À quand remonte votre rencontre avec Vincent Maël Cardonna ?
Delphine Malausséna : Il y a deux ans, au Festival Sœurs Jumelles de Rochefort. Nous participions à une table ronde pour évoquer notre travail autour des séries sur lesquelles nous venions de travailler. Il avait réalisé De Grâce, j’avais signé la musique d’Insoupçonnable, une docu-fiction d’Élie Wajeman autour d’un tueur en série. Nous avons croisé nos univers musicaux qui n’étaient pas si éloignés. À cette époque j’avais déjà composé la musique de huit longs métrages pour le cinéma. Je m’apprêtais à travailler sur celle de Chien de la casse de Jean-Baptiste Durand pour laquelle j’allais être nommée pour le César de la meilleure musique originale.
Vous évoquez vos affinités musicales avec Vincent Maël Cardonna. C’est donc lui qui vous a contactée pour Le Roi Soleil ?
Il m’a fait lire assez tôt son scénario en m’expliquant qu’il voulait de la musique baroque pour soutenir l’atmosphère de son film. Si l’action se situe à notre époque, le récit évoque par son titre même le Versailles de Louis XIV. Ayant appris le violon baroque dans mon enfance, j’ai été immédiatement réceptive à ses intentions.

Le film est un thriller en huis clos autour de plusieurs clients d’un bar qui cherchent à se partager les gains d’un ticket gagnant de loto. La musique baroque allait forcément créer un contrepoint…
La musique baroque amène de l’humour, du second degré. Elle est à la fois virtuose et naïve. Sa structure est portée par des notes légères qui vont dans un sens puis dans l’autre, donnant lieu à des variations, des cassures, des brèches, des rebondissements… La musique baroque a un côté narratif très fort. Cette dimension virevoltante collait à l’aspect labyrinthique du scénario qui entraîne le spectateur dans une boucle. Vincent Maël Cardonna tenait à faire débuter son film par Le Rappel des oiseaux de Jean-Baptiste Rameau, une des pièces les plus célèbres de la musique baroque. Au départ, il m’avait d’ailleurs demandé de composer la musique au clavecin afin de me caler à l’énergie de Rameau. Nous avons finalement écarté cette idée, le piano apportant plus de reliefs et de nuances.
Le film se veut assez sombre et violent. Est-ce donc par la musique que peuvent naître des respirations ?
La musique épouse les multiples variations du récit. Elle est construite autour de deux axes. Tout d’abord l’axe baroque que nous venons d’évoquer. J’ai proposé à Vincent deux thèmes que j’ai ensuite déclinés en jouant sur les variations d’intensité et de tonalité… Puis un autre thème, plus souterrain, s’est peu à peu conscientisé au fur et à mesure de notre exploration de la musique. Ce thème est associé à toutes les séquences qui se déroulent dans le sous-sol du bar, avec ce côté humide des canalisations, ce dédale sombre où apparaissent des fantômes. Cette musique a été composée à partir de synthétiseurs sur lesquels j’ai posé des touches de violons à peine audibles, presque murmurés. On est parfois proche du sound design. Il arrive qu’à des endroits les deux axes se rencontrent et parviennent à se superposer.
La musique a donc été entièrement composée en amont du tournage…
Principalement, même si la découverte des images m’a inspirée et incitée au montage à décliner certains thèmes. De son côté, Vincent a diffusé le thème au synthétiseur sur le plateau pour inspirer les comédiens.
À partir de quel instrument travaillez-vous vos compositions ?
Pour ce genre d’exercice, je me mets au piano. Je joue de tous les instruments sur la bande originale, y compris le violon et le synthétiseur. La musique a été enregistrée dans mon propre studio. Je voulais une interprétation volontairement mécanique pour accentuer le côté entêtant de cette histoire. Cette musique se voulait très intimiste, prisonnière d’un petit espace comme le sont les personnages. Il ne s’agissait donc pas de faire appel à de grandes orchestrations. Comme je le disais, je me suis appuyée sur Le Rappel des oiseaux de Rameau. J’ai respecté la même logique orchestrale.
Outre l’atmosphère singulière du récit, est-ce que les personnages vous ont également guidée ?
Avec Vincent nous avons tout de suite associé la musique baroque à l’esprit très vif de Livio, le personnage incarné par Pio Marmaï. II déploie tout un cheminement de pensée tortueux. Nous nous sommes inspirés de son humour, son côté sombre… La musique pouvait ainsi se mettre au diapason des émotions ou de l’inconscient du personnage. Ce n’était évidemment pas systématique. Il fallait aussi s’en écarter et prendre de la hauteur. Une musique de film se colore de plein de choses.
Venons-en à votre parcours qui passe par différents chemins et notamment la mécanique quantique…
J’ai grandi à La Rochelle au sein d’une famille qui ne comptait pas de musiciens. Je suis la première ! À l’école primaire, j’ai assisté à un concert de violon. Le coup de cœur a été immédiat. J’ai demandé à mes parents de m’inscrire au conservatoire. J’y suis donc entrée assez jeune et cette passion ne m’a jamais quittée. Parallèlement, j’étais passionnée de sciences. J’ai donc fait une classe préparatoire après le baccalauréat et poursuivi mes études à l’université. Je me suis retrouvée à Bordeaux puis Toulouse. Je me destinais à devenir chercheuse en mécanique quantique. J’aimais l’approche théorique de cette discipline. J’ai toutefois ressenti un manque artistique. La musique m’accompagnait depuis l’enfance et je sentais que je pouvais m’exprimer avec elle. Je me suis inscrite à l’École nationale supérieure Louis-Lumière qui, dans mon esprit, pouvait allier les sciences et l’art. J’y ai logiquement étudié le son jusqu’à devenir ingénieur du son pour le cinéma, métier que j’ai exercé pendant dix ans avant de me lancer dans la composition de musiques de film.

