Benjamin Renner, de la bulle à l’écran

Benjamin Renner, de la bulle à l’écran

20 août 2020
Cinéma
Le Grand Méchant Renard de Benjamin Renner
Le Grand Méchant Renard de Benjamin Renner Folivari - STUDIOCANAL - Panique ! - RTBF - Radio Télévision Belge de la Communauté Française - Be TV / VOO
Saga BD et cinéma - César du meilleur film d'animation, partagé avec Patrick Imbert, pour Le Grand Méchant Renard, Benjamin Renner nous raconte comment est née cette idée d'adapter en film sa BD pour enfants publiée en 2015 aux éditions Delcourt et quelles sont, selon lui, les principales différences entre BD et cinéma.

La naissance du Grand Méchant Renard  

« J'avais écrit sous la forme d’un blog Un bébé à livrer quand j'étais étudiant. En apprenant que j'allais être tonton, j'avais eu l'idée de publier, pour mon frère et sa femme, une page par semaine des aventures d'un bébé élevé par des animaux de la forêt. C'était mignon, très sympa à faire et à partager. Petit à petit, ça a marché, si bien qu'un éditeur m'a proposé de le publier en BD (Vraoum, en 2011, ndlr).

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Quand la BD s'anime
Lé Grand Méchant Renard Editions Delcourt/DR

Parallèlement, j’avais été embauché sur le film Ernest et Célestine. J’adore le cinéma et l’animation, mais la BD, c'est aussi parfait pour moi. C'est un peu mon « jardin secret » (rires), ça me détend. Contrairement à l'animation, qui oblige à valider beaucoup d'étapes avant d'être terminée, la BD est très satisfaisante parce qu’on peut concrétiser rapidement une idée. A la fin d’Ernest et Célestine, j'ai voulu revenir à la bande dessinée. Et j’ai repensé à une idée qui me trottait dans la tête depuis des années… Le Grand Méchant Renard ! J'avais lu, ado, qu'en sortant de l'œuf, un poussin prenait le premier être vivant qu'il voyait pour sa maman. J'avais donc imaginé cette histoire de renard qui attend l'éclosion dans l'espoir de manger trois poussins, puis qui se retrouve leur maman à tous par mégarde. Ça m'a inspiré ces gags pour enfants : je voulais faire rire les petits avec cet humour un peu décalé. »

Un petit projet devenu grand

« Une fois Ernest et Célestine terminé, Didier Brunner, mon producteur (et fondateur du studio d'animation Folivari, ndlr), voulait absolument qu'on refasse un film ensemble. Mais la BD me manquait. Je me suis donc plongé dans la conception de l’album Le Grand Méchant Renard. Dès qu’il a été fini, Didier n'a pas arrêté de me dire qu'il fallait en tirer un film animé… J’ai fini par céder (rires). Au départ, ça devait être un court métrage de 26 minutes pour Canal +. Mais très vite, la chaîne nous a demandé si on pouvait réaliser une minisérie. J’ai évoqué Un Bébé à livrer et Il faut sauver Noël, parce que je ne me voyais pas imaginer de nouveaux scénarios. Canal + a accepté et on s’est mis d’accord sur le choix d’un coréalisateur. Patrick Imbert était une évidence : il était chef animateur sur Ernest... et on se complétait bien. On a travaillé sur cette minisérie jusqu'à ce que notre producteur se dise qu'il suffisait d'ajouter des transitions pour en tirer un long métrage. C'est comme ça que le film Le Grand Méchant Renard est né. Ça restait un petit budget par rapport à Ernest et Célestine qui avait coûté environ 10 millions d'euros. Là, on était sur 2 millions d’euros, environ 800 000 euros par court métrage. »

Une beauté « simple »

