Anaïs Bertrand : « Chien de la casse montre un territoire qu’on voit trop peu au cinéma »

Anaïs Bertrand : « Chien de la casse montre un territoire qu’on voit trop peu au cinéma »

24 avril 2023
Cinéma
« Chien de la casse ».
« Chien de la casse ». Camille SONALLY

Productrice de Chien de la casse, le premier long métrage de Jean-Baptiste Durand, la fondatrice d’Insolence Productions et vice-présidente court métrage du SPI (Syndicat des producteurs indépendants), décrypte les coulisses du film, prix du Public au dernier festival Premiers Plans d’Angers.


Du court au long

« J’ai rencontré Jean-Baptiste Durand via Internet. Il a fait les Beaux-Arts et je l’avais demandé en ami sur Facebook après avoir vu un autoportrait de lui. Quelques mois plus tard, il expliquait dans un post qu’il allait réaliser son premier court métrage. Je le croyais peintre, je le découvre également réalisateur ! J’ai fini par produire ce court, Il venait de Roumanie, qui se passe à Montpeyroux, le village où Jean-Baptiste Durand a grandi, et qui a ensuite inspiré Chien de la casse. Une collaboration s’est mise en place sur plusieurs courts métrages, certains produits par Insolence comme Le Bal, ou d’autres que Jean-Baptiste Durand tournait de manière plus sauvage, et sur lesquels il me demandait parfois de l’aide pour la distribution, comme Piano Panier, ou Même les choses invisibles se cachent, un film d’art sur le peintre Abdelkader Benchamma. On a vraiment fait nos dents sur le format court. »

Écriture

« En 2017, Jean-Baptiste Durand a participé à la résidence du Groupe Ouest, puis à celle du Moulin d’Andé-Céci. C’était très important pour nous d’entrer dans ce genre de lieux car Jean-Baptiste ne possédait pas tous les outils d’écriture scénaristique. Quand il m’a envoyé la première ébauche de Chien de la casse, une soixantaine de pages, il y avait beaucoup d’idées, mais pas de véritable architecture. Nous avons travaillé le scénario pour lui donner une forme plus orthodoxe. Ses courts métrages étaient la promesse d’un cinéaste en devenir et ont permis sa sélection au Groupe Ouest et au Moulin d’Andé-Céci. Là-bas, il a pu acquérir les outils nécessaires et faire des rencontres, comme celle de Nicolas Fleureau, qui a été son principal collaborateur à l’écriture, et qui a lui aussi grandi dans un village. Je leur ai ensuite adjoint Emma Benestan, une proche de Jean-Baptiste, afin de travailler le personnage d’Elsa. En tout, l’écriture a duré presque quatre ans, durant lesquels Jean-Baptiste a tourné un autre court métrage, donné des cours de jeu, et participé à deux autres résidences : celle du C.L.O.S. dans le cadre du FIFIB (Festival international du film indépendant de Bordeaux) et celle de l’association EMERGENCE. »

Mirales, Dog et Elsa

« Très tôt, nous avons eu envie de travailler avec Anthony Bajon, à qui nous avons rapidement fait une proposition ferme, sans voir personne d’autre pour le rôle de Dog. Anthony a aimé le projet. Il s’agissait ensuite de « caster » Mirales [le personnage principal du film], rôle pour lequel nous avons vu beaucoup de comédiens. Raphaël Quenard était entré en contact avec Jean-Baptiste Durand car il avait eu écho de son film. Ils ont beaucoup échangé par message et Raphaël est venu assister à une projection du Bal. Il était tellement motivé ! Il est donc venu faire un essai avec Anthony. Ça a tout de suite fonctionné. C’est comme si on avait le film sous les yeux ! Pour le personnage d’Elsa, nous avons également vu beaucoup de jeunes femmes, mais on avait toujours eu Galatea Bellugi dans un coin de la tête. Nous avons fait des call-back avec Raphaël et Anthony et pu constater que le trio fonctionnait très bien. »

