Mission cinéma de la RATP : « Il n’y a pas d’improvisation dans le métro »

Mission cinéma de la RATP : « Il n’y a pas d’improvisation dans le métro »

23 juin 2025
Cinéma
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La station cinéma Porte des Lilas décorée aux couleurs de "John Wick : Chapitre 4". 2023 Summit Entertainment, LLC. All Rights Reserved. / Murray Close for Lionsgate

Depuis ses origines, le cinéma tisse des liens avec les transports parisiens, comme en témoigne Juve contre Fantomâs de Louis Feuillade, tourné en 1913. Aujourd’hui, la mission cinéma de la RATP accompagne les productions qui choisissent d’installer leurs caméras au cœur de son réseau. Entretien avec Karine Lehongre-Richard, responsable des tournages cinéma RATP.


En quoi consiste la Mission Cinéma de la RATP ?

Karine Lehongre-Richard : Ce service centralise les demandes des régisseurs, directeurs de production, repéreurs, assistants réalisateur ou réalisateurs souhaitant tourner dans les transports en commun. Métro, RER, bus, tramway : le choix du lieu dépend de la nature de la séquence. Chaque projet est ensuite étudié pour en évaluer la faisabilité et proposer des solutions adaptées aux besoins du film.

Quels lieux de tournage sont disponibles dans le métro ?

Nous proposons en priorité la ligne de métro 3bis, la plus petite et moins fréquentée du réseau. Elle permet de tourner « en exploitation », c’est-à-dire en présence des voyageurs, mais dans une voiture privatisée - comme ce fut le cas pour Le Brio d’Yvan Attal. Jusqu’à quarante personnes peuvent y travailler. La ligne 6, en partie aérienne, est également très demandée. Elle offre un point de vue unique sur Paris : un travelling naturel au-dessus de la ville et de ses monuments. En revanche, pour ne pas perturber le trafic et les usagers, les équipes doivent se limiter à dix personnes. Nous veillons aussi à la cohérence des scénarios. Pour Les Olympiades de Jacques Audiard, qui se déroule dans le 13e arrondissement, la ligne 6 a été privilégiée. Si un réalisateur souhaite tourner sur une ligne particulière avec une équipe plus importante, il est possible d’insérer un train entier dans le trafic en journée et en heure creuse, un dimanche, un jour férié ou pendant les vacances scolaires. Si l’équipe du film préfère réaliser les images dans une rame récente ou une station très fréquentée, nous préconisons des prises de vue la nuit, en semaine entre 1h45 et 4h45, lorsque le réseau est fermé. Nous mettons également à disposition la station cinéma de Porte des Lilas, une station fermée au public et aujourd’hui exclusivement dédiée aux tournages.

Le Brio
Une séquence du film Le Brio d’Yvan Attal a été tournée dans la ligne 3bis.RATP

Quelles sont ses autres particularités ?

Cette station permet un contrôle total de la rame et des quais, condition indispensable pour certaines mises en scène. Elle donne également accès à près d’un kilomètre de tunnels, qui permettent de faire circuler un train de la ligne 3 et 3bis dans les deux sens, sous la supervision de nos équipes. Ce lieu offre aux productions une grande liberté : les équipes de décoration l’aménagent à leur guise, avec la possibilité de s’appuyer sur notre photothèque pour s’inspirer des différentes esthétiques du métro au fil des époques. Des films comme Les Femmes de l’ombre de Jean-Paul Salomé et Mauvais sang de Léos Carax y ont été tournés. Plus récemment, elle s’est transformée en « repère secret » pour John Wick : Chapitre 4 de Chad Stahelski. Nous y avons aussi accueilli le tournage du film de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques avec Zinédine Zidane. Outre sa discrétion, la station cinéma offre de l’espace, ce qui est un atout pour des scènes complexes, comme dans Sauver ou périr de Frédéric Tellier, où dans une séquence les pompiers devaient intervenir sur les voies lors d’un grave incident voyageur.

La Station Cinéma
La station cinéma de Porte des Lilas, prête à accueillir des tournages.CNC

Qu’en est-il des RER, bus et tramways ?

Certaines stations de RER peuvent être mises à disposition pour des tournages, en soirée principalement, en raison de leur forte affluence en journée. La ligne A a récemment accueilli le tournage de L’Histoire de Souleymane de Boris Lojkine et de Dossier 137 de Dominik Moll. Concernant les bus, il n’est pas possible de tourner à l’intérieur quand ils sont en exploitation. Nous mettons donc à disposition du tournage un véhicule et des machinistes pour une durée de quatre à huit heures, comme ce fut le cas pour Vie privée de Rebecca Zlotowski. Nous vérifions si l’itinéraire souhaité par la production est possible, et celle-ci se charge de prévoir un espace de stationnement pour le bus car nous ne pouvons pas utiliser les arrêts en service. Quant aux tramways, les tournages sont possibles en équipe très réduite en heures creuses.

Quelles sont les étapes de préparation en amont d’un tournage dans les transports ?

