De « Pile poil » à « Maria rêve », itinéraire d’un passage du court au long par le duo Lauriane Escaffe et Yvo Muller

De « Pile poil » à « Maria rêve », itinéraire d’un passage du court au long par le duo Lauriane Escaffe et Yvo Muller

03 octobre 2022
Cinéma
Karin Viard dans « Maria rêve » de Lauriane Escaffre et Yvo Muller.
Karin Viard dans « Maria rêve » de Lauriane Escaffre et Yvo Muller. Julien Panié

Césarisés en 2020 avec le court métrage Pile poil, Lauriane Escaffre et Yvo Muller passent pour la première fois au format long avec Maria rêve, l’histoire d’amour entre une femme de ménage et le gardien de l’École des beaux-arts où elle vient d’être embauchée.


Si Maria rêve marque vos premiers pas dans le long métrage, vos débuts derrière la caméra remontent à 2012 avec le court Bon mélange pour la colle. Qu’est-ce qui vous a donné envie de passer à la réalisation ?

Lauriane Escaffre : Yvo et moi sommes comédiens. Mais pour ne plus être dépendants des autres, on avait monté un collectif avec plusieurs amis [dont Olivier Ducray, le coréalisateur de Jumeaux mais pas trop, en salles depuis le mercredi 28 septembre, Ndlr] avec l’envie de raconter nos propres histoires. 

Yvo Muller : Un jour, on a décidé de participer au 48 Hour Film Project, un concours proposant de réaliser un court métrage en seulement deux jours avec une série de contraintes, en se disant qu’on n’avait rien à perdre. Que si on se plantait, on abandonnerait et que personne n’en saurait rien ! (Rires.) Et puis notre film a été retenu parmi les finalistes avant de décrocher plusieurs prix, dont celui du scénario. Cela nous a encouragés à continuer.

Lauriane Escaffre : Dans la foulée, toujours avec le même collectif, on a réalisé quatre autres courts métrages autoproduits et, à chaque fois, nous nous sommes retrouvés sélectionnés dans des festivals de plus en plus renommés. Mais cet enchaînement nous a permis aussi de nous confronter à nos faiblesses, tant du point de vue de la réalisation que du scénario. Il nous a également poussés à nous former.

Yvo Muller : Des formations à l’écriture notamment, car pour nous, c’était le nerf de la guerre.

Lauriane Escaffre : Yvo a fait le CEEA (le Conservatoire européen des Écritures Audiovisuelles) et moi la Fémis dans la section scénario. C’est pendant cette période que, petit à petit, on a eu envie de développer nos projets en duo, hors du collectif. On se lance en 2015 avec Chèvre ou vache, dont on tenait aussi les rôles principaux : un couple qui, depuis la naissance de ses jumeaux, vit tout en double, à commencer par la fatigue, les disputes et les emmerdes en tout genre. On a eu la chance d’être sélectionnés à l’Alpe d’Huez et de recevoir de nombreux prix dans différents festivals. À l’issue de l’une de ces projections, un producteur, Emmanuel Wahl, est venu nous voir pour nous proposer de travailler ensemble.

Yvo Muller : On a un petit carnet avec toutes les idées de films qu’on avait accumulées au fil des années.

Lauriane Escaffre : On les lui a toutes présentées et il a flashé sur Pile poil, l’histoire d’une jeune femme s’apprêtant à passer l’épreuve d’épilation de son CAP d’esthéticienne alors que son père aimerait qu’elle l’aide davantage dans sa boucherie. Une idée inspirée par l’une de nos amies qui nous avait raconté la galère qu’elle avait vécue pour trouver en plein mois de juin un modèle avec un centimètre de poils sur les jambes pour passer son examen d’esthéticienne ! (Rires.) Nous nous sommes lancés dans l’écriture et Pile poil a réussi à voir le jour, même si son financement fut compliqué.


Pile Poil reçoit un César du court métrage en 2020, notamment face à Fanny Liatard et Jérémy Trouilh (Chien bleu) et Maxime Roy (Beautiful Loser). Un trophée décisif dans votre passage au long métrage ?

Lauriane Escaffre : Il a évidemment joué un rôle, mais pas décisif. Tout avait basculé pour nous un an plus tôt, en janvier 2019, lors de la présentation de Pile poil en compétition au festival de la comédie de l’Alpe d’Huez. On était projetés juste avant Mon bébé de Lisa Azuelos… avec tout le cinéma français dans la salle ! Et l’accueil a été incroyable. Lisa a été d’une générosité folle en disant sur scène son amour pour notre film avant la projection. Dans la foulée, avant même de figurer au palmarès, on a reçu énormément de propositions de producteurs. Et on a signé pour trois projets en développement avant même les César, dont la version longue de Pile poil et Maria rêve avec Quad, qui a donc été le premier à réunir son financement. 

[...]j’avais envie de raconter l’histoire d’une femme de ménage qui allait s’autoriser à être visible et trouver sa propre créativité, son intériorité, sa féminité et sa sensualité.

Comment naît l’idée de cette histoire d’amour qui percute la vie d’une femme de ménage, mariée depuis vingt-cinq ans, quand elle rencontre le gardien de l’École des beaux-arts où elle vient d’être engagée ?

