergent peut-il être produit par le GREC ?

Nous retenons également des courts métrages via des appels à projets : l’un mené en collaboration avec le Musée national de l’histoire de l’immigration pour lequel le projet lauréat se voit octroyer une bourse de 5 000 euros pour 6 mois de résidence en plus de sa production ; un autre conduit en partenariat avec le Festival du Film court en plein air de Grenoble avec qui nous sélectionnons une série de 5 x 2 minutes à produire, qui bénéficie d’un préachat de France Télévisions ; et un dernier réalisé avec le Festival Dakar Court, l’association CINEMAREKK ainsi que l'Ambassade de France au Sénégal, avec également un préachat de FRTV. Celui-ci est lié à un atelier d’écriture de deux semaines au Sénégal. Quatre projets de fiction y participent et sont ensuite pitchés au festival. La fiction lauréate remporte le Prix GREC/Dakar Court/FRTV puis est produite par nos soins, tournée au Sénégal et post-produite en France. Par ailleurs, nous produisons également des premiers films dans le cadre du diplôme universitaire (DU) de l’Université de cinéma de Corte pour lequel nous recevons une aide importante de la Collectivité de Corse.

Comment accompagnez-vous concrètement les films ?

Le GREC est un lieu singulier entre l’école et la profession. Nous suivons les films à toutes les étapes de leur fabrication : de la réécriture – en fonction des projets – à l’établissement d’un devis, du tournage à la diffusion en passant par le montage et la postproduction. Le GREC octroie un soutien de 19 000 euros aux films choisis sur scénario et 5 000 euros à ceux sélectionnés sur rushes. Mais un premier film nécessite beaucoup d’écoute et d’attention. Nous suivons ainsi chaque cinéaste individuellement. Nous leur faisons des retours sur scénario et pendant la phase de montage. Nous les aidons également à constituer leurs équipes casting et techniques. Depuis sa création, le GREC bénéficie de tarifs préférentiels de la part des industries techniques (loueurs, laboratoires, studios de postproduction…) Une aide essentielle puisque ces prestations représentent souvent au moins 50 % du budget d’un projet.

Atelier Mise en scène à Pantin avec le cinéaste Sébastien Betbeder GREC

Comment s’effectue le travail de diffusion ?

Nous travaillons sur trois volets de diffusion. Le premier concerne les festivals où les cinéastes inscrivent directement leurs films. En revanche nous effectuons tout le suivi. Nous y organisons par ailleurs de nombreuses rencontres, masterclasses, tables rondes et projection de courts métrages afin de montrer comment les films se fabriquent au GREC. Le deuxième s’applique aux salles de cinéma avec qui nous avons noué des partenariats à l’image des cinémas Saint-André-des-Arts et Nouvel Odéon ainsi que la Cinémathèque française à Paris ou du cinéma La Baleine à Marseille. Le troisième vise les plateformes et les chaînes de télévision. Nous avons la chance de collaborer avec Tënk, Mubi ou encore Universciné sur laquelle nous disposons d’un corner. France 2, Canal + et ARTE achètent également nos films. Enfin, tous les courts métrages du GREC sont inscrits à l’Agence du court métrage et sur Unifrance, ce qui leur offre par ailleurs une belle visibilité.

Nous suivons les films à toutes les étapes de leur fabrication : de la réécriture – en fonction des projets – à l’établissement d’un devis, du tournage à la diffusion en passant par le montage et la postproduction. 
 

En parallèle de sa mission de production, le GREC accompagne aussi la professionnalisation des cinéastes émergents à travers des résidences et des ateliers en régions. Comment cela se traduit-il ?

Les ateliers et résidences du GREC ont été notamment mis en place par mon prédécesseur, François Barat, à la tête de l’association jusqu’en 2011. Nous poursuivons cette mission avec la fervente ambition que les projets développés à cette occasion aboutissent à une mise en production avec le GREC ou avec des producteurs extérieurs. Ces ateliers et résidences se font en lien avec des Régions qui les soutiennent (Île de France, Corse, DOM, Rhône Alpes, Métropole Aix-Marseille-Provence…) et sont menés par des professionnels en exercice. Nous proposons six ateliers : deux sont consacrés à l’écriture d’un court métrage à Port-de-Bouc et Porto-Vecchio ; un est dédié au montage à Montreuil en partenariat avec l’association Périphérie ; un est organisé autour de la direction d’acteurs à Grenoble dans le cadre du Festival du film court en plein air ; un autre s’attache à la mise en scène en partenariat avec Artagon à Pantin ; enfin le dernier est dédié à l’écriture de scénario et au pitch à l’occasion du Festival Dakar Court au Sénégal comme évoqué plus haut. Il n’est pas rare que les cinéastes passés par ces ateliers rejoignent ensuite les bancs du GREC, à l’instar d’Arnaud Delmarle, dont le court Big Boys Don’t Cry a remporté la Mention spéciale du Jury Queer au Festival de Clermont Ferrand 2025. Un film développé pendant sa résidence de Mise en scène à Pantin puis au GREC.

"Petit Spartacus" de Sara Ganem développé à GREC Rush GREC

Au total, combien de dossiers de candidatures recevez-vous par an ?

Environ 600. Ce chiffre prend en compte les candidatures aux aides à la production – dont pas moins de 400 dossiers chaque année concerne les trois collèges historiques – ainsi que celles aux ateliers et résidences. Nous produisons en tout une vingtaine de films par an et en avons soutenu près de 1 300 depuis la création du GREC. Or nous faisons face à de plus en plus de demandes, ce qui nous oblige à être davantage sélectifs.

Quels chantiers attendent le GREC à l’avenir ?

Tout d’abord, je dirais continuer dans les meilleurs conditions notre travail d’accompagnement et de suivi des films que nous menons au quotidien. Par ailleurs, nous sommes confrontés à un défi important autour de la conservation de nos films. Environ 1 300 cinéastes sont passés par le GREC. Malheureusement de nombreux courts métrages réalisés à l’époque de la pellicule ne sont plus exploitables aujourd'hui. Nous aimerions pouvoir les numériser afin de constituer un patrimoine du GREC. En parallèle, nous travaillons à nous adapter aux pratiques des jeunes auteurs, comme nous l'avons fait avec GREC Rush, notamment concernant les effets visuels. Nous recevons de plus en plus de projets qui incluent les VFX. Ceux-ci modifient la chaîne de production d'un film et induisent parfois de nouveaux modes narratifs. Nous réfléchissons donc à la manière adéquate de prendre en compte ces nouvelles pratiques. Enfin, nous souhaitons développer davantage les ateliers dédiés à la direction d’acteurs. Le travail de casting est en effet primordial dans le cadre d’un premier film.