Le contact avec les productions s’établit assez tôt pour nous permettre de planifier les tournages, surtout lorsqu’ils ont lieu la nuit. Ils sont considérés comme de véritables chantiers, au même titre que les travaux nocturnes souvent programmés sur le réseau. Il est donc essentiel de réserver une date rapidement pour mobiliser les moyens nécessaires à leur organisation. Avant de lancer le processus, nous vérifions toujours avec la production qu’aucune alternative n’est envisageable. Le repérage constitue la phase la plus importante de la préparation, car le réalisateur imagine in situ la mise en scène de la séquence. C’est aussi l’occasion pour nous de proposer des décors parfois méconnus ou sous-estimés, comme des escaliers qui peuvent offrir une dynamique de déplacement plus intéressante qu’un simple couloir. Nous définissons ensuite, avec la ligne concernée, les modalités du tournage : les effectifs, les horaires, les contraintes techniques, les questions de sécurité. L’ensemble du tournage est encadré par un plan de prévention, qui définit les règles à respecter afin de garantir les meilleures conditions de travail pour les équipes de tournage et le personnel RATP, dans le respect du fonctionnement normal du réseau et de ses usagers. Enfin, nous élaborons un devis et une convention de tournage. Cette préparation est indispensable : il n’y a pas d’improvisation dans le métro. Le travail est ainsi plus serein car chacun connaît son rôle sur le plateau.

L'Histoire de Souleymane
L’Histoire de Souleymane de Boris Lojkine a investi le RER A et un bus.Pyramides Films

Quel type de production vous sollicite en général ?

Nous recevons des demandes variées de productions exécutives pour des films étrangers, majoritairement américains, mais surtout des productions françaises. Nous accueillons aussi quelques clips vidéo, téléfilms et séries, assez peu de courts métrages. Des publicités parfois. La plus marquante reste celle de L’Interdit de Givenchy, avec Rooney Mara et réalisée par Todd Haynes.

Comment répondez-vous aux demandes spécifiques des films d’époque en matière de décors ?

Nous ne pouvons pas satisfaire toutes les demandes : nous ne disposons plus, par exemple, de décors ou de rames des années 1980 même s’il reste encore du matériel ancien sur certaines lignes, celles-ci sont aux couleurs d’aujourd’hui et sont remplacées par des nouveaux équipements. En 2008, pour Mesrine de Jean-François Richet, nous avons pu tourner sur la ligne 2 avec l’un des derniers MF67 encore en circulation sur cette ligne. Une fois la rame pelliculée aux couleurs des années 1970, nous l’avons insérée dans le trafic. Aujourd’hui, nous ne pourrions plus le faire, le matériel sur la ligne 2 étant plus récent. Idem pour la ligne 6 où circulent des nouvelles rames. Nous disposons également d’une rame historique, la Sprague-Thomson. Elle a été utilisée à l’occasion de Julie & Julia de Nora Ephron, qui voulait montrer un véritable train des années 1960. Comme Jean-Marc Vallée dans Café de Flore. Certaines stations restent en pierre de taille et sans éléments contemporains comme la station Place Monge visible dans Ma mère, Dieu et Sylvie Vartan de Ken Scott. Elles sont plus simples à transformer. L’équipe de L’Écume des jours de Michel Gondry a très joliment végétalisé l’entrée de la station Botzaris. Et pour le spin-off de The Walking Dead, Daryl Dixon, des zombies ont envahi la station cinéma et la sortie de métro Saint-Georges de nuit. Pour certains éléments, notamment les bus anciens dont nous sommes de moins en moins pourvus, nous collaborons avec des associations. Le matériel évolue.

The Walking Dead
Les zombies de The Walking Dead : Daryl Dixon à l’intérieur de la station cinéma. Emmanuel Guimier/AMC

Quel accompagnement logistique proposez-vous le jour du tournage ?

Nous mobilisons environ cinq agents parmi les équipes des lignes pour accompagner et sécuriser les tournages en exploitation. Nous informons aussi les voyageurs, afin qu’ils sachent que le tournage est autorisé par la RATP. Les agents canalisent les flux de voyageurs en les orientant par exemple vers une autre voiture, une autre sortie… Lors des tournages réalisés aux entrées de stations, souvent en heures creuses en semaine et parfois le dimanche en raison de la faible affluence, la circulation n’est pas interrompue : une canalisation intermittente est mise en place le temps de la prise de vue. Le tournage s'adapte aux contraintes. En revanche, les tournages dans la station cinéma de Porte des Lilas nécessitent des moyens humains plus importants, tels que des techniciens chargés de l’alimentation électrique de la voie, ou encore des conducteurs.

Pourquoi les cinéastes mettent-ils en scène les transports parisiens ?

Le métro fait partie de la routine, du quotidien. C’est un décor naturel pour les spectateurs : ils le voient mais n’y prêtent pas vraiment attention. Pourtant, derrière une simple scène, l’organisation nécessaire est bien plus complexe qu’on ne l’imagine. Au cinéma, les transports symbolisent le mouvement, les transitions, les liens entre deux séquences. Ils permettent aussi de situer l'action à Paris ou en Île-de-France. Certains réalisateurs choisissent de filmer le métro pour représenter la ville autrement. Il peut s’agir d’une simple entrée, comme dans La Venue de l’avenir de Cédric Klapisch, dans une station pour Nino de Pauline Loquès, ou d’une rame de métro comme dans le film Des preuves d’amour d’Alice Douard. Le métro reflète une certaine réalité et constitue une part importante du paysage parisien.

Quelques chiffres clés

  • Un tournage par semaine en moyenne
  • 60 productions et 80 jours de tournage par an sur l’ensemble des lignes
  • 5 tournages à la station cinéma de Porte des Lilas par an
  • Une majorité de tournages sur la ligne 3bis, mais aussi sur les deux lignes aériennes (6 et 2). Toutes les lignes restent utilisables selon les besoins du réalisateur.