Charles Gillibert : « Jim Jarmusch a un lien très fort avec Paris »

Charles Gillibert : « Jim Jarmusch a un lien très fort avec Paris »

27 août 2025
Cinéma
« Father Mother Sister Brother » réalisé par Jim Jarmusch
« Father Mother Sister Brother » réalisé par Jim Jarmusch Vague Notion 2024 - MUBI - Yorick Le Saux

Présenté en compétition à la 82e Mostra de Venise avant sa sortie en France le 7 janvier prochain, Father Mother Sister Brother est un film en trois segments tournés entre les États-Unis, l’Irlande et la France. Son producteur français Charles Gillibert (CG Cinema) en raconte les coulisses parisiennes. 


Comment avez-vous été impliqué dans le projet Father Mother Sister Brother ?

Charles Gillibert : C’est Jim Jarmusch lui-même qui m’a approché pour me faire lire son scénario, dont une partie se situait en France, à Paris – un tiers du film, très précisément, puisque celui-ci est découpé en trois. Mais il souhaitait que j’aie une approche de production globale. Nous étions au tout début du projet, Jim avait déjà l’idée du casting qu’il désirait, et il était partagé sur la possibilité d’avoir des techniciens différents selon les pays où il allait tourner. Restait à évoquer les financements, notamment avec son agent Bart Walker, qui est très impliqué sur ces sujets.

Jim Jarmusch connaît bien Paris, il y a notamment tourné un segment de Night on Earth, au début des années 90…

Oui, il a un lien très fort avec la France, il est lié à beaucoup d’artistes et de techniciens parisiens, c’est une ville qu’il connaît extrêmement bien. Il avait vraiment le désir de tourner à Paris.

Comment s’est faite la répartition entre les équipes étrangères et françaises ?

Il n’y avait pas de techniciens français aux États-Unis, Jim a vraiment sa propre équipe là-bas, avec laquelle il a fait la plupart de ses films, notamment le chef opérateur Frederick Elmes. À Paris, il a travaillé avec une équipe française, autour du chef opérateur Yorick Le Saux et de l’ingénieur du son Nicolas Cantin, entre autres. Les techniciens qui ont travaillé à Paris ont également travaillé en Irlande. Nous pouvons donc dire que dans l’ensemble l’équipe parisienne a fait les deux tiers du film.

Tourner dans les rues de Paris avec Jim Jarmusch, c’est un vrai plaisir de création.

Où le film a-t-il été tourné ?

Principalement dans des petites rues de l’Est parisien, dans un appartement et dans un café. Jim Jarmusch n’est pas venu chercher un Paris de carte postale, mais le Paris qu’il connaît.

Comment définiriez-vous ce Paris de Jim Jarmusch ?

Le cinéma de Jim Jarmusch est à la fois très contemporain et en même temps pas totalement daté. Father Mother Sister Brother se déroule dans un Paris qui ne s’est pas complètement « gentrifié », un Paris qui abrite les artistes, des endroits où Jim peut se reconnaître facilement, où il va souvent. C’est un Paris qui est peut-être moins visité par les touristes et que les Parisiens font vivre.

Quelle est la ligne éditoriale de CG Cinéma, notamment dans les films d’initiative étrangère que vous coproduisez ?