Lauriane Escaffre : Ma grand-mère était femme de ménage. Enfant, je passais beaucoup de temps avec elle, y compris sur ses lieux de travail. Et, très jeune, j’avais été interloquée par sa manière de se rendre invisible pour répondre à ce qu’on lui demandait : être la plus discrète possible. Cela faisait donc longtemps que j’avais envie de raconter l’histoire d’une femme de ménage qui allait s’autoriser à être visible et trouver sa propre créativité, son intériorité, sa féminité et sa sensualité.

Maria et Hubert – incarnés par Karin Viard et Grégory Gadebois, que vous retrouvez après Pile poil – s’inscrivent dans la droite lignée des héros de la plupart de vos films courts : des femmes ou des hommes qui veulent sortir des cadres et s’échapper de leurs vies en apparence toutes tracées…

Lauriane Escaffre : Vous avez raison même si ce sont toujours des gestes à chaque fois inconscients. On développe ces personnages et cette thématique parce qu’au fond leurs histoires sont proches des nôtres.

Yvo Muller : Rien au départ ne nous prédestinait à devenir comédien ou réalisateur. Quand nous nous sommes rencontrés, on a découvert que nos deux parcours étaient similaires. Nos parents nous ont poussés à suivre des études dans de grandes écoles de commerce. Une fois diplômés, on a commencé à travailler dans cet univers-là : moi dans la finance, Lauriane dans le marketing. Avant d’essayer de trouver quelque chose qui nous correspondait plus : l’envie de jouer la comédie, alors qu’on n’avait absolument aucun contact dans le milieu du cinéma.

Comment vous répartissez-vous les tâches à l’écriture ?

Lauriane Escaffre : Pour tout dire, on n’est pas très structurés… (Rires.)

Yvo Muller : On se met autour d’une table et on échange, l’un réagit à l’idée de l’autre et ainsi de suite. 

Lauriane Escaffre : Et pour les dialogues, on s’appuie sur notre métier de comédien. On joue toutes les scènes une fois écrites, on fait aussi des improvisations qu’on enregistre et on garde ce qui fonctionne. 


Quelle est la plus grande différence entre l’écriture de vos courts et celle de ce premier long ?

Lauriane Escaffre : Le travail sur la structure du récit. Parvenir à trouver cette structure nous a pris énormément de temps alors que nous avions l’habitude d’écrire nos courts très vite.

Yvo Muller : C’est même nous qui avons réclamé un script doctor, une fois parvenus à une version que nos producteurs jugeaient pourtant aboutie, pour avoir un point de vue extérieur. Notamment sur les seconds rôles. Je pense au personnage du mari de Maria qu’il ne fallait pas trop charger pour éviter qu’on se demande pourquoi elle ne le quitte pas dès le départ, ce qui aurait totalement décentré le récit.

Une fois sur le plateau, vous avez changé de méthode de travail ?

Yvo Muller : Non, on fonctionne toujours de la même manière. Contrairement à la phase d’écriture, on se répartit les choses pour qu’il n’y ait jamais de double discours sur le plateau. Lauriane parle aux comédiens et moi à l’équipe technique.

Lauriane Escaffre : Mais on avait tellement travaillé en amont sur ce qu’on voulait qu’au fond, ce double discours était impossible. Quand l’un commence une phrase, l’autre peut toujours la finir.

Justement, quel discours avez-vous tenu à votre directeur de la photo Antoine Sanier (Dalida, Santa & Cie, Petit Pays…) pour créer l’atmosphère visuelle de Maria rêve ?

Yvo Muller : En sortant de Pile poil, un de nos amis nous l’avait décrit comme une comédie dans un costume de film d’auteur. J’ai beaucoup aimé cette image et c’est ce qu’on a essayé de traduire en termes de lumière dans Maria rêve. On n’est pas hyper fans par exemple des grosses couleurs saturées qu’on voit dans pas mal de comédies. On voulait quelque chose de plus sombre, de plus nuancé.

Lauriane Escaffre : On avait envie que ce soit beau, que les acteurs soient beaux, que leur environnement soit beau. Qu’on magnifie ces personnages qui sortent de leur cocon, tout en restant dans un certain réalisme.

Yvo Muller : On a bossé dans ce sens avec Antoine et notre chef décorateur David Bersanetti. En particulier pour tout ce qui touche à la représentation de l’art contemporain afin d’éviter toute caricature. Il y a une réflexion sur chaque création qu’on voit à l’écran, aidée par les étudiants des Beaux-Arts où on a eu la chance de tourner.

Savez-vous déjà quel sera votre deuxième long métrage ? 

Lauriane Escaffre : Pas encore. Nos deux autres projets sont toujours en phase de financement. Il y a la version longue de Pile poil et un film sur le couple, la fidélité, sur comment sortir des cadres de la société qui impose d’être en couple. Ce sera un film choral.

Yvo Muller : On a passé les dernières années à écrire ces projets en parallèle et on ne sait pas encore celui qui va surgir en premier !

MARIA RÊVE

Réalisation et scénario : Lauriane Escaffre et Yvo Muller
Photographie : Antoine Sanier
Montage : Valérie Deseine
Musique : René Aubry
Production : Quad, TF1 Studio, France 3 Cinéma
Distribution : UGC pour TF1 Studio
Ventes internationales : TF1 Studio
Sortie en salles : 28 septembre 2022