« Cet été-là », du roman graphique au film

« Cet été-là », du roman graphique au film

03 janvier 2023
Cinéma
« Cet été-là ».
« Cet été-là ». Magali Bragard - Trésor Films

Dans son nouveau long métrage, Éric Lartigau raconte le passage de l’enfance à l’adolescence de deux gamines de 11 ans, le temps d’un été, dans les Landes. Une adaptation d’un roman graphique de deux cousines, Jillian et Mariko Tamaki, publié en 2014. Le réalisateur de La Famille Bélier a cosigné le scénario avec Delphine Gleize. Ils se confient sur leur processus de travail.


Éric, comment avez-vous repéré Cet été-là, le roman graphique de Jillian et Mariko Tamaki ?

Éric Lartigau : Grâce à mon producteur Alain Attal. Je lui avais dit que je cherchais un sujet sur la famille et Mélisa Godet, qui travaille avec lui, lui a suggéré ce roman graphique en noir et blanc très épuré en pensant que ça me parlerait. Et ça a immédiatement été le cas !

Pourquoi avoir fait appel à Delphine Gleize pour cette adaptation ?

EL : J’avais envie d’écrire avec une femme pour aborder ce sujet. Delphine et moi, nous nous connaissons depuis des années. Or je souhaitais quelqu’un de proche pour travailler sur cette histoire dans laquelle j’allais mettre beaucoup de ma propre jeunesse, de mon rapport aux adultes au moment de la pré-adolescence. C’est un âge curieux, plein de contradictions, d’envies et de découvertes.

Delphine Gleize : Éric et moi nous sommes rencontrés à l’automne 2016. Il était alors membre d’une commission du CNC et avait eu un coup de cœur pour un scénario que j’avais écrit. Un scénario sur l’addiction qui, au final, n’a jamais vu le jour. Il préparait à ce moment-là #Jesuislà et m’avait appelée pour me faire part de son désir de travailler ensemble un jour. Chez Éric, j’aime ce que je ressens en voyant ses films : le respect et l’amour qu’il a pour les gens qu’il filme. Sa sincérité absolue. Il m’a donné un petit rôle dans #Jesuislà, on est devenus des amis proches. Il m’avait confié que pour son film suivant, il avait envie d’un sujet sur la famille. Quand il l’a eu en main, il m’a immédiatement fait lire Cet été-là. Et comme lui, j’ai eu un coup de cœur. Le côté épuré du roman graphique rendait le travail d’adaptation excitant : un film n’est pas un haïku, donc on allait devoir inventer énormément de choses, avec une grande liberté…

J’avais envie d’écrire avec une femme pour aborder ce sujet. Delphine et moi, nous nous connaissons depuis des années. Or je souhaitais quelqu’un de proche pour travailler sur cette histoire dans laquelle j’allais mettre beaucoup de ma propre jeunesse, de mon rapport aux adultes au moment de la pré-adolescence.
Éric Lartigau

EL : Nous avons ainsi transposé l’histoire dans les Landes, dans la tête d’une enfant de 11 ans, Dune et de sa meilleure amie Mathilde, de quelques mois plus jeune qu’elle. Et comme je voulais parler de la famille, nous avons mis au premier plan les personnages des parents et des grands-parents qui se situaient en arrière-plan dans le roman original. Car je trouvais que ça allait tout de suite permettre de comprendre dans quel monde nos deux jeunes héroïnes évoluent, à quel moment de leur existence elles se trouvent quand le film commence. D’où la scène de la voiture qui inaugure le récit : au cours du voyage vers les Landes, on saisit que le couple que forment les parents de Dune est en crise.


Pourquoi avoir choisi de situer votre film dans les Landes ?

EL : Cela s’est fait naturellement car c’est tout simplement l’endroit où je passais mes vacances, la terre natale de mon père où vivait une grande partie de ma famille…

DG : On connaît tous les deux très bien cette terre landaise et tout ce qu’il peut y avoir de tragique dans ces paysages de forêts de pin à perte de vue. Contrairement à beaucoup, sublime n’est pas le premier mot qui me vient à l’esprit quand je pense à ce coin de France. (Rires.) Voilà pourquoi dès le départ on savait que le récit se déroulerait dans des lieux non touristiques de la région.

Éric, en dépit du côté personnel de cette adaptation, vous avez choisi deux filles et non deux garçons dans les rôles principaux. Pour quelle raison ?

EL : Honnêtement, je ne me suis jamais posé la question. Pour le coup, je suis resté fidèle au roman graphique dont les héroïnes sont deux jeunes filles.

DG : Par contre, on a choisi de les rajeunir. De les prendre à un âge où on commence à se rendre compte que rien n’est définitif, que contrairement à ce qu’on pensait, on n’est pas indispensable aux autres. C’est le premier travail d’adaptation qu’on a fait. On se situe ici avant l’arrivée des règles, la naissance des seins, les questions de la possibilité d’embrasser un garçon. Une période où l’amour est vécu encore de manière très enfantine, très fictionnelle.

