Cinéma et audiovisuel : comment la CinéFabrique forme en alternance aux métiers du tournage ?

Cinéma et audiovisuel : comment la CinéFabrique forme en alternance aux métiers du tournage ?

25 juin 2024
Cinéma
Depuis 2017, la CinéFabrique propose à ses étudiants de réaliser la troisième année de leur cursus en alternance. Ce modèle, qui s’adapte aux particularités du secteur des tournages, s’appuie sur un groupement d’employeurs (le GECA) et un dispositif de mutualisation des coûts et des salariés. Perrine Lottier, secrétaire générale de l’école, Valérie Mégard, responsable de l’alternance, et Julien Flick, directeur de production, décryptent les spécificités de ce système ainsi que ses avantages pour la filière.
Depuis la création du GECA, la CinéFabrique a formé 230 apprentis CinéFabrique

Depuis 2017, la CinéFabrique propose à ses étudiants de réaliser la troisième année de leur cursus en alternance. Ce modèle, qui s’adapte aux particularités du secteur des tournages, s’appuie sur un groupement d’employeurs (le GECA) et un dispositif de mutualisation des coûts et des salariés. Perrine Lottier, secrétaire générale de l’école, Valérie Mégard, responsable de l’alternance, et Julien Flick, directeur de production, décryptent les spécificités de ce système ainsi que ses avantages pour la filière.


Quelle est la genèse du Groupement d’employeurs cinéma et audiovisuel (GECA) proposé par la CinéFabrique ?

Perrine Lottier : Le GECA est né en 2017 de la volonté de Claude Mouriéras, directeur de la CinéFabrique. À l’époque, sa création répond à un triple enjeu. D’abord, le souhait d’ouvrir l’école aux profils les plus divers, dont ceux économiquement fragiles. Sur ce point, l’apprentissage lui a semblé la réponse la plus adéquate. Les apprentis sont considérés comme des salariés à part entière : ils sont rémunérés et bénéficient des droits au chômage en sortie d’école. La CinéFabrique a également voulu proposer aux élèves une pédagogie complète qui touche l’ensemble du spectre des métiers du tournage (son, image, postproduction, lumière…) et des activités des sociétés prestataires de services (prêts de matériels, loueurs…). Enfin, l’école a pris en compte les besoins des employeurs de la filière qui rencontraient des difficultés à embaucher des jeunes. En effet, la saisonnalité du rythme de travail du secteur cinématographique et audiovisuel ne permet pas à ses entreprises de recruter un alternant sur une année continue. La CinéFabrique a donc réfléchi à un modèle qui arrange à la fois les sociétés en leur permettant de recourir à un alternant pour un projet en particulier (un tournage, une postproduction de film ou un renfort technique), et les élèves en leur offrant un apprentissage complet. Chaque année, le groupement d’employeurs embauche 35 alternants – 7 par section – sur une durée de 11 mois et les met à disposition de ses membres (une trentaine de sociétés) en fonction de leurs besoins.

Quels types de sociétés peuvent adhérer au GECA ?

Valérie Mégard : Toute société immatriculée en France qui dépend de la convention collective cinéma ou audiovisuel. Les sociétés adhèrent au Groupement pour une année renouvelable. Les apprentis peuvent être envoyés en tournage à l’étranger tant qu’ils dépendent d’une société française adhérente au GECA. Les frais relatifs aux transports ou aux logements, notamment hors de nos frontières, sont pris en charge par les entreprises. Les apprentis sont en effet considérés comme n’importe quel salarié en CDD et CDI.

P.L : Le GECA propose un système de mutualisation des salariés et des coûts. Nous avons lissé le coût de l’apprenti quelque soit son âge. Nos adhérents paient tous le même tarif de mise à disposition de l’apprenti qui est de 70 euros hors taxes la journée. En revanche, la cotisation annuelle est proportionnelle à la taille de l’entreprise et de son chiffre d’affaires – à partir de 500 euros l’année pour la fourchette basse. Les petites sociétés peuvent ainsi recourir à l’apprentissage de la même manière que les sociétés de production plus importantes.

V.M : Le GECA s’occupe du suivi administratif de l’apprenti et des relations avec l’entreprise d’accueil. Celle-ci s’acquitte d’abord de sa cotisation annuelle puis, comme évoqué plus haut, le GECA facture la mise à disposition des alternants par jour de tournage – qui peut aller de quelques jours à quelques semaines (3 mois maximum). Ensuite, l’élève revient en formation jusqu’au prochain projet sur lequel il va être envoyé. L’apprenti est évalué de plusieurs façons, par l’entreprise où le tuteur (le chef de poste) remplit une grille d’évaluation, et par l’école avec une note de contrôle continu et une note finale d’examen.

L'apprentissage concerne tous les postes (script, mise en scène, régie, production, électricité, machinerie, son, postproduction, prestation de matériels…) CinéFabrique

Julien Flick, en tant que directeur de production, comment avez-vous connu le modèle d’alternance proposé par le GECA ?

Julien Flick : J’ai connu ce système en 2022 au moment du tournage en Auvergne-Rhône-Alpes d’Anatomie d’une chute, sur lequel j’ai travaillé comme directeur de production. Basées à Lyon, les équipes du GECA ont eu connaissance du tournage et m’ont donc sollicité pour m’expliquer le fonctionnement de l’alternance au sein de la CinéFabrique. C’est de cette façon que j’ai décidé d’engager mes premiers alternants sur le tournage du film de Justine Triet. Je n’ai pas été difficile à convaincre car j’avais déjà des retours positifs de collaborateurs qui employaient des apprentis avec ce système de mutualisation, dont des chefs de poste intervenant comme professeurs à la CinéFabrique. Pour ce film, nous avons engagé un apprenti à l’électricité, une apprentie à l’image caméra et une autre au son. Tous ont travaillé à temps plein sur le tournage qui a duré 9 semaines.

