Axelle Ropert, la belle échappée

Axelle Ropert, la belle échappée

14 février 2022
Cinéma
Portrait Axelle Ropert (copyright Claire Nicol).jpg
Axelle Ropert Claire Nicol

Avec Petite Solange son quatrième long métrage, la réalisatrice explore à nouveau de l’intérieur la cellule familiale. Portrait d’une cinéaste passée par les chemins « joyeux » de la cinéphilie avant de fixer ses histoires sur grand écran.


La cinéphilie est un temple. À l’ombre des images et des sons en mouvement fixés sur l’écran noir, on partage avec d’autres sa façon d’être au monde. Cela tient de la reconnaissance. Un bout de trottoir du Quartier latin, les marches d’une cinémathèque, sont des amphithéâtres d’affinités électives. Ces lieux « romantiques », Axelle Ropert les a foulés en marge de ses sérieuses études de lettres en hypokhâgne au lycée Henry IV, à Paris. Comme une échappatoire. « Je ne garde pas un bon souvenir de mes études, très inhibantes », explique l’intéressée qui présente aujourd’hui son quatrième long métrage, Petite Solange, autour d’une adolescente désemparée face au divorce de ses parents. « J’allais à la Cinémathèque avec le plaisir de retrouver une bande. C’était assez joyeux... » Cette bande se compose alors principalement « des anciens des Cahiers du cinéma » : Jean Narboni, Michel Delahaye, Jean-Claude Biette, Jean-Claude Guiguet… mais aussi de Serge Bozon, son futur compagnon. « Zéro fille ! Il y aurait d’ailleurs une étude à faire sur cette domination masculine dans l’histoire de la cinéphilie... » La cinéaste tempère aussitôt : « Il n’y avait pas de domination machiste pour autant. »

Familles électives

Dans ses rêves d’adolescente, Axelle Ropert « très intello et douée pour les études », se voyait plutôt en romancière. Avec le recul, elle concède qu’elle aurait écrit « des choses vieillottes ». Le cinéma était là, bien sûr, lui tournait même un peu autour, mais comme une passion appréhendée avec « une certaine naïveté », dénuée de tout calcul : « J’étais surtout fascinée par la beauté des actrices. Ma mère m’emmenait dans des salles art et essai voir des films avec Katharine Hepburn, Lauren Bacall, Elizabeth Taylor... J’ai commencé dès l’âge de 10 ans à collectionner des photos. Je ne connaissais pas le nom des réalisateurs. » Elle se souvient aussi de l’arrivée à la maison d’un gros livre sur le mythique studio MGM, royaume de la comédie musicale hollywoodienne de l’âge d’or, celui des films de Vincente Minnelli avec ses feux d’artifice visuels où la nature humaine retenue prisonnière souffre et exulte dans un même mouvement. Cette façon exaltée d’appréhender l’esthétique cinématographique, Axelle Ropert en a gardé une obsession pour le soin apporté à l’image de ses propres films. À contre-courant d’un naturalisme surplombant nombre de fictions, son cinéma ose les effets stylisés. On se souvient par exemple de l’atmosphère volontiers baroque de son deuxième long métrage, Tirez la langue, mademoiselle (2013), situé dans un quartier chinois de Paris totalement reconfiguré. Des teintes rougeâtres éclairaient la nuit de leur intensité contradictoire – à la fois fougueuse et menaçante. Cédric Kahn et Laurent Stocker y jouaient deux frères, deux médecins épris d’une même femme (Louise Bourgoin). Un drame de la jalousie où l’amour fraternel se retrouvait sur la brèche. Plutôt que Minnelli, elle cite ici Valerio Zurlini et son Journal intime de 1962.

D’autres horizons

C’est par l’écriture que les rêves de cinéma se sont d’abord concrétisés. Par la critique notamment, au sein de l’éphémère revue La Lettre du cinéma, « la petite sœur de la revue Traffic », où elle mène des entretiens avec des cinéastes comme Barbet Schroeder ou Jean-Pierre Mocky. Elle se souvient d’une série d’articles baptisée « le jeu des sept familles ». « Le premier se concentrait sur les actrices, le second sur les acteurs. Tout mon amour pour le cinéma hollywoodien depuis mes 10 ans se retrouvait ici condensé. Je faisais une typologie des actrices : qu’est-ce qu’une actrice romantique, intellectuelle... Idem avec les acteurs. Il y avait un côté encyclopédique. » Axelle Ropert rejoint un temps l’équipe du Cercle sur Canal+ et celle des Inrockuptibles. « Changer d’univers, découvrir d’autres passionnés de cinéma venant d’horizons différents du mien, j’ai adoré ça ! »  

Elle coécrit en parallèle les films de Serge Bozon et rencontre le producteur David Thion. Un pas – le court métrage Étoile violette en 2004 – puis un autre : La famille Wolberg (2009), avec François Damiens en père fragile et sacrificiel, premier long métrage sélectionné à La Quinzaine des Réalisateurs. « Je voulais parler d’une famille aimante comme on en trouve chez Minnelli. »

La petite sœur d’Antoine Doinel

Après Tirez la langue, mademoiselle, le troisième long métrage, La Prunelle de mes yeux (2016), une comédie romantique où « l’amour rend aveugle », entraîne une brutale remise en question. « Le film n’a pas du tout été compris, pire, rejeté. On m’avait mise dans la case “romanesque et sensible” et d’un coup, je faisais une comédie acide. Il est très compliqué de faire le film que l’on n’attend pas de vous. »

Et voici Petite Solange, couronné l’année dernière du prix Jean-Vigo. Philippe Katerine et Léa Drucker y jouent un couple au bord de la rupture. Tout est vu à travers les yeux de Solange, 13 ans (la révélation Jade Springer), qui ne veut pas y croire et fait comme si la béance intime n’existait pas. Là encore, la cinéaste fuit les clichés qui verraient le divorce appréhendé forcément avec hystérie. Petite Solange, tourné en pellicule et « éclairé comme L’Incompris de Luigi Comencini » est à la fois doux et mélancolique. Gracile aussi. Axelle Ropert assume même le mélo. Sa « Solange », la cinéaste l’envisage en petite sœur d’Antoine Doinel. Dans le panthéon personnel, à côté de Minnelli, il y a donc aussi Truffaut. On revient tout doucement aux marches de la Cinémathèque. « La Nouvelle Vague a rendu accessible l’idée de faire un film… Je voyais comment Guiguet et Biette faisaient leurs films, soutenus par les productions Diagonale. Biette aimait d’ailleurs à répéter qu’il était “un cinéaste du dimanche”. Se lancer à son tour devenait presque facile. »

Quand elle ne tourne pas, Axelle Ropert écrit. Inlassablement. Pour elle mais aussi pour les autres (Patrick Chia, Blandine Lenoir, Serge Bozon...) et planche sur des projets de séries.

Petite Solange

Réalisation et scénario : Axelle Ropert
Chef opérateur : Sébastien Buchmann
Musique : Benjamin Esdraffo
Production ; Aurora Films
Sortie le 2 Février

Soutiens du CNC : Avance sur recettes avant réalisationAide à la création de musiques originales, Aide sélective à la distribution (aide au programme)