Claudia Cardinale, frondeuse légendaire

Claudia Cardinale, frondeuse légendaire

24 septembre 2025
Cinéma
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Claudia Cardinale
Claudia Cardinale Donation Sam Lévin, Ministère de la Culture (France), Médiathèque du patrimoine et de la photographie, diffusion Grand Palais Rmn Photo

Surnommée la « petite fiancée d’Italie » depuis le film à succès de Valerio Zurlini La Fille à la valise en 1961, Claudia Cardinale se définissait avant tout comme une actrice frondeuse éprise de liberté. Riche d’une carrière de plus de 150 rôles aux cotés de grands cinéastes tels que Federico Fellini, Luchino Visconti, Sergio Leone ou encore Henri Verneuil, elle a interprété des personnages incarnant force, détermination et résilience. Du Plus Grand Cirque du monde aux Pétroleuses en passant par Il était une fois dans l’Ouest, ses rôles de femme combattante et téméraire ont marqué l’histoire du cinéma. Retour sur le parcours d’une actrice légendaire.


De Tunis à l’Italie

Issue d’une famille italienne, Claudia Cardinale naît à Tunis en 1938. Son père étant particulièrement strict, Claudia Cardinale ne découvre le cinéma qu’à l’âge de 16 ans. Elle fait alors une apparition dans le documentaire Anneaux d’or du cinéaste René Vautier où elle représente la jeunesse féminine tunisienne. Présenté à Berlin, le film, qui remporte l’Ours d’argent, est diffusé dans toutes les salles de Tunis. Rapidement, la jeune actrice devient une célébrité locale. Repérée par Jacques Baratier, elle interprète une jeune domestique dans Goha aux côtés d’Omar Sharif. Cette apparition marque ses débuts au cinéma et le film est présenté en sélection officielle en compétition au Festival de Cannes 1958 où il reçoit le prix « le premier regard » de la section Un Certain Regard.

Mais c'est en 1957, lors de la Semaine du film italien à Tunis organisée par Unitalia Film, que celle qui se décrivait comme un garçon manqué « toujours prête à se bagarrer pour démontrer que les filles étaient au moins aussi fortes que les garçons » fait une percée décisive. Elle remporte, de manière fortuite, le prix de la « plus belle Italienne de Tunisie », ce qui lui vaut un voyage à Venise lors de la Mostra. Sur la plage vénitienne, tous les projecteurs sont braqués sur elle.
Un grand producteur italien, Franco Cristaldi, la prend sous son aile et la fait tourner alors qu’elle est enceinte. « La naissance de mon petit garçon, à la suite d’un viol, m’a poussée à m’engager dans le cinéma pour gagner ma vie et être indépendante. », livre-t-elle dans un entretien donné au journal Le Monde

Après avoir signé un contrat d’exclusivité avec la production La Vides Cinematografica pour une durée de sept ans, Claudia Cardinale fait ses premiers pas en Italie dans Le Pigeon de Mario Monicelli, présenté à Cannes et aux Oscars, Trois étrangères à Rome de Claudio Gora ou encore Les Noces vénitiennes d’Alberto Cavalcanti. « J’ai joué tous les rôles, les amoureuses, les filles faciles, les prudes, les méchantes, les naïves…  J’aime me transformer devant la caméra, être une autre. Je deviens le personnage quand j’ai le costume, le maquillage, je ne suis pas du tout Actor’s studio. Ce qui plaisait aux metteurs en scène, c’est que je devenais ce qu’ils voulaient. J’ai vécu 100 vies mais je n’oublie jamais qui je suis », raconte l’actrice dans son autobiographie Mes étoiles aux éditions Michel Lafon (2005).

La petite fiancée d’Italie

Le cinéma italien est à son apogée et Claudia Cardinale tourne une cinquantaine de films entre 1958 et 1973. Les plus grands metteurs en scène italiens font appel à sa photogénie. Elle est choisie par Pietro Germi en 1959 pour jouer dans Meurtre à l’italienne, pour lequel elle est en tête d’affiche pour la première fois de sa carrière. Grâce à la direction de l'acteur-réalisateur bourru et laconique, avec lequel naît une affinité immédiate, Claudia Cardinale commence à apprendre réellement ce qu'est le jeu d'actrice et à se sentir à l'aise devant la caméra.

