Disparition de Jean-Louis Trintignant, un monument du cinéma français

Disparition de Jean-Louis Trintignant, un monument du cinéma français

18 juin 2022
Cinéma
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Jean-Louis Trintignant Nécro
Jean-Louis Trintignant DR

Immense acteur à la carrière riche de plus d’une centaine de films, Jean-Louis Trintignant est entré dans l’histoire du cinéma avec Un homme et une femme de Claude Lelouch, Palme d’or à Cannes en 1966. Prix d’interprétation à Cannes pour Z de Costa-Gavras (1969), César du meilleur acteur pour Amour de Michael Haneke (2013), Jean-Louis Trintignant fascinait par sa puissance dramatique teintée d’une fragilité bouleversante.


Jean-Louis Trintignant voit le jour le 11 décembre 1930 à Piolenc dans le Vaucluse. Etudiant en droit à l'université d'Aix-en-Provence, il bifurque vers le théâtre à l'âge de 19 ans après avoir assisté à une représentation de L'Avare par la troupe de Charles Dullin. Il quitte alors sa région natale pour suivre des cours d'art dramatique de Charles Dullin et de Tania Balachova à Paris. Parallèlement, il s'inscrit à l'Institut des Hautes études cinématographiques (IDHEC), afin suivre des cours de metteur en scène.

De Roger Vadim à Bernardo Bertolucci

C’est pourtant sur les planches que Jean-Louis Trintignant débute sa carrière en 1951. Malgré sa timidité patente, il fait ses premiers pas de comédien dans A chacun selon sa faim de Jean Mogin, au sein de la troupe Raymond Hermantier. Il entame une carrière théâtrale bien remplie tout en acceptant des rôles de figurants dans quelques films. En 1956, son personnage d’amoureux transit de Brigitte Bardot dans Et Dieu…créa la femme, film devenu mythique réalisé par Roger Vadim, le révèle au public. La réalité rejoint la fiction lorsque Jean-Louis Trintignant quitte son épouse, l’actrice Stéphane Audran, pour sa partenaire à l’écran. Mais l’idylle est de courte durée. Mobilisé en 1958, Jean-Louis Trintignant est envoyé à Alger où il sert l'armée française jusqu'à la fin de la guerre d'Algérie. Eloigné des plateaux, l’acteur pense arrêter le cinéma et devient photographe, notamment pour L'Express avec lequel il collabore pendant deux ans. Sa rencontre avec le metteur en scène Maurice Jacquemont le décide à reprendre le chemin de la scène en interprétant Hamlet de William Shakespeare. Au cinéma, il retrouve Roger Vadim en 1959 dans Les Liaisons dangereuses aux côtés de Gérard Philipe et Jeanne Moreau.

Les années 1960 marquent sa « période italienne ». Il tourne une trentaine de films dont la comédie Le Fanfaron, de Dino Risi (1962), qui connaît un grand succès populaire, Meurtre à l’italienne de Gianni Puccini, un film à sketchs avec Emmanuelle Riva (1965), ou encore Le Conformiste, l’un de ses plus beaux rôles, réalisé par Bernardo Bertolucci (1970). « J’ai des souvenirs merveilleux de cette époque, des admirations que la mort même n’a pas éteintes. Travailler avec les quatre colonels, Sordi, Tognazzi, Gassmann, Mastroianni. Et puis Scola. Et puis Risi… Cela a été formateur. Ils m’ont appris à sortir de moi-même » révèle-t-il.

Un Homme et une femme : la consécration

Le cinéma français n’est pas en reste : Jean-Louis Trintignant retrouve Anouk Aimée, avec qui il a partagé l’affiche d’Il Successo de Dino Risi, dans Un Homme et une femme, de Claude Lelouch (1966). C’est la consécration. Le film remporte la Palme d'or au Festival de Cannes et l’Oscar du meilleur film étranger (1967), et propulse l'acteur sur le devant de la scène.  Mais les rôles de jeune premier romantique l’ennuient.  « Je trouve plus intéressant de jouer des personnages plus ambigus, plus complexes. J’ai toujours trouvé les héros fades et sans relief. Je préfère les défauts des gens. Alors dès que j’ai pu jouer un pourri, j’ai sauté dessus. C’était dans Paris brûle-t-il de René Clément (1966) où je jouais un salaud».

S’adapter à la vision du réalisateur

1969 est une année phare pour le comédien, qui s’illustre de plus en plus dans des films politiques et engagés (Le Combat dans l'île d'Alain Cavalier). Jean-Louis Trintignant reçoit le prix d’interprétation masculine au Festival de Cannes pour son rôle de juge intègre dans Z, film devenu culte de Costa-Gavras, aux côtés d’Yves Montand.  La même année, il interprète un catholique tenté par l'infidélité dans Ma Nuit chez Maud d’Éric Rohmer où il donne la réplique à Françoise Fabian. Consciencieux, l’acteur travaille ses rôles avec minutie, intériorise les émotions, cherche à comprendre son personnage. « Je suis un acteur pas tellement spontané. Je suis un acteur qui réfléchit. Dans ce métier il faut savoir s’adapter à la vision du réalisateur. Moi j’observe pas mal. Pour Ma nuit chez Maud, j’avais des difficultés au début avec les dialogues. Ils étaient écrits au rasoir, et Rohmer cherchait des intonations très précises. J’ai commencé à l’écouter parler : il avait les intonations, et jusqu’aux hésitations qu’il voulait entendre dans mon jeu. Je n’ai évidemment pas cherché à le singer, mais j’avais saisi pourquoi il écrivait comme ça, et ça m’a débloqué. »

Refusant d’être catalogué dans un seul type de rôle, Jean-Louis Trintignant navigue de genre en genre. Du polar (Flic Story de Jacques Deray , 1975) au thriller (Le Secret de Robert Enrico, 1974), en passant par le drame (Le Train de Pierre Granier-Deferre, 1973), la comédie (La Femme du dimanche de Luigi Comencini, 1975), le film historique (La Nuit de Varennes d’Ettore Scola, 1982) ou encore le western (Le Grand Silence de  Sergio Corbucci), l’acteur aux accents mélancoliques colore son jeu de mille nuances et s’illustre avec aisance dans tous les registres.