Comment s’est opéré ce changement ?
J’ai été sollicitée pour être ingénieur du son sur le film 5ème Set de Quentin Reynaud (2021). Proposition que j’ai refusée, en expliquant au réalisateur mon envie de composer des musiques pour le cinéma. Il a demandé à écouter des maquettes. Elles lui ont plu. Il m’a alors proposé de composer la bande originale de son film. J’ai eu la chance d’être récompensée pour ce travail. Quentin m’a fait confiance pour son film suivant En plein feu (2023), où là aussi mon travail a été remarqué dans différents festivals.
5ème Set, En plein feu, deux films qui distillent une atmosphère oppressante. Pas si éloignée de celle du Roi Soleil…
Ces univers me correspondent assez bien. Je me sens inspirée par les ambiances sombres qui me sortent de ma vie quotidienne. J’accède par la musique à des mondes auxquels je n’aurai pas accès autrement.
La musique de Chien de la casse de Jean-Baptiste Durand (2023) vous a valu une nomination aux César…
Jean-Baptiste pratique le piano, il a une oreille très affûtée. Il m’a tout de suite proposé de composer pour violoncelle et chœur. C’était passionnant. Un autre compositeur était lui engagé pour la musique hip-hop. Il s’est servi de mes thèmes pour les inclure dans ses propres productions. Ce pont entre deux univers a été très enrichissant.

Qu’est-ce que vos études de science ont apporté à la musicienne que vous êtes devenue ?
L’univers des sciences est très intense et invite à se créer des mondes intérieurs, des constellations de pensée. L’imagination s’appuie toujours sur des raisonnements, des structures précises. Par bien des aspects la mécanique quantique se rapproche de la philosophie. Cette dimension sensible et physique, je la retrouve dans mon travail de musicienne.
Explorer la modernité de la musique dite classique c’est l’essence même de votre travail…
L’utilisation de la musique baroque pour Le Roi Soleil prouve toute la vitalité d’un univers a priori très éloigné du contemporain. La polyrythmie de cette musique continue de nous inspirer aujourd’hui. L’idée, c’était de la rendre la plus vivante possible, de l’emmener dans des recoins inexplorés.
Le Roi Soleil

Réalisation : Vincent Maël Cardona
Scénario : Vincent Maël Cardona et Olivier Demangel
Musique : Delphine Malausséna
Production : SRAB Films, Easy Tiger
Distribution France et Ventes internationales : StudioCanal
Sortie le 27 août 2025
Soutien sélectif du CNC : Aide à la création de musiques originales (2025)