« Avignon », un regard de cinéma sur le théâtre en mouvement

« Avignon », un regard de cinéma sur le théâtre en mouvement

19 juin 2025
Cinéma
« Avignon »
« Avignon » réalisé par Johann Dionnet Nolita Cinema / Marine Danaux

Tourné en partie durant le Festival d’Avignon, le premier long métrage de Johann Dionnet explore avec finesse et drôlerie les coulisses du théâtre, entre comédie romantique et réflexion sur les hiérarchies culturelles du spectacle vivant. Rencontre avec son réalisateur.


C’était l’événement du Festival international du film de comédie de l’Alpe d’Huez : reparti avec le Grand Prix, le prix Coup de Cœur des Alpes et le prix Canal+ du meilleur film, Avignon marque les débuts de l’acteur Johann Dionnet derrière la caméra. À travers cette fiction ancrée dans le milieu théâtral, il s’attache à rendre compte, avec humour et humanité, de l’effervescence du Festival d’Avignon. On y suit Stéphane (Baptiste Lecaplain), comédien un peu paumé, qui débarque dans la cité des papes pour jouer Ma sœur s’incruste !, une pièce de boulevard sans prétention. Mais un hasard le met sur la route de Fanny (Elisa Erka), actrice en pleine ascension dont le charme le désarme. Un malentendu plus tard, Stéphane laisse croire à la jeune femme qu’il incarne Rodrigue dans Le Cid de Corneille. Pour tenter de la séduire, il s’enferre dans un mensonge de plus en plus bancal, le temps du festival…

Au-delà de la comédie romantique en apparence légère, Avignon explore les rapports sociaux du monde du spectacle vivant, dans un cadre où se croisent des artistes de tous horizons. Le choix d’Avignon ne doit rien évidemment au hasard : Johann Dionnet souhaitait dès l’origine inscrire son récit dans cette ville unique, à la fois haut lieu du patrimoine et laboratoire artistique. « Mon idée de départ n’était pas forcément de faire une comédie romantique : j’avais surtout envie d’écrire un film sur Avignon, et surtout sur quelqu’un qui pense ne pas être assez bien pour être aimé par les autres », confie-t-il. Le festival est ainsi à la fois toile de fond et catalyseur dramaturgique : « C’est une vraie microsociété, avec ses codes et ses hiérarchies, où se mélangent des personnes issues de milieux très différents. »

 

Mépris de classe

Le tournage du film ne s’est déroulé que très peu durant la manifestation : « Nous n’avons tourné que deux jours et demi pendant le festival. Tout le reste du tournage, l’équipe a dû recréer son ambiance chaleureuse et unique. » Pour cela, une attention particulière a été portée à la figuration, à la décoration urbaine et au son, afin de reconstituer au mieux la densité et la vitalité caractéristiques d’un mois de juillet avignonnais. Le rapport entre les espaces publics et les lieux de représentation a guidé une grande partie de la mise en scène. Johann Dionnet explique : « L’une des consignes que j’avais données à mon équipe, c’était d’avoir la sensation d’étouffer à l’extérieur et, à l’inverse, de respirer dans les théâtres. » Cette approche se traduit à l’image par une opposition claire : des plans à l’épaule dans les rues, et des cadrages plus larges et aériens dès que les personnages entrent dans un lieu de jeu. Une logique ponctuellement suspendue lorsque le héros, Stéphane, interagit avec Fanny, l’actrice dont il s’éprend, « comme si, d’un seul coup, il se construisait autour de lui une bulle apaisante. Pour certains tableaux, je voulais de vrais moments de cinéma. L’objectif était que le film représente un défi pour chaque poste : le son, l’image, la technique, la machinerie. D’une manière générale, les scènes de nuit étaient un peu plus compliquées. C’est probablement celle de la soirée du festival IN dans le bar qui était la plus audacieuse, car il y avait beaucoup de choses à faire en peu de temps autour d’un acteur qui chante, de sept comédiens qui se donnent la réplique et de 150 figurants. »

Avignon interroge aussi les représentations culturelles autour des différentes formes de théâtre, dans une opposition souvent caricaturée entre le théâtre dit « classique » et le théâtre dit « populaire ». « Le mépris de classe est un thème qui a été très souvent utilisé pour raconter des histoires, surtout au théâtre mais aussi au cinéma », note le réalisateur, qui cite Le Goût des autres d’Agnès Jaoui comme l’une de ses références. Avignon s’inscrit dans cette veine, en interrogeant les préjugés qui traversent encore certains milieux artistiques. Ce questionnement s’ancre dans l’expérience personnelle du réalisateur : « J’ai moi-même fait partie un temps de ces snobs qui refusent le théâtre de boulevard. Jusqu’au jour où pour faire mes heures d’intermittence, j’ai dû jouer dans ce type de pièce. Et j’ai adoré, j’ai fait des rencontres incroyables. »

Une continuité du court

Avant de voir le jour sous forme de long métrage, le projet a d’abord été développé dans un court intitulé Je joue Rodrigue. Ce format initial a servi de levier pour convaincre les partenaires financiers du potentiel narratif du film. « Il a d’abord fallu passer par la case “court” pour pouvoir prouver aux gens que cette histoire n’était pas une histoire “boutique” mais bien universelle. » Par souci de cohérence artistique et pour capitaliser sur l’énergie de groupe déjà constituée, Johann Dionnet a choisi de reconduire une partie du casting initial : « L’une des conditions était de reprendre tous les comédiens du court métrage. Avec, bien sûr, des nouveaux venus comme Baptiste Lecaplain et Alison Wheeler. Je ne voulais que des acteurs qui connaissent Avignon ou qui aient un rapport avec la scène. » Ce souci de collectif s’est également exprimé à travers un travail de préparation spécifique avec les comédiens : « Pour souder le casting, j’ai organisé une soirée jeu : chacun devait répondre à des questions en incarnant son personnage. Cela nous a permis d’imaginer ensemble un passé aux protagonistes de l’histoire, ce qui a beaucoup aidé à rendre le tournage fluide et à créer une cohésion de groupe. »
 

AVIGNON

Affiche de « AVIGNON »
Avignon Warner Bros. France

Réalisation : Johann Dionnet
Scénario : Johann Dionnet, Benoît Graffin et Francis Magnin
Production déléguée : Nolita, Mathieu Ageron, Maxime Delauney et Romain Rousseau
Distribution : Warner Bros. France, Studio TF1 Cinéma 
Sortie en salles : le 18 juin 2025