Le financement

« En 2020, nous déposons en premier lieu l’Avance sur recettes, avec comme éléments fixes les comédiens, les lieux de tournage ainsi que l’intérêt de plusieurs distributeurs (c’est finalement avec BAC Films que nous avons choisi de travailler). Le film avait précédemment bénéficié de l’aide à la réécriture du CNC. La région Occitanie, après avoir aidé le projet à l’écriture et au développement, l’a également soutenu à la production ; ils étaient ravis de voir passer au long métrage un talent comme Jean-Baptiste Durand, qu’ils ont accompagné dès ses premiers courts. La douche froide vient quand on réalise qu’aucune télévision ne veut rejoindre le projet ! Le film tenait trop de la chronique à leurs yeux, ils n’ont pas su percevoir la sensibilité qu’allait y injecter Jean-Baptiste ni l’importance de montrer ce territoire, ces villages périurbains qu’on voit trop peu au cinéma. Sans préachat de chaîne dans un contexte durci, le film aurait pu ne pas exister. Il y a une réflexion à mener sur le financement de ces films et sur la possibilité d’offrir plus de souplesse afin que des premiers longs métrages de la sorte continuent d’exister. »

 

Changement de saison

« Le tournage était prévu à l’été 2021, mais les deux comédiens se sont vu proposer des films qu’ils pouvaient difficilement refuser : Coupez ! de Michel Hazanavicius pour Raphaël Quenard et Athena de Romain Gavras pour Anthony Bajon. Jean-Baptiste Durand a donc réécrit le film pour qu’il se déroule en hiver. C’était à l’origine un film d’été, ensoleillé, avec notamment des scènes de baignade… Choisir de réécrire, c’était une façon de montrer aux acteurs qu’on tenait à eux. En plus, Anthony et Raphaël avaient travaillé ensemble sur le film La Troisième Guerre et avaient très envie de se retrouver. On a donc tout décalé ! Les 25 jours de tournage ont finalement eu lieu en novembre et décembre. Avant cela, les comédiens ont accepté de faire un long week-end de répétitions. Isolés dans une maison à la campagne, ils ont appris à mieux se connaître, à vivre et travailler ensemble. Un moment précieux et, pour un film comme Chien de la casse, nécessaire. »

Prix du Public

« Le tournage a pris fin en décembre 2021. Nous nous sommes lancés dans une postproduction acharnée pour pouvoir envoyer un montage images à Cannes. Le film a été discuté, aimé par les différents sélectionneurs, mais n’a pas été retenu. Jean-Baptiste a été d’une grande élégance, il m’a simplement dit : “Tu ne m’en veux pas trop ?” Si le scénario s’est répété avec d’autres festivals de premiers plans, Chien de la casse a aussi séduit avec sa capacité à créer un pont intergénérationnel, du prix du Public que le film a reçu au festival Premiers Plans d’Angers, au prix des exploitants à Avignon en passant par le label Coup de cœur 15-25 de l’AFCAE. »

Insolence Productions

« Comme tout producteur défendant la diversité et l’indépendance, je produis ce que j’ai envie de voir à l’écran. J’ai créé Insolence Productions avec la volonté première de faire des films fantastiques, car j’estime que l’on peut raconter beaucoup de choses à travers le cinéma de genre. Mais, comme tout fan de genre, ma cinéphilie est plus large que ça. Mon film préféré a beau être Massacre à la tronçonneuse, ce sont Pialat, Guiraudie, Scorsese, Fellini… qui nous animent lors de nos échanges préparatoires avec Jean-Baptiste. J’aime faire porter les regards sur des choses dont on détourne habituellement les yeux. Voilà comment on pourrait résumer la ligne éditoriale d’Insolence aujourd’hui : accompagner des réalisateurs et des réalisatrices qui posent leurs caméras sur des personnages ou des communautés qu’on ne regarde pas assez. »

Chien de la casse

Réalisation : Jean-Baptiste Durand
Scénario : Jean-Baptiste Durand, Nicolas Fleureau, Emma Benestan
Avec : Anthony Bajon, Raphaël Quenard, Galatéa Bellugi
Photographie : Benoît Joul
Production : Insolence Productions
Distribution : Bac Films
En salles depuis le 19 avril 2023

Soutien du CNC : Avance sur recettes avant réalisation, Aide à la création de musiques originales, Soutien au scénario (aide à la réécriture)