Antonin Peretjatko, l’art de la farce politique

Antonin Peretjatko, l’art de la farce politique

06 décembre 2021
Cinéma
Josiane Balasko et Philippe Katerine dans « La Pièce rapportée » d'Antonin Peretjatko.
Josiane Balasko et Philippe Katerine dans « La Pièce rapportée » d'Antonin Peretjatko. Diaphana Distribution/Orange Studios
Dans La Pièce rapportée, le réalisateur de La Fille du 14 juillet raconte l’affrontement entre une grande bourgeoise du 16e arrondissement de Paris et la compagne roturière de son fils, en mode lutte des classes burlesque. Pour le CNC, le cinéaste détaille ce travail d’équilibriste.

Avec La Pièce rapportée, c’est la première fois que vous ne partez pas d’un scénario original mais d’une adaptation, celle d’Il faut un héritier de Noëlle Renaude. Comment s’est faite votre rencontre avec ce texte ?

Un peu par hasard. Un ami qui suivait un stage dirigé par Nicolas Maury (Garçon chiffon) et Noëlle Renaude m’a offert un recueil de nouvelles de cette dernière en pensant que ça pourrait m’intéresser. Et il ne s’est pas trompé ! J’ai tout de suite été séduit par Il faut un héritier, qui tenait en 8 pages. Sa construction scénaristique est absolument implacable. C’est un véritable traitement de film que j’ai donc développé en étoffant les personnages et en ajoutant des situations, à partir du trio central du récit : la mère, son fils et cette jeune guichetière dont ce vieux garçon est tombé amoureux.

L’aspect politique qui traverse La Pièce rapportée était déjà présent dans la nouvelle ?

Oui, comme on peut le percevoir dans son titre : Il faut un héritier. La nouvelle était centrée sur cet héritier qui n’arrive pas dans le couple, par la faute de ce vieux garçon peu passionné par les choses du sexe. Pour ma part, j’ai choisi de recentrer mon scénario sur le personnage de la jeune femme, déplaçant par là même le récit sur le rapport de classes à travers la non-acceptation par cette mère bourgeoise de cette belle-fille roturière.

Comment distillez-vous la politique dans cette farce burlesque ?

Pour moi, la comédie est une façon de voir le monde. De l’interpréter, voire de le supporter. J’ai donc le sentiment d’avoir spontanément des lunettes qui me permettent de voir la vie en rire, la vie en drôle. Même si ce rire peut être parfois jaune ou grinçant, il m’apparaît comme une sacrée bouée de sauvetage face à la médiocrité de l’époque. On m’a d’ailleurs parfois dit que la crise du Covid ressemblait à l’un de mes films avec le cafouillage sur les masques, les vérités d’un jour contredites le lendemain… Et je ne trouve pas ça complètement faux ! (Rires.)

Le politique s’invite aussi dans votre récit à travers des allusions à l’actualité récente comme les Gilets jaunes ou la théorie du ruissellement chère au Président Emmanuel Macron, qui n’étaient pas présentes dans la nouvelle de Noëlle Renaude, écrite dans les années 80…

Tout part dans mon esprit de l’abolition de l’ISF. J’ai commencé à imaginer que des gens avaient dû sabrer le champagne. C’est ce que j’aurais fait à leur place en tout cas ! (Rires.) Et je trouvais amusant de le montrer dans le film en mode « la chose tant espérée est arrivée ».

J’y voyais un effet comique de la répercussion de la décision politique, tout comme cette fameuse théorie du ruissellement dont j’ai fait un refrain qui revient à intervalles réguliers tout au long du récit.

Une théorie inventée, j’imagine, pour se donner plus ou moins bonne conscience. Alors qu’on a pu constater très vite que, bien évidemment, le ruissellement n’a existé que chez ceux qui voulaient bien le faire et qu’il y avait beaucoup de gouttières qui récupéraient ce trop-plein avant qu’il ne touche le sol. Je me suis appuyé sur l’absurdité de cette théorie pour accompagner celle qui domine La Pièce rapportée.


Comment avez-vous créé à l’image cette opposition entre la jeune roturière et la grande bourgeoise ?

Le cadre dans lequel allait se dérouler le récit était un élément essentiel à mes yeux. Au départ, je pensais inscrire cette histoire dans un appartement haussmannien. Puis quand on a commencé à faire des repérages, je me suis aperçu que les appartements haussmanniens vides d’habitants mais plein de meubles ne couraient pas les rues ! On a donc un peu galéré avant de trouver ce lieu assez fabuleux en région Auvergne-Rhône-Alpes avec cette coursive et cet escalier qui lui donnent un aspect assez gothique et font naître des idées de cadres, de décadrages, de travellings, de couleurs… Ce lieu a mis ma mise scène en ébullition, à l’inverse d’un décor plus classique où je craignais qu’on s’ennuie vite.

Une farce politique s’appuie aussi sur son incarnation. Qu’est-ce qui vous a donné envie de confier à Anaïs Demoustier le rôle de cette jeune roturière ?

Tout part d’une envie commune de travailler ensemble que ses essais n’ont fait que confirmer. Ce qui m’a surpris chez elle, c’est sa capacité de transformation assez exceptionnelle. Anaïs est aussi crédible en guichetière qu’en jeune femme qui s’embourgeoise après son mariage avec des tenues et une coiffure plus strictes. Elle épouse donc exactement le récit et son évolution.

Josiane Balasko est, elle, plus spontanément associée à des rôles populaires. C’est par goût du décalage que vous lui avez confié ce rôle de grande bourgeoise ?

Pour une grande partie, oui. Pour ce rôle, j’avais surtout besoin de quelqu’un qui pourrait aller à fond dans la farce burlesque. Et, paradoxalement, c’est après avoir vu Josiane dans un registre plus grave et plus en retenue, dans Grâce à Dieu de François Ozon, que l’idée m’est venue. Ça m’a conforté dans ce sentiment qu’avec elle, on pourrait aller très loin dans l’outrance comme dans les nuances, sans qu’on ne voie le travail ou la composition. Josiane possède ce naturel déconcertant qui fait fi de toute limite. Elle me paraissait parfaite pour camper cette femme, certes perfide et manipulatrice, mais capable de moments très tendres avec son fils. 

Est-ce que le montage dont vous êtes l’auteur change l’équilibre entre humour et politique de votre récit ?

Cet équilibre se crée surtout à l’écriture. J’y prends garde à ne pas aller trop loin dans le pamphlet, ni à distiller trop l’époque dans laquelle se situe le film. Cet exercice est délicat, il prend beaucoup de temps. Et du coup, il se modifie très peu par la suite tant au tournage qu’au montage. 

LA PIÈCE RAPPORTÉE

De Antonin Peretjatko
Scénario : Antonin Peretjatko d’après l’œuvre de Noëlle Renaude
Directeur de la photographie : Simon Rocca
Montage : Antonin Peretjatko
Production : Atelier de Production, Orange Studio
Distribution : Diaphana