En quoi consiste la formation en alternance proposée par la CinéFabrique ?

V. M : L’alternance démarre en troisième année de cursus. Tous les cours sont dispensés par des professionnels en activité. Les entreprises peuvent embaucher des apprentis issus des cinq sections originelles (scénario, production, image, son et montage) et à partir de septembre 2025 des deux nouvelles sections que nous venons d’ouvrir (décors et supervision des effets spéciaux). Les élèves doivent pouvoir expérimenter tous les postes (script, mise en scène, régie, production, image caméra, électricité, machinerie, son, postproduction, prestation de matériels…) tout en acquérant les fondamentaux dispensés sous forme de modules à l’école. Pour y parvenir en respectant le rythme particulier de la filière et ses impondérables, nous construisons un emploi du temps personnalisé pour chacun de nos étudiants. Nous pouvons en effet être amenés à dépêcher au dernier moment un étudiant sur un tournage ou sur une postproduction de film. Ce modèle implique une organisation au cordeau où la souplesse est le maître-mot pour éviter que leurs cours empiètent sur leurs tournages.

P.L : Il nécessite parfois de doubler un cours pour intégrer les étudiants absents lors de la première session et retenus en entreprise. Nous proposons également du e-learning pour les apprentissages théoriques. Notre mission est de nous assurer que le référentiel de compétences qui a été mis en œuvre soit acquis en fin de cursus. Certaines compétences s’acquièrent à l’école, d’autres en entreprise. L’apprenti doit les intégrer d’une manière ou d’une autre. Voilà notre objectif. Un jeune formé seulement aux métiers du tournage en entreprise devra suivre absolument les modules sur la production et la postproduction, et inversement.

Le taux d’insertion professionnelle des apprentis de la CinéFabrique s’élève à 91 % CinéFabrique

Quels avantages voyez-vous à l’alternance ?

J.F : Quand l’étudiant arrive sur le plateau, après deux années passées à l’école, il maîtrise déjà les fondamentaux de la filière et a également pu découvrir d’autres types de poste sur d’autres tournages. Ces élèves comprennent la mécanique d’un plateau et s’intègrent facilement dans les équipes. Autre atout : le suivi personnalisé de chaque apprenti mené par le GECA et la CinéFabrique. Les équipes connaissent parfaitement leurs étudiants, leurs aptitudes et leurs aspirations. J’ajouterais que l’alternance est aussi une manière très concrète d’intégrer de nouveaux techniciennes et techniciens dans la profession. Un constat qui se vérifie particulièrement sur les tournages de séries qui nécessitent des équipes fournies. Certains apprentis recrutés sur la saison 2 d’Hippocrate de Thomas Lilti sont devenus des techniciens à part entière sur la saison 3 sur laquelle j’ai d'ailleurs travaillé comme directeur de production. 

V.M : L’alternance permet de créer des synergies et des binômes professionnels qui perdurent très souvent à la sortie d’école. Depuis la création du GECA, nous avons formé 230 apprentis à raison de 35 par année. Leur taux d’insertion professionnelle s’élève à 91 %. En 2026, 98 apprentis sortiront diplômés de la CinéFabrique grâce à l’ouverture des deux nouvelles sections décors et supervision des effets spéciaux et à celle de notre nouvelle école à Marseille.

J.F : Au gré des changements de dates de tournages ou encore de modifications de la composition de l’équipe, nous sommes parfois amenés à demander un alternant à la dernière minute. Les équipes du GECA possèdent une connaissance aigüe de l’écosystème des tournages et des impératifs que ses métiers impliquent en termes de flexibilité.

En quoi l’alternance dans les tournages est-elle un enjeu primordial pour l’avenir ?

V.M : Le modèle de l’apprentissage permet de parler à tout le monde et d’ouvrir le secteur à la diversité des profils. Je pense à la mixité sociale et économique, mais aussi au handicap. Sur ce sujet en particulier, le GECA et la CinéFabrique travaillent à développer en collaboration avec les entreprises l’accueil de jeunes en situation de handicap sensoriel, moteur, physique. Cette mission passe par un travail de sensibilisation des équipes et par la mise en place d’outils adaptés.

P.L : Aujourd’hui, le tarif de mise à disposition de l’alternant que nous avons réussi à mettre en place [70 euros HT par jour – ndlr] couvre les salaires des apprentis en entreprise. Le reste est couvert par l’aide à l’apprentissage octroyée par l’État pour chaque apprenti et versée au GECA. Grâce à la mutualisation des cotisations des entreprises, aux facturations des mises à disposition et aux aides à l’apprentissage, le GECA réussit à tenir son équilibre économique. Préserver le modèle de l’alternance et le rendre pérenne dans sa souplesse est un enjeu politique qui rassemble à la fois l’industrie et les pouvoirs publics. Nous devons investir dans des pédagogies innovantes, développer le e-learning… En échange, l’industrie doit être partie prenante de la formation des jeunes en renforçant son recours à l’apprentissage. La filière des tournages évolue et si nous souhaitons accompagner son développement, nous devons continuer à donner aux organismes de formation les moyens d’agir.

La CinéFabrique bénéficie du soutien du CNC.

Pour toute information : geca.contact@gmail.com