Nous partons vraiment des auteurs, des projets, des désirs, et ensuite nous voyons ce qui nous est offert. La question de la capacité des auteurs à tourner chez eux, ou dans les lieux qui sont décrits dans leurs histoires, est, à mon sens, une question très politique et très importante. Dans le cas du film de Jim Jarmusch, je me suis longtemps battu à ses côtés pour que la partie américaine soit tournée aux États-Unis – c’était extrêmement onéreux par rapport aux autres lieux de tournage. Les auteurs et artistes américains de cinéma ont du mal à travailler chez eux parce que c’est devenu prohibitif. Et c’est une possibilité en moins de parler de leur vie, de leur pays, de ce qui s’y passe, dans les endroits où ça se passe… Nous, avec nos films internationaux, nous essayons de nous poser ces questions : que raconte le lieu de tournage dans le film ? Que raconte-t-il pour l’auteur et pour l’histoire ? Et, ensuite, quelles sont les contraintes économiques qui se posent ? En termes de ligne éditoriale, concernant nos films produits majoritairement à l’étranger ou en langue étrangère, nous ne sommes pas guidés par de grands principes, nous suivons simplement nos désirs et les auteurs que nous rencontrons. Très souvent, c’est nous qui sommes à l’origine des rencontres, qui exprimons le désir de travailler avec certains auteurs. Là, c’est Jim Jarmusch qui est venu nous voir, c’était donc particulier. Le film avait besoin qu’une partie de son tournage ait lieu à Paris, et le crédit d’impôt international que nous avons obtenu fonctionnait parfaitement à tous les niveaux. Il s’applique extrêmement bien, il nous a permis de défendre l’idée de tourner à Paris, d’apporter notre contribution financière au projet, d’inciter à l’embauche de techniciens français, de prestataires français, etc. C’est un système qui nous allait très bien.

Obtenir le crédit d’impôt international nous a permis de défendre l’idée de tourner à Paris, d’apporter notre contribution financière au projet, d’inciter à l’embauche de techniciens français, de prestataires français, etc.

Le temps de préparation a-t-il été long ?

Pas particulièrement, non. Je pense que le temps de maturation du projet, pour Jim, a été assez long, parce que ça faisait quelque temps qu’il n’avait pas tourné. Mais au moment où nous avons entendu parler du film, Jim était sûr de lui, prêt à se lancer, très à l’aise avec ce qu’il avait écrit et pensé. Nous avons commencé à discuter du projet à Berlin, il y a deux ans, et ensuite tout est allé très vite. Le scénario nous est arrivé avec une idée de casting, une réflexion sur sa conception, sa fabrication… Je suis parti aux États-Unis, puis Jim est venu quelques jours en France, nous nous sommes baladés dans les quartiers qui ont ensuite servi au tournage. Il voulait valider sur place son approche de Paris. Je l’ai par ailleurs incité à tourner en Irlande, parce que nous avons une relation assez forte avec une société de production irlandaise, Hail Mary Pictures, notamment avec Richard Bolger, un producteur très professionnel et sensible.

Le tournage a eu lieu en mars 2024, dans un Paris qui se préparait aux Jeux olympiques. Comment l’avez-vous vécu ?

Cela n’a pas été gênant du tout. Il y a eu beaucoup de fantasmes en amont sur ce sujet, et des intervenants étrangers ont pu, pour ces raisons, se poser la question de la pertinence du tournage à Paris. Mais la Mission cinéma de la Ville de Paris (Paris film) a été très claire sur ce qui était faisable et sur ce qui était plus embêtant.

Pour résumer, quels sont pour vous les enjeux d’une production comme Father Mother Sister Brother ?

Il s’agit de réfléchir à la façon dont on accueille un auteur étranger – ou à moitié étranger, dans le cas de Jim. Il faut s’inscrire totalement dans son projet, avoir une vraie compréhension de la raison pour laquelle il vient tourner ici, ce qu’il y cherche. Pour moi, c’est ça le vrai enjeu. Le choix des techniciens était extrêmement important et Jim en a été très heureux. Obtenir les autorisations, trouver des lieux qui fonctionnent… Tout s’est fait très rapidement. Tourner dans les rues de Paris avec Jim Jarmusch, c’est un vrai plaisir de création.
 

Father Mother Sister Brother

Affiche de « Father Mother Sister Brother »
Father Mother Sister Brother Les Films du Losange

Réalisation et scénario : Jim Jarmusch
Production : CG Cinéma, Badjetlag, MUBI, Cinéma Inutile, Hail Mary Pictures, Saint Laurent by Anthony Vaccarello & Martin Katz
Distribution : Les Films du Losange
Ventes internationales : The Match Factory

Soutien sélectif du CNC Aide sélective à la distribution (aide au programme)

Le film a par ailleurs bénéficié du crédit d’impôt international (C2i)