« On a respecté le style visuel des BD avec les dessins à l'aquarelle. Je m'occupais de l'histoire centrale, Le Grand Méchant Renard, et Patrick des deux autres - Un bébé à livrer et l'épisode de Noël - mais je supervisais tout de même l'animation. Tout avait été story-boardé et je m'étais chargé du layout (les images clés de tous les personnages). J'ai un style graphique un peu particulier et j’ai montré aux animateurs ce que je voulais précisément. On se connaissait bien, c'était une petite équipe (une douzaine d'artistes) et la plupart avaient travaillé sur Ernest... Cet esprit familial était très sympa ! C'est l'avantage d'avoir un pied dans l'animation et un dans la BD : je connais les différences et les contraintes des deux supports, je peux exprimer ce que je souhaite et au final ne pas être frustré par ce que je vois à l'écran. »

De la case à l’écran

« Les contraintes de l'animation et celles de la bande dessinée n’ont pas grand chose à voir. En animation, on doit rendre des comptes aux investisseurs et penser à des choses qui ne nous viennent même pas à l'esprit quand on écrit une BD. Un exemple concret : dans une scène, la poule a une hache. Mon producteur est venu me voir pour me dire que ça ne plaisait pas trop au distributeur finlandais. Dans l’intrigue, cette hache était logique. Comment aurais-je pu penser que ça puisse poser problème ?

Plus généralement, il y a un humour et un rythme propre aux BD qui ne fonctionnent plus du tout à l'écran. Il faut modifier et accepter que ce ne soit pas parfaitement fidèle à ce qu'on avait imaginé.

De nombreux gags que j'adorais ne marchaient plus, les ellipses cassaient la dynamique... Il y a, par exemple, une page de la BD où Le Grand Méchant Renard est fier d'avoir réussi à faire peur aux poussins en leur racontant une histoire du soir. Sauf que la case d'après, on les voit se réfugier dans ses bras pour se sentir en sécurité. On comprend alors qu'il a complètement raté son coup. Ça, en deux dessins, c'est très efficace. Mais une fois animé, l'effet comique diminue.

Le Grand Méchant Renard Editions Delcourt/DR

 

Même chose avec le gag de la marmite : il les couche dedans, puis est effrayé à l'idée qu'ils soient étouffés. Donc il rouvre la marmite ce qui les réveille. Et il les recouche, et ainsi de suite. A l'écran, cette séquence prenait trois minutes ce qui était beaucoup trop long. Il a fallu couper même s’il est parfois difficile de trancher. D'instinct, je n'ai conservé que des gags qui m'amusaient. On sait qu'un gag est réussi quand il continue de nous faire rire en cours de production. Encore une fois, une BD se concrétise rapidement alors qu’un film demande trois à cinq ans de travail. A force de repasser dessus, on peut se lasser. Et il n'y a pas que les blagues qui peuvent poser problème. Il faut aussi faire passer l'émotion et retravailler des dialogues. Certains mots ont dû être changés car des répliques écrites ne sont pas forcément aussi fluides quand on les lit à voix haute. Le rythme de lecture n'est pas du tout le même que celui de la parole ! Ce sont souvent d’infimes modifications, mais certains lecteurs peuvent les ressentir comme de la trahison. Je fais donc davantage attention à cet aspect maintenant. Quand je dessine une page de BD, je la relis à voix haute. Je la « joue » pour voir si ça fonctionne.

Du lecteur au spectateur

« Chaque lecteur a des attentes différentes. En dédicaces, quelqu'un va me dire qu'il a adoré telle blague, et la personne suivante m'avouera qu'elle l'a détestée... Hergé avait raconté qu'en adaptant Tintin en live, il avait rencontré un petit garçon qui lui avait dit que le Capitaine Haddock n'avait pas la même voix que dans la BD ! C'est une anecdote qui résume parfaitement le problème de l'adaptation. Quand on a découvert l'œuvre - roman ou BD - en premier, le film se fait dans notre tête et le résultat à l'écran ne sera jamais le même que celui qu'on avait imaginé. Le casting vocal du Grand Méchant Renard était d’ailleurs particulièrement étrange pour moi ! Une fois choisis, les acteurs (Guillaume Darnault, Damien Witecka, Christophe Lemoine...) ont imprimé leur voix pour toujours. Désormais quand je relis la BD, j'entends leurs voix. »