Hors Normes traite d’un sujet grave peu abordé au cinéma, avez-vous hésité avant de vous lancer dans son écriture ?
Avec Olivier, on était au contact de deux associations, Le silence des Justes et Le relais IDF, depuis longtemps. Ça nous a semblé important d’écrire sur eux. Mais ça fait évidemment peur de représenter l’autisme dans sa forme la plus lourde. Et en même temps, c’est par cette prise de risque qu’on peut vivre des choses exceptionnelles en tant que réalisateurs.
Sept ans après Intouchables, Hors Normes a-t-il été aussi dur à produire ?
Les films comme Intouchables ou La famille Bélier ont créé des précédents. On ne peut plus dire aujourd’hui qu’un film traitant du handicap repousse les spectateurs. Je dirais même qu’à l’inverse, ça a créé des modèles ; certains se disent de manière assez cynique que le handicap peut être facteur d’émotion.
Comment présenteriez-vous Hors Normes ?
Avant d’être un film sur le handicap, Hors Normes est un film sur une société qui abandonne ses enfants, qu’ils soient des banlieues ou autistes lourds. Or, une société qui ne prend pas soin de ses êtres les plus vulnérables est une société en danger. En ce sens, Hors Normes est un film de révolte et de prise de conscience.

C’est-à-dire ?
Très vite, s’est posée la question de comment représenter le handicap. Il y a sept ans quand nous tournions Intouchables, on prenait un acteur pour interpréter le rôle de la personne souffrant de handicap. Aujourd’hui, il paraissait évident sur ce film que nous allions demander à des autistes de jouer leurs propres rôles. Tout en sachant qu’un des rôles principaux a 30 jours de tournage !
Comment avez-vous écrit justement le rôle de Joseph ?
Sachant qu’il allait être interprété par quelqu’un qui n’est pas acteur, qui ne connaît pas le cinéma,qui ne peut pas apprendre de dialogues, on a procédé à l’inverse de d’habitude. On est allés voir une compagnie de recherche théâtrale avec des personnes présentant des troubles de la communication, Turbulences !. Philippe Duban son directeur nous a proposé de faire un atelier théâtre une fois tous les quinze jours. Si les jeunes revenaient, c’est qu’ils en avaient envie car c’était leur seul signe de communication. Benjamin Lesieur était un de ceux qui revenaient à chaque fois. Ensuite, on a travaillé des situations, ce qui nous permettait de savoir ce qui était possible ou pas, en termes de dialogues. Par exemple, la situation au début du film, c’est « Il tire la sonnette d’alarme dans le métro ». Avec Olivier, on jouait les contrôleurs et on voyait comment il réagissait. Du coup, on partait de là pour écrire les dialogues et les inclure dans le scénario.

Avez-vous modifié également votre façon de filmer ?
Nous avons considéré les autistes comme nos héros, donc on les a magnifiés. Nous avons mis en place une grammaire du cinéma pour adopter le point de vue de Valentin, l’adolescent au casque, afin que le spectateur, qui entre dans l’association avec lui, ressente ce qu’il ressent. Par exemple, quand il marche sur le périphérique, on a essayé de traduire ce que les médecins appellent « l’hyperacousie des autistes » où ils focalisent sur un bruit, une lumière. A l’image et au son, on a totalement « déréalisé » le périphérique. C’est ce qui permet aussi au spectateur d’être dans une empathie totale avec Valentin.
L’ambiance de tournage était-elle changée par la présence de Benjamin ?
Totalement. Benjamin n’a aucun égo, aucune conscience de représentation de lui-même ; il n’est pas dans le même rapport social que n’importe quel être humain qui fait attention à sa manière de s’exprimer, son look ou l’image qu’il va projeter. S’il avait envie de mettre sa tête sur une épaule, il la mettait. S’il avait envie de partir en courant au milieu de la prise, il le faisait. Ce lâcher-prise au milieu d’une équipe de film qui passe son temps à prévoir et à organiser a créé une ambiance très spéciale, une forme d’imprévisibilité.
A-t-il été facile de trouver des acteurs qui acceptent d’être dans l’inattendu ?
Vincent Cassel a une carrière extraordinaire ; il a tourné avec les plus grands réalisateurs, a joué des rôles très différents. On imaginait qu’il était prêt à ça. On est allés le voir avant d’écrire le scénario et il a été très partant dès le départ, prêt à vivre ce film comme une belle expérience qui allait faire ressortir autre chose de lui. Quant à Reda Kateb, les rôles qu’il a tenus, son expérience de travailleur social : tout indique que c’est dans son ADN de raconter ces sujets-là. Il a un discours très intelligent sur le regard, la banlieue, et comment on peut ostraciser les gens ou les inclure.
Hors Normes de Eric Toledano et Olivier Nakache sort le 23 octobre au cinéma.