Le côté épuré du roman graphique rendait le travail d’adaptation excitant : un film n’est pas un haïku, donc on allait devoir inventer énormément de choses, avec une grande liberté…
Delphine Gleize

Que signifie concrètement raconter une histoire à hauteur d’enfants ?

EL : C’est tout le pari du film. Ça commence chez moi, avant même le début de l’écriture, par de longs moments suspendus où je me replonge dans ma propre enfance en faisant le pari qu’à l’arrivée les gens s’y retrouveront. Cet été-là ne raconte pas à proprement parler ce que j’ai vécu, mais se nourrit de mes sensations, de mes peurs, de mes joies qui sont remontées à la surface.

DG : On s’est aussi beaucoup parlé de Stand By Me, avec cette même idée du collectif, même si nos héroïnes ne sont que deux. Au fond, Dune et Mathilde sont un réseau social à elles toutes seules ! Après, je pense que les enfants sont de plus grands vieillards que nous. (Rires.) Dans son journal intime et dans ce qu’elle filme avec sa caméra, il y a quelque chose de très mûr chez Dune. Être à hauteur d’enfants, c’est donc assumer que leur vie intérieure est riche, et qu’ils sont plus mélancoliques qu’on ne le croit, sans en avoir l’air. Éric a un rapport immédiat et frontal à l’enfance et aux gamins. Il parle spontanément le même langage qu’eux, donc ça facilite énormément les choses à l’écriture.

Gael García Bernal, Chiara Mastroianni et Ángela Molina  Magali Bragard/Trésor Films

Comment travaillez-vous ensemble justement ?

DG : Éric m’a fait une confiance incroyable. On a commencé par énormément échanger, quasi quotidiennement, autour de nos souvenirs d’enfance. Éric ne passe jamais par la théorie mais par la justesse de la sensation. À partir de là, je me suis mise à structurer les choses et lui à réorienter en pointant là où les curseurs avaient été trop ou trop peu poussés.

Cet été-là ne raconte pas à proprement parler ce que j’ai vécu, mais se nourrit de mes sensations, de mes peurs, de mes joies qui sont remontées à la surface.
Éric Lartigau

Vous avez réécrit les rôles une fois le casting des enfants terminé ?

DG : Non, car les dialogues et les situations leur allaient spontanément comme un gant. Rose Pou Pellicer et Juliette Havelange sont immédiatement devenues indissociables. Comme si on avait écrit Cet été-là pour elles.

EL : On a eu la chance de se retrouver face à des évidences. Ma directrice de casting Elsa Pharaon avait mis une annonce sur Facebook. Dès la première journée, elle a reçu 1400 candidatures ! C’était dément. Au final, on a vu environ 4000 vidéos. Mais très vite, quand elle m’a montré Rose et Juliette, j’ai eu l’intuition de les mettre ensemble. Et ce qui marchait en photo s’est vérifié dès la première audition en visio, car nous étions en plein Covid-19. Puis on s’est vu physiquement. On a discuté pendant une heure pour apprendre à les connaître, pour savoir ce qu’elles aimaient, ce qu’elles détestaient. Et quand je les ai filmées, je n’ai plus eu de doutes. Elles ont été amies très vite et continuent aujourd’hui à être extrêmement proches. Elles s’appellent toutes les semaines.

La plus grosse différence [entre le roman et le film] tient dans le temps du récit. Dans le roman graphique, il s’agissait d’un temps « asiatique », éthéré […] Alors que nous on a inscrit le récit le temps d’un été. Les deux derniers mois de l’enfance avant de basculer définitivement dans l’adolescence…
Delphine Gleize

Au final, qu’est-ce qui a le plus changé entre le film et le roman graphique ?

DG : Je dirai qu’on s’en est éloigné pour finalement s’en rapprocher. Au point que récemment je ne savais plus si j’avais moi-même inventé une phrase de dialogue ou si elle était déjà présente dans l’œuvre originale. (Rires.) La plus grosse différence tient dans le temps du récit. Dans le roman graphique, il s’agissait d’un temps « asiatique », éthéré. On ne savait pas s’il s’était écoulé trois semaines ou trois mois, avec des pages entières de nuages pour symboliser les jours où on ne sort pas parce qu’il pleut. Alors que nous, on a inscrit le récit le temps d’un été. Les deux derniers mois de l’enfance avant de basculer définitivement dans l’adolescence…

CET ÉTÉ-LÀ

Réalisation : Éric Lartigau
Scénario Éric Lartigau et Delphine Gleize, adpaté du roman graphique éponyme de Mariko et Jillian Tamaki (Ed. Rue de Sèvres)
Photographie : Jacques Girault
Montage : Juliette Welfling
Musique : Sacha et Evgueni Galperine
Production : Trésor Films, Artémis Productions
Distribution : StudioCanal
Ventes internationales : StudioCanal
Sortie en salles : 4 janvier 2023