Arnaud Desplechin : « Ma génération a grandi avec le Nouvel Hollywood »

Arnaud Desplechin : « Ma génération a grandi avec le Nouvel Hollywood »

07 septembre 2022
Cinéma
Arnaud Desplechin sur le tournage de « Roubaix, une lumière ».
Arnaud Desplechin sur le tournage de « Roubaix, une lumière ». Shanna Besson / Why Not Productions

Le réalisateur de Rois et Reine et de Trois souvenirs de ma jeunesse est le président du jury du festival du cinéma américain de Deauville. Il revient sur son rapport à Hollywood et sur les récentes mutations de l’industrie.


Vous êtes président du jury du 48e festival de Deauville. Que représente le cinéma américain pour vous ?  

C’est une vaste question. D’abord, ces films ont bercé mon enfance et mon adolescence. Plus tard, ils m’ont littéralement formé. Je viens de Roubaix, et quand j'arrive à Paris pour faire mes études, un ou deux chefs-d’œuvre sortent sur les écrans toutes les semaines. De Palma, Coppola, Scorsese, Spielberg… : ma génération a grandi avec le Nouvel Hollywood. Depuis quelques années, le cinéma américain de studio change énormément. Pendant longtemps, il fut à mon sens invraisemblable.

Dans le cadre d’un cinéma populaire, d’un cinéma d’industrie même, il y avait de l’art caché dans tous les coins. Il suffisait de se pencher pour ramasser des idées folles, trouver un plan magnifique ou une vision inoubliable.

J’ai la sensation qu’aujourd’hui, le cinéma de studio est moins inventif, et qu’il nous donne moins de nouvelles de l’Amérique. Comme le disait Martin Scorsese, les blockbusters ne parlent plus qu’aux spectateurs qui ont entre 9 et 12 ans. Et les producteurs hollywoodiens aux grandes ambitions artistiques ont disparu. 

Il reste tout de même de grands auteurs…

Évidemment : James Cameron, Steven Spielberg sont toujours très forts, mais les studios ne savent plus décrire le monde qui les entoure. 

À quel moment est-ce que cela a changé ? 

Je dirais que le changement s’amorce au tournant des années 2000-2010. The Dark Knight Returns en est pour moi un film symptôme. Le deuxième de la trilogie Batman de Christopher Nolan m’avait emballé, avec ses idées folles et son ambition de cinéma, mais j’avoue que je n’ai pas pu regarder le troisième jusqu’au bout… Désormais, les studios produisent des films pour enfants, mais dépourvus d’enfance à l’intérieur.

Pourquoi ? 

Parce qu’il n’y a plus cette volonté d’imprimer quelque chose, il n’y a plus de dialogue entre les cinéastes et les producteurs. Les algorithmes dominent la création. Cela dit, encore une fois, il reste des exceptions passionnantes. On a vu le James Gray, ici, à Deauville qui est un film magnifique (Armageddon Time). Le Elvis de Baz Luhrmann est fantastique et Nope de Jordan Peele est un objet totalement non identifié qui triomphe aux États-Unis…

 

Avez-vous apprécié Top Gun : Maverick ? 

Oui. On voit qu’il y a un producteur derrière, en l’occurrence ici Jerry Bruckheimer. Il y a une ambition de cinéma, la volonté de réaliser un film à l’ancienne… Cela manque dans les gros films d’action hollywoodiens. Quand je repense à la saga Die Hard, je me dis qu’on en est très loin désormais. 

Vous déportez donc votre intérêt vers le cinéma indépendant ? 

Oui parce que ce cinéma se renouvelle par ses marges, et non plus par le centre. C'est la raison pour laquelle je me réjouis d’être ici et de découvrir des nouvelles voix. Les films que je vois me donnent des nouvelles du monde. 

C’est ce que vous cherchez au cinéma : un état du monde ? 

Pas un « état », parce que je ne suis pas versé dans le cinéma d’opinion. Plutôt des nouvelles. Une manière de prendre son pouls. 

Nous sommes à mi-parcours du festival. Sans vous demander votre avis sur les films… 

Que je ne vous donnerai pas (rires)…

…voyez-vous des tendances apparaître ? 

Les films parlent beaucoup de la jeunesse ; cela a toujours été un thème américain important – je pense à Larry Clark ou Gus Van Sant – mais là, c’est une évidence. Je sors à l’instant d’un film dont les personnages m’intéressent ; il s’agit d’un adolescent et d’un jeune homme que j’ai envie de voir exister. L’autre chose que je remarque, c’est que le cinéma américain va de plus en plus chercher des « non acteurs ». Une tendance qui vient du cinéma européen, de Roberto Rossellini notamment, mais au sein du cinéma américain, cette nouvelle attention aux corps différents est passionnante. 

Quelle est l’influence du cinéma américain sur votre travail ?

Elle est essentielle. Je fais partie des réalisateurs qui ont besoin d’admirer pour arriver à écrire. J’ai besoin de cela. La première chose que je fais quand je commence un projet – c’est un truc que j’avais piqué à Pascale Ferran – je constitue un corpus. Je note des films. La couleur dans untel, une scène dans tel autre… Il peut s’agir de films du passé ou contemporains. Je m’appuie sur eux pour laisser partir mon imagination. Pour une raison simple : j’ai besoin de faire partie du monde du cinéma et je ne peux pas faire des films solitaires.

Mes films au fond dialoguent avec d’autres films et particulièrement avec les films américains…