À partir de 1960, l’actrice s’illustre régulièrement chez Mauro Bolognini. Elle donne la réplique à Marcello Mastroianni dans Le Bel Antonio, Lion d’or au Festival international de Locarno. En 1961, deux de ses films sontsélectionnés au Festival de Cannes : La Viaccia (Le Mauvais chemin) de Bolognini – son premier film avec Jean-Paul Belmondo –, et La Fille à la valise de Valerio Zurlini, qui lui offre son premier grand rôle et lui permet d’accéder au rang de « petite fiancée d’Italie ».

L’année suivante, Federico Fellini l’engage dans Huit et demi aux côtés de Marcello Mastroianni et Anouk Aimée tandis que Luchino Visconti la choisie pour donner la réplique à Alain Delon – avec qui elle a joué dans Rocco et ses frères – et Burt Lancaster dans Le Guépard. « Cette époque était folle. Car j’ai tourné les deux films en même temps. Visconti, précis, méticuleux comme au théâtre, me parlait en français et me voulait brune aux cheveux longs. Fellini, bordélique et dépourvu de scénario, me parlait en italien et me voulait plutôt blonde aux cheveux courts. Ce sont les deux films les plus importants de ma vie. », livre-t-elle avant de poursuivre : « Visconti m’a permis d’exprimer la force, l’énergie que je cachais au fond de moi. Fellini m’a rendu ma voix : c’est lui qui a exigé pour Huit et demi que je joue en italien, quitte à avoir l’accent français. »

En effet, à cause de sa voix rauque, Claudia Cardinale est doublée tout au long de son début de carrière avant de rencontrer Fellini. Le cinéaste convainc même le réalisateur Luigi Comencini de ne pas doubler la jeune femme dans La Ragazza di Bube (1964), film qui vaut à l’actrice sa première grande récompense : le ruban d’argent, décernée par le Syndicat national des journalistes cinématographiques italiens. Quant à Visconti, elle le retrouve sur le film Sandra, qui marque leur troisième collaboration. Ce film donne l’opportunité à l’actrice d'exprimer pleinement ses capacités dramatiques et remporte le Lion d'or à la Mostra de Venise en 1965.

Reconnaissance mondiale

À sa sortie en salles, Le Guépard rencontre un succès qui dépasse les frontières européennes. Palme d’or à Cannes en 1963, il permet à l’actrice, polyglotte, d’accéder à une carrière internationale.

Repérée par Blake Edwards, Claudia Cardinale est à l’affiche de son premier film américain, La Panthère Rose aux côtés de David Niven. Grand succès commercial à sa sortie en 1963, ce premier opus est suivi d’une série de films et donne naissance au personnage d'animation du même nom. Sur le tournage du Plus Grand Cirque du monde d’Henry Hathaway l’année suivante, l’actrice donne la réplique à John Wayne et Rita Hayworth qu’elle admire tant. Elle y interprète une jeune écuyère, étoile montante du cirque, rôle pour lequel Claudia Cardinale réalise ses propres cascades malgré son vertige. Frondeuse et téméraire, elle est amenée à remplacer sa doublure dans Les Professionnels (1966) de Richard Brooks avec Burt Lancaster, où elle traverse à cheval le canyon au galop entre deux explosions.

Peu de temps après, elle retrouve Alain Delon sur le tournage des Centurions de Mark Robson en 1966 aux côtés d’Anthony Quinn et Michèle Morgan. S’ensuit le tournage d’Il était une fois dans l’Ouest en 1968 de Sergio Leone. Dans ce western désormais culte, l’Italienne joue une ancienne prostituée de la Nouvelle-Orléans amenée à fonder une ville où passera le chemin de fer. Son personnage symbolise l’espoir d’un nouveau pays, plus droit, plus régenté et humain, où les figures hors-la-loi et indomptées sont condamnées à disparaître. Aux côtés de Charles Bronson, c’est elle la véritable héroïne du film. Fait marquant car à cette époque, les femmes étaient jusqu’alors inexistantes ou uniquement secondaires dans les westerns.

Carrière franco-italienne

Si Hollywood lui tend les bras, Claudia Cardinale repousse pourtant le contrat mirobolant des studios Universal pour ne signer que des films au coup par coup. L’Europe lui manque. La voici de retour à Cinecitta où elle tourne Les Aventures du brigadier Gérard (1970), comédie de Jerzy Skolimowski. 

Elle reçoit alors un scénario de western décalé. Elle accepte le rôle et impose Brigitte Bardot, son alter ego français, comme partenaire de jeu. Les Pétroleuses de Christian-Jaque sort en 1971. En haut de l’affiche, les deux stars incarnent des hors-la-loi qui se disputent un butin. Pour la scène emblématique du duel, on propose à Claudia Cardinale d’être doublée. Ayant fait de la lutte dans sa jeunesse, l’actrice, au tempérament de casse-cou, refuse et réalise à nouveau ses cascades. Rivales devant la caméra, les deux jeunes femmes sont amies lorsque celle-ci s’éteint, contrairement à ce que tentent de véhiculer les médias.

