Christophe Honoré : « J’avais envie de fuir tout esprit solennel »

Christophe Honoré : « J’avais envie de fuir tout esprit solennel »

09 octobre 2019
Cinéma
Chambre 212
Chambre 212 Jean-Louis Fernandez - Les Films Pelléas - Bidibul Productions - Scope Pictures - France 2 Cinéma
Avec Chambre 212, Christophe Honoré s’essaie pour la première fois à la comédie et suit les aventures d’une croqueuse d’hommes campée par Chiara Mastroianni. Il raconte la construction de ce personnage et son rapport à un genre nouveau pour lui.

Comment est née l’envie d’aborder pour la première fois le genre de la comédie ?

Christophe Honoré : Plaire, aimer et courir vite avait été très douloureux à faire car il m’avait replongé dans cette période de deuil de gens très jeunes autour de moi. En sortant de cette expérience, j’ai eu envie de revenir au plaisir qui fut à l’origine de mon désir de faire du cinéma. J’avais aussi en tête un péril qui menace parfois le cinéma d’auteur que j’aime : un esprit solennel. Comme une réaction logique aux menaces dont il est l’objet. Or si je suis si attaché aux cinéastes de la Nouvelle Vague, c’est parce que j’ai toujours aimé le caractère un peu adolescent, teigneux et potache de leurs films. J’avais envie de m’éloigner de cet esprit de sérieux, tout en faisant sérieusement les choses. Ainsi est né Chambre 212 où sous une apparence de comédie, je parle aussi de perte du désir, de nostalgie mélancolique… en laissant au spectateur le choix de privilégier une humeur par rapport à l’autre.

Chambre 212 est porté par un personnage féminin savoureux à qui vous donnez tous les attributs de la séduction habituellement réservés aux hommes. Pourquoi ce choix ?

Comme homme et comme cinéaste, il m’était impossible de ne pas réagir au mouvement #MeToo et aux témoignages de ces actrices qui ont fait part de la violence et de la domination qu’elles ont subies. Au départ, pour être franc, en tant que cinéaste homosexuel, je me sentais un peu étranger à ces questions de rapport hommes-femmes où le désir semble imposé. Je n’ai jamais eu l’impression d’avoir ce type de comportement avec mes comédiens. Mais j’ai aussi commencé à entendre des choses avec lesquelles je suis en profond désaccord. Quand des cinéastes femmes dont je respecte le travail expliquent qu’elles posent un regard singulier – car féminin – sur les histoires d’amour, je ne comprends plus. Cette idée d’une mise en scène « genrée » est embarrassante. Parce que dans ce cas je fais un cinéma gay qui s’opposerait à un cinéma hétérosexuel dominant ! C’est pour cela que j’ai eu envie de prendre un personnage féminin et de lui donner tous les défauts habituels des personnages masculins, mais en les traitant comme des qualités. C’était une réponse, ma réponse, à ce cinéma misogyne où la femme est toujours l’objet de conquête et l’homme toujours plein de mauvaise foi.

Vous avez eu des échanges à ce sujet avec Chiara Mastroianni qui l’interprète ?

On s’est dit qu’on devait être vigilants à ce que cette femme ne devienne pas antipathique à force d’être insupportablement cavalière dans sa manière d’être. Mais la force et l’intelligence de Chiara a été de l’incarner avec énormément d’ironie. Dès lors que son personnage s’isole pour réfléchir, il ne cesse d’être dans la culpabilité et de rendre encore plus catastrophiques les choses qu’il essaie d’arranger. Il devient très « woody allenien ».

Pourquoi avoir eu envie d’écrire ce nouveau chapitre de votre histoire commune (6 films) avec Chambre 212 ?

Parce que Chiara est très drôle dans la vie et que j’ai peu filmé cet aspect d’elle jusqu’ici. Ses personnages étaient la plupart du temps dans la peine. J’avais donc envie de lui donner un rôle où son humour allait pouvoir se déployer. Et ma rencontre avec Vincent Lacoste sur Plaire, aimer et courir vite a décoincé des choses en moi. Parce que l’humour ne peut se construire qu’entre plusieurs comédiens. En filmant Vincent, je me disais qu’il serait parfait avec Chiara. Ils ont le même genre d’attitude : cette tendance à se mettre en retrait.

Une comédie passe aussi par le rythme. Comment s’est orchestré celui, très rapide, de Chambre 212 ?

Souvent, dans le cinéma français, le naturalisme s’appuie sur l’étirement des scènes et l’idée que le comédien joue à hésiter sur la phrase suivante à dire. Là, je voulais exactement l’inverse : un duel permanent où chacun des protagonistes aurait toujours un coup d’avance et dirait donc sa réplique très vite. Un débit mitraillette que Chiara a hérité de sa mère.

Chambre 212, en salles ce mercredi 9 octobre, a bénéficié de l’aide sélective à la distribution (aide au programme) du CNC.