Pourquoi avoir attendu si longtemps entre deux films pour le cinéma ?
L’expérience de mon dernier long métrage, Les marins perdus (2002) a été douloureuse. Le film s’est retrouvé bloqué pendant 3 ans après la faillite de la société qui l’avait produit. Il y a eu aussi la mort tragique de Marie [Trintignant] qui figurait au générique. Si j’adorais mon film, tout ce qui l’entourait était tragique. J’ai essayé de développer plusieurs projets mais je n’ai pas réussi à les monter financièrement. Je fais des longs métrages dits du « milieu », c’est-à-dire avec des budgets qui sans être énormes représentent tout de même un risque que beaucoup ne veulent plus prendre. Heureusement, entre-temps, Pierre Chevalier, qui dirigeait l’unité de fiction d’Arte jusqu’en 2003, m’avait appelée et proposé de faire des films pour la télévision avec une totale liberté quant au choix des sujets. J’ai tourné La voleuse de Saint-Lubin (1999) avec Dominique Blanc que j’ai ensuite dirigée dans Le pendu (2007) d’après Henry James. J’ai toujours envisagé la télévision comme un lieu d’expérimentation. Il est évident qu’au cinéma tout est plus encadré, ce qui incite à la prudence. Si vous sortez des clous, ça devient très compliqué.
Qu’est-ce qui a permis ce retour au cinéma avec Pauvre Georges ! ?
Dominique Besnehard. C’est lui qui est venu me chercher. Il voulait me produire et nous avons cherché ensemble un sujet. Très vite, j’ai pioché dans l’œuvre de la romancière américaine Paula Fox que j’admire beaucoup et dont j’ai quasiment lu tous les livres. L’idée n’était pas de commencer avec un gros budget. Pauvre Georges ! repose sur une petite économie. Le tournage a duré 30 jours. Mon expérience à la télé a été précieuse.
Qu’est-ce qui vous plaisait dans la prose de Paula Fox et particulièrement dans son roman Pauvre Georges ! ?
Je me souviens encore de ma lecture de Personnages désespérés. Paula Fox avait [la romancière est décédée en 2017] une lucidité incroyable. On dirait Tchekhov, Pirandello, ou plus proche de nous, Phillip Roth avec ce même regard critique mais tellement juste sur nos sociétés modernes. Pauvre Georges ! raconte l’histoire d’un professeur français qui choisit de s’exiler à la campagne, au Québec, pour redonner du sens à sa vie, son métier, son couple. Il est à la recherche d’une nouvelle harmonie. Il refuse d’abdiquer et de se soumettre à la prudence ambiante qui voudrait que rien ne change. Bien qu’écrit à la fin des années soixante [le roman ne sera publié en France qu’en 1989], Pauvre Georges ! évoque déjà « les bobos », ces hommes et ces femmes qui veulent du confort, se disent de gauche mais gardent des réflexes bourgeois. L’idée que ce héros soit un enseignant me plaisait car un professeur est un personnage tragique. Il porte en lui des enjeux de société très forts. Il est confronté tous les jours à des élèves venant d’horizons sociaux différents. Ici le personnage décide de bouger vers un ailleurs à priori plus conforme à ses désirs d’avenir, cela créait d’emblée de l’action, de la dynamique, du suspense et donc du cinéma. Georges va bientôt rencontrer Zack, un adolescent déscolarisé. Il va tout faire pour l’aider. Jusqu’à l’aveuglement.
Le ton de votre film est multiple. Il y a du thriller, du fantastique, de la comédie… C’était déjà le cas dans le roman ?
Oui, c’est pourquoi je suis en osmose avec cette auteure. Personnellement, je n’aime pas le vérisme, encore moins le pathos, ni le mélodrame… Cette façon de vouloir plaire au spectateur par tous les moyens ne m’intéresse pas. Au contraire, je cherche le décalage, je veux que ça grince… En plus du roman, j’avais à l’esprit le film Ice Storm d’Ang Lee. Je me souviens de ces couples à la campagne et de tous leurs fantasmes qu’ils projetaient sur leurs enfants. Paradoxalement, les enfants, eux, se sentaient profondément abandonnés, seuls.
En quoi Grégory Gadebois était-il un Georges idéal ?
J’ai dirigé Grégory, il y a huit ans, dans mon film Rapace, une commande d’Arte autour de la crise des subprimes. Il jouait un trader fou. Il était formidable et totalement imprévisible. Grégory a le physique de monsieur tout le monde, c’est un passe-muraille… Georges est comme ça, un enseignant sans trop d’histoires, installé dans une vie qu’il voudrait simple. Georges va se révéler d’une complexité insoupçonnable, à travers un comportement nerveux, des choix qui désarçonnent soudain son entourage et son obstination à foncer vers une violence sourde. J’aime les personnages d’apparence simple mais qui portent un chaos intérieur. Grégory est le seul acteur français capable de me donner ça. Complexe mais toujours accessible.
On imagine que trouver le bon comédien pour interpréter Zack n’a pas dû être simple ?
En effet, ce personnage est un miroir. J’ai d’ailleurs dit à Noah Parker, son interprète : « Tu dois refléter ce que les autres ont envie de voir de toi ! » J’ai conscience que ce que je lui demandais était impossible ! Au départ, les responsables du casting voulaient que je prenne Antoine Olivier Pilon dont la notoriété a explosé avec Mommy de Xavier Dolan. Je n’étais pas convaincue, d’autant qu’il me semblait trop âgé pour le rôle. Finalement, son emploi du temps ne lui a pas permis de faire le film. C’était un signe. J’ai reçu des essais réalisés par des comédiens avec leur téléphone portable. Je ne suis pas très fan de ces méthodes, mais il faut bien reconnaître que ça simplifie les choses. Lorsque j’ai vu Noah, j’ai compris que ce serait lui. Il s’est imposé immédiatement. Il avait ce mystère que je recherchais.
Pauvre Georges ! sort en salles le mercredi 3 juillet.
Le film a été soutenu par le CNC au titre de : l'Avance sur recettes après réalisation, l'Aide à l'édition en vidéo physique.