Disparition de Mag Bodard, productrice des Demoiselles de Rochefort et de La Chinoise

Disparition de Mag Bodard, productrice des Demoiselles de Rochefort et de La Chinoise

01 mars 2019
Cinéma
Mag Bodard
Mag Bodard Ciné Tamaris

Mag Bodard était une productrice chevronnée, une femme de l’ombre qui a mis en lumière les plus grands artistes du cinéma français : Jacques Demy (Les Demoiselles de Rochefort), Robert Bresson (Au hasard Balthazar), Maurice Pialat (L’Enfance nue), ou encore Agnès Varda (Le Bonheur). Déterminée et intuitive, Mag Bodard a traversé le XXe siècle, s’imposant peu à peu comme une figure emblématique du cinéma et de la télévision.


Mag Bodard est née Marguerite Perato, le 3 janvier 1916, à Turin. La jeune fille, dont la famille s’est installée en France en 1922, suit ses études à Paris et développe un goût prononcé pour le romanesque et l’intrigue. Elle rencontre Lucien Bodard en 1937 et l’épouse l’année suivante. Quand la seconde Guerre mondiale éclate, Lucien rejoint Londres tandis que Mag Bodard, restée à Paris, accueille dans son appartement des prisonniers évadés. Téméraire et courageuse, elle porte des lettres et des messages de résistants à Ouistreham, où ses parents tiennent un hôtel réquisitionné par les Allemands.

De journaliste à productrice

A la fin de la guerre, Lucien Bodard, devenu journaliste, couvre l’actualité de l’Extrême-Orient. Grand reporter pour France Soir, dirigé par Pierre Lazareff, il est envoyé en Indochine en 1949 comme correspondant de guerre. Mag le suit et devient correspondante pour le magazine Elle. A son retour en France, elle espère faire partie de l’équipe du nouveau magazine télévisé Cinq colonnes à la Une créé par Pierre Lazareff en 1959. Eliane Victor lui est préférée. Son caractère intrépide l’incite à relever un nouveau défi : la production cinématographique, « presque par dépit », précise-t-elle, « comme on se jette par la fenêtre ! ».

Ce goût de l’aventure et de l’inattendu qu’elle nourrissait avec le journalisme, Mag Bodard le retrouve dans le métier de productrice. Concrétiser un projet à partir de l’imagination d’un auteur, s’assurer du bon déroulement d’un tournage, veiller à ce que l’œuvre rencontre le public… sont autant de paris que Mag Bodard est déterminée à réussir. Elle raconte : « Je savais que je pouvais apporter à n’importe qui ce qu’il faut pour aller beaucoup plus loin, j’ai toujours eu cette forme d’orgueil. La seule chose que je détestais, c’est être devant. Derrière, je suis très forte parce que je vois plus clair, je sais ce que je vaux, mais je déteste que les gens le voient. »

De Jacques Demy à Robert Bresson

Le premier film qu’elle produit, La Gamberge, réalisé par Norbert Carbonnaux en 1962, est une commande de Pathé qu’elle accepte pour pouvoir travailler avec son amie Françoise Dorléac. Mais le résultat est loin de ses attentes, au point qu’elle se jure de ne plus écouter que son propre jugement, sans se laisser influencer. C’est alors que Mag Bodard mise sur un jeune cinéaste décidé à réaliser une comédie musicale entièrement chantée. Avec Les Parapluies de Cherbourg, Jacques Demy signe un projet hors norme qui séduit d’emblée la productrice. Le succès public doublé d’une Palme d’Or en 1964 assoit la réputation de Mag Bodard. Elle se lie d’amitié avec le cinéaste avec qui elle partage la même tendresse pour les contes de fée : « Avec Jacques, nous étions deux enfants qui jouaient à la marelle » dit-elle à propos de leur collaboration, qu’ils poursuivent sur deux autres films, Les Demoiselles de Rochefort (1967)et Peau d’Âne (1970), devenus eux aussi des grands classiques du cinéma. L’intuition de la productrice lui fait d’ailleurs souffler à Jacques Demy l’idée de l’arrive de la fée en hélicoptère ou de la robe couleur de soleil de Peau d’âne.

