Catherine Bizern : « Faire un festival en prise directe avec le présent...»

Catherine Bizern : « Faire un festival en prise directe avec le présent...»

11 mars 2022
Cinéma
Mr. Landsbergis
« Mr. Landsbergis » de Sergei Loznitsa Festival Cinéma du Réel

Catherine Bizern, déléguée générale et directrice artistique du festival « Cinéma du réel », ce grand rendez-vous du documentaire dont la quarante-quatrième édition se déroule du 11 au 20 mars à Paris, en évoque les temps forts.


Après deux éditions confinées pour cause de pandémie de Covid-19, en quoi celle-ci avec le retour du public, est-elle particulière ?

Catherine Bizern : La grande programmation baptisée « Afrique documentaire » que nous proposons cette année avait été initialement imaginée pour l’édition de 2021. L’enjeu était alors de faire venir à Paris tous les acteurs professionnels du documentaire en Afrique, depuis le Maghreb jusqu’à l’Afrique du Sud en passant par l’Afrique de l’Est et de l’Ouest. Face à cette impossibilité nous avions alors très vite décidé de reporter cette programmation. Cela nous a laissé plus de temps pour peaufiner cette rétrospective. L’autre grand changement est bien-sûr la présence du public.  La première soirée de cette édition, avec la projection d’En nous de Régis Sauder jeudi soir, a été un tel succès avec près de 500 spectateurs présents, que nous avons dû ouvrir une seconde salle pour accueillir tout le monde. On sent un désir très fort de partager des émotions dans ce moment particulier des festivals où les films se donnent la main. Les deux dernières éditions confinées ont montré à quel point ces moments de partage sont précieux. Il est vrai que les projections virtuelles ont facilité la diffusion des films. Ainsi pour les films présentés dans la section work in progress, les professionnels peuvent toujours les voir en ligne, sans se déplacer. Certaines interviews peuvent également se faire virtuellement. Cela concerne uniquement la section Paris doc dont la visibilité a doublé durant les deux dernières éditions.


Combien de films seront montrés dans la section work in progress ?

Neufs films en cours de montage. Ils sont montrés à des professionnels de l’exploitation, de la distribution et de la programmation. Depuis mon arrivée au Cinéma du Réel, je donne carte blanche a des structures étrangères. Cette année j’ai ainsi invité quatre laboratoires africains : Ouaga Film Lab au Burkina Faso, Docubox au Kenya, La Ruche documentaire au Maghreb, Durban FilmMart en Afrique du Sud.

Vous évoquiez la soirée d’ouverture avec la projection d’En Nous de Régis Sauder qui sort dans quelques jours en salles. C’est important de montrer des films pour promouvoir leur future distribution ?

Nous avons en effet tissé des liens très forts avec des distributeurs qui profitent du Festival pour lancer leurs films. Outre En Nous, ce sera aussi le cas de Cahiers Noirs-Viviane de Shlomi Elkabetz, Qui a par nous de Jonas Trueba, L’hypothèse démocratique, une histoire basque de Thomas Lacoste ou encore Le journal d’Amérique d’Arnaud des Pallières.

Pouvez-nous nous parler de la section Front(s) Populaire(s) que vous avez mis en place à votre arrivée en 2019 ?

L’idée est que le festival soit en prise direct avec le présent. Le cinéma est éminemment politique et le documentaire est un regard sur le présent du monde. Un festival doit être un lieu activiste. Les films présentés dans cette section traitent des préoccupations citoyennes. Depuis 2019, les mouvements de luttes sociales sont très présents dans l’actualité. Nous voulons à chaque fois choisir un axe particulier. Cette année il s’agit d’envisager l’espace public comme un espace de lutte. Pendant deux ans, pandémie oblige, nous avons été privés de cet espace. Il fallait donc le mettre à l’honneur.

Un des temps forts de cette édition est la projection du nouveau film du cinéaste ukrainien Sergeï Loznitsa, Mr.Landsergis, en sa présence...

Ce film traite des mouvements d’émancipation en Lituanie pour se libérer du joug soviétique après la chute du mur de Berlin. Il montre le combat des citoyens pour leur indépendance. Quand Sergeï Loznitsa choisit de raconter cette histoire-là, il sait qu’il va trouver une résonnance avec le présent. Lors de sa venue en 2019, il était déjà très préoccupé par la guerre dans le Donbass. Il y a quelque chose de prémonitoire de documenter comme il le fait l’histoire de la Lituanie. L’écho d’un tel film aujourd’hui est incroyable. Le vendredi 11 mars, jour de la projection, marque l’anniversaire de l’indépendance de la Lituanie. L’ambassadeur de la Lituanie est présent.

Comment s’harmonise une sélection ?

Notre rôle est de proposer une vision large de la production documentaire dans le monde. Ce sont donc les films eux-mêmes qui dictent nos choix. La question que nous nous posons en composant la programmation est toujours : Qu’est-ce que le documentaire ? Cette interrogation nous pousse à repousser les limites qui définissent un genre en perpétuel évolution. Il est intéressant de voir comment le numérique bouleverse de plus en plus les choses ou encore comment le réel vient s’intégrer à la forme documentaire. Nous ne sommes pas là pour défendre une chapelle plutôt qu’une autre mais au contraire de montrer la pluralité de la production.

La sélection sépare la production internationale de la française, pourquoi ?

Le festival Cinéma du Réel se déroulant à Paris, il semble naturel de mettre en valeur la production française qui est par ailleurs l’une des plus prolifiques en Europe voire dans le monde. Ce distinguo a toujours existé. Il a toutefois fallu le clarifier. En effet, il y a encore quelques années, trois films français se retrouvaient dans la compétition internationale. La sélection française s’apparentait alors à une sorte de panorama. C’était problématique car cela sous-entendait que les trois films français choisis pour se mesurer à la production mondiale étaient forcément supérieur aux autres. Dorénavant tous les films français se retrouvent ensemble en compétition, sans distinction particulière. En revanche, pour le jury, la nationalité des films ne doit pas rentrer en ligne de compte. Il devra choisir parmi tous les films de la compétition.

Combien de films ont été vu pour préparer cette édition ?

L’équipe en charge de la sélection est composée de cinq personnes. Nous avons vu près de 1600 films, courts et longs métrages confondus. 40 films ont été retenus pour la compétition : 21 courts métrages et 19 longs métrages. Si on regroupe toutes les sections, cette édition propose près de 120 films.