Dans les années 1970, Jean-Louis Trintignant renoue avec ses premières amours, la réalisation. Mais ses films ne rencontrent pas le succès escompté. « Quand je suis venu à Paris, j’avais cette ambition, très floue, d’être réalisateur de cinéma. Si j’ai un regret, c’est de n’avoir réalisé que deux films (Une Journée bien remplie, 1973, et Le Maître nageur, 1979). J’ai eu un troisième projet, mais je n’ai pas réussi à le faire aboutir. [ …] Voilà. Et comme ces années-là, on continuait à me proposer de faire l’acteur, je me suis laissé porter. C’était facile. »

Choisir des rôles inattendus

Au début des années 80, il multiplie les collaborations prestigieuses : son charisme inspire Claude Berri (Je vous aime), Michel Deville (Eaux profondes), François Truffaut (Vivement dimanche?!), André Téchiné (Rendez-vous) qui lui proposent des personnages mystérieux, ambigus ou fragiles.  Sensible aux rôles inattendus, Jean-Louis Trintignant  aime jouer pour des jeunes cinéastes audacieux : ex-alcoolique dansLa Femme de ma vie(1986), le premier film de Régis  Wargnier, il campe un architecte machiavélique dans le film de science-fiction  Bunker Palace hôtel (1989) du dessinateur Enki Bilal ou encore un escroc minable et vieillissant dans Regarde les hommes tomber de Jacques Audiard (1994).

En 1994, son personnage du juge d’instruction misanthrope dans Trois couleurs : Rouge, dernier volet de la trilogie réalisée par Krzysztof Kie?lowski, marque les esprits. L’acteur raconte : « J’ai aimé faire ce film, Kiewsloski est un cinéaste d’une totale rigueur et, en même temps, d’une grande ouverture. Du tournage, je garde le souvenir d’un de ces moments exceptionnels. La scène était très bien écrite, on a fait plusieurs prises. J’ai senti que l’une d’elle était formidable, car, à la fin, toute l’équipe a applaudi. Finalement, quand on est bien dans un film, c’est souvent grâce au metteur en scène. » Il explique ainsi choisir ses collaborations non pas en fonction des personnages dont il se « fiche complètement », mais en fonction du metteur en scène, « le véritable auteur ». Et d’ajouter : « C’est pour un metteur en scène qu’il faut aller voir un film, et surtout pas pour un acteur ».

Marie Trintignant

Jean-Louis Trintignant se fait plus rare, se retire à Uzès et privilégie le théâtre. En 1998, il tourne avec Patrice Chéreau dans Ceux qui m’aiment prendront le train, qui remporte trois César. Quatre plus tard, il fait une apparition dans la comédie Janis et John, premier film de Samuel Benchetrit, dans laquelle sa fille Marie Trintignant tient le premier rôle. Père et fille ont l’occasion de se donner plusieurs fois la réplique au cours de leur carrière respective, notamment dans les films réalisés par Nadine Trintignant, avec qui l’acteur fut marié. A l’affiche du premier film de Nadine, Mon amour, mon amour (1967), un drame abordant le thème de l’avortement, Jean-Louis et Marie Trintignant font partie de la distribution du Voyage de noces (1976) et de L’Eté prochain (1985), également réalisés par Nadine.

A la mort de Marie en 2003, Jean-Louis Trintignant arrête sa carrière d’acteur au profit du théâtre où il déclame les poèmes de Jacques Prévert, de Guillaume Apollinaire ou de Boris Vian. Le cinéaste Michael Haneke parvient à lui faire retrouver le chemin des plateaux de tournage dix ans plus tard pour le film Amour, aux côtés d’Emmanuelle Riva. Le film, qui évoque avec pudeur la fin de vie, est couronné de succès : il obtient la Palme d’or au Festival de Cannes, l’Oscar du meilleur film étranger et vaut à Jean-Louis Trintignant le César du meilleur acteur en 2013. L’acteur reconnaît alors : « Sur un plateau, je retrouve un peu d’espoir, un peu de sens ». Il joue de nouveau pour le cinéaste autrichien dans Happy End, en sélection officielle au Festival de Cannes 2017 avant de retrouver Claude Lelouch et Anouk Aimé dans Les Plus belles années, une nouvelle suite d’Un Homme et une femme (une première suite intitulée Un homme et une femme : vingt ans déjà était sortie en salles en 1986).

Jean-Louis Trintignant en quelques films, disponibles en VàD :

Un Homme et une femme de Claude Lelouch (1966)
Le Conformiste de  Bernardo Bertolucci (1970)
Le Mouton enragé de Michel Deville (1974)
Vivement dimanche ! de François Truffaut (1983)
Ceux qui m'aiment prendront le train de Patrice Chéreau (1998)
Amour de Michael Haneke (2012)