Femme de caractère à la sensibilité artistique avérée, Mag Bodard monte sa société de production, Parc Film, en 1961. Se fiant à son instinct, elle se lance dans des projets singuliers qui lui parlent. Elle produit alors Je t’aime je t’aime (1968) d’Alain Resnais non seulement pour travailler avec un metteur en scène qu’elle admire mais aussi parce que le thème du film lui tient à cœur. Elle produit également Agnès Varda (Le Bonheur, 1965), Maurice Pialat (L’Enfance nue), ou encore Jean-Luc Godard (La Chinoise, Deux ou trois choses que je sais d’elle, 1967), qui lui présente Robert Bresson. Leur rencontre donne lieu à trois films : Au hasard Balthazar, Mouchette et Une femme douce. Mag Bodard raconte leur collaboration : « Bresson n’intervenait pas au montage […], ses films étaient presque faits sur le papier. Bresson existait déjà, je l’ai aidé à faire les films qu’il devait faire, mais on n’intervient pas dans un film de Bresson. Le travail de son producteur est de monter le film et de le mener à bien. »

Du cinéma à la télévision

Si Mag Bodard intervient peu sur les tournages, elle est néanmoins réputée pour sa ténacité, son énergie farouche à faire vivre ses projets et sa capacité de travail. Agnès Varda se souvient : « Elle faisait impression, toujours accompagnée de son chauffeur, élégante, coiffée, manucurée. Elle avait le pouvoir et l'organisation d'un grand producteur mais avec un style de femme qui lui était propre. » Audacieuse, elle met sa détermination au service des autres, soutenant ainsi de nombreux talents, parmi lesquels Michel Deville (Raphaël ou le débauché, 1971), André Delvaux (Rendez-vous à Bray, 1971), Claude Miller (La Meilleure façon de marcher, 1976).

Dans les années 70, l’industrie cinématographie prend un nouveau tournant, « moins artistique et plus commercial ». Mag Bodard s'endette jusqu'à faire faillite pour défendre ses films mais considère ce « risque du métier » avec philosophie : « Ce qui est important, c’est de faire un beau film. Entre la qualité et l’argent, j’ai toujours préféré qu’un film soit beau et corresponde à mon rêve. […] J’ai fini par devoir de l’argent à tout le monde […], j’ai décidé de tout reprendre à zéro et j’ai tout vendu. »

Perspicace, Mag Bodard se tourne alors vers la télévision, qu’elle considère être l’avenir du cinéma. Elle retrouve la réalisatrice Nina Companeez – elles ont collaboré sur plusieurs longs métrages de cinéma  (Faustine et le bel été, 1972, Comme sur des roulettes, 1977) – dont elle produit plusieurs feuilletons à succès pour la télévision : Les Dames de la côte, avec Françoise Fabian et Michel Aumont (1979), La Grande Cabriole, avec Fanny Ardant et Bernard Giraudeau (1989) ou encore L’Allée du roi, fastueux téléfilm avec Dominique Blanc, inspiré du livre de Françoise Chandernagor sur la vie de Madame de Maintenon (1996).

Portée par ce rêve de cinéma et cette perpétuelle envie de défendre les auteurs, Mag Bodard produit au cours de sa longue carrière une quarantaine de films pour le petit et le grand écran. C’est ainsi qu’en 2003, âgée de 87 ans, elle produit encore Matah Hari, la vraie histoire d’Alain Tasma diffusé sur France 3.

Devenue « une créatrice de créateurs », Mag Bodard considérait son métier comme un don, celui « d’avoir un regard et de permettre à l’artiste de créer, tout en lui donnant confiance. »

Filmographie sélective de Mag Bodard, disponible en VOD


Les Parapluies de Cherbourg de JacQues Demy, 1964

Les Créatures d'Agnès Varda, 1966

Les Demoiselles de Rochefort de Jacques Demy, 1967

L’Enfance nue de Maurice Pialat, 1968

L'Ours et la Poupée de Michel Deville, 1970

L’Allée du roi (TV) de Nina Companeez, 1996