Ayant conquis le cœur du public français depuis Cartouche, film de cape et d’épée de Philippe de Broca où elle donne la réplique à Jean-Paul Belmondo, Claudia Cardinale mène sa carrière tambour battant en France comme en Italie. Elle tourne dans l’Hexagone aux côtés de Michèle Morgan, Danielle Darrieux, Lino Ventura et Jean-Claude Brialy dans Les Lions sont lâchés d’Henri Verneuil. Puis, elle retrouve l’ami Belmondo sur le tournage de La Scoumoune de José Giovanni, autre grand succès populaire. Le réalisateur et l’actrice deviennent amis, et lorsque celui-ci lui propose de jouer aux côtés de Lino Ventura dans Le Ruffian en 1982, elle n’hésite pas une seconde.

Année 1974. « La petite fiancée d’Italie » retrouve Visconti et Burt Lancaster sur le tournage de Violence et Passion. Cette même année, elle se marie avec le réalisateur Pasquale Squitieri avec qui elle tournera plus d’une dizaine de films dont Lucia et les Gouapes (1974), L’Affaire Mori (1977), Corleone et Homicide volontaire (1978). En 1990, elle incarne une veuve courageuse qui élève seule ses deux enfants dans Acte d’amour, un rôle pour lequel elle reçoit le prix de la meilleure actrice aux Golden Globes.

Prolifique, l’actrice inspire bien des cinéastes de renom. Marco Bellocchio en 1984 (Henri IV),  Nadine Trintignant en 1985 (L’Été prochain) ou encore Luigi Comencini en 1986  (La Storia). Claudia Cardinale s’illustre également chez Diane Kurys dans Un homme amoureux, présenté en ouverture à Cannes en 1987. En 1991, Henri Verneuil l’appelle pour jouer dans son film autobiographique Mayrig puis dans la suite 588 rue Paradis. L’œuvre retrace l’évolution d’une famille de réfugiés arméniens, arrivés à Marseille pour fuir le génocide orchestré dans leur pays. Sur ce tournage elle retrouve Omar Sharif, son partenaire dans son premier film Goha.

Postérité

L’actrice qui a campé plus d’une centaine de personnages pour des prestigieux réalisateurs est récompensée à travers le monde. Elle reçoit le Lion d'or en 1993 à la Mostra de Venise pour l'ensemble de sa carrière, l’Ours d'or d'honneur au Festival de Berlin en 2002, le Prix Henri-Langlois de Vincennes en 2006, le Prix Lumière en 2013.

Toujours en quête de personnages inédits et de nouveaux défis à relever, Claudia Cardinale continue d’enchaîner les tournages avec la même vitalité à plus de 70 ans. Elle rejoint Claude Lelouch dans And now... Ladies and Gentlemen (2001), Nicole Garcia  dans Un balcon sur la mer (2010), Fernando Trueba dans L'Artiste et son modèle avec Jean Rochefort (2012), Olivier Marchal dans le polar Bronx (2020) ou encore Ridha Béhi sur L'Île du pardon (2022).

« Le cinéma est resté un symbole d’indépendance. Il m’a permis de faire des rencontres magiques. Normalement, on n’a qu’une vie. Pour ma part, j’en ai vécu plusieurs, presque 150, pendant lesquelles j’ai tenu tous les rôles de la littérature. Cela m’a beaucoup aidée et enrichie. », témoigne-t-elle dans un entretien.

Artiste éprise de liberté, Claudia Cardinale a toujours adopté des positions politiques marquées par des idées progressistes et de partage. Elle a consacré son engagement public à promouvoir et à soutenir le respect des droits de l'homme. « J’ai eu beaucoup de chance. Ce métier m’a offert une foule de vies. Et la possibilité de mettre ma notoriété au service de nombreuses causes : les droits des femmes, car je suis féministe. Le combat contre le sida et la peine de mort avec Amnesty International. Les enfants du Cambodge… »

Nommée « actrice de bonne volonté » par l’UNESCO en 2000, l’artiste philanthrope lance en 2023 la Fondation Claudia-Cardinale dans le but d'aider les jeunes artistes du monde entier à émerger et à faire leur chemin dans le monde du spectacle.