Eve Ramboz, superviseur d’effets visuels : « «Les effets visuels, c’est d’abord du texte, des précisions contenus dans un scénario »

Eve Ramboz, superviseur d’effets visuels : « «Les effets visuels, c’est d’abord du texte, des précisions contenus dans un scénario »

30 janvier 2019
Cinéma
Guy d'Alex Lutz
Guy d'Alex Lutz Apollo Films

Manifestation dédiée aux effets numériques et à l’animation numérique, le Paris Images Digital Summit (PIDS) attribue chaque année un Génie d’honneur à une personnalité phare du secteur. Au cours de cette édition 2019 – qui se tient du 30 janvier  au 2 février -, c’est Eve Ramboz, superviseur d’effets visuels, qui est récompensée pour sa créativité et sa contribution à faire évoluer l’industrie du cinéma. L’occasion de la rencontrer afin d’en savoir davantage sur son métier de superviseur d’effets visuels, peu connu du grand public.


Vous avez étudié aux Beaux-Arts à Bergen puis à l’Institut supérieur des Arts du spectacle et des techniques de diffusion (Insas) à Bruxelles avant d’entamer une carrière de superviseur d’effets visuels. Qu’est-ce qui vous a donné envie de travailler dans ce secteur ?

J’ai toujours été attirée par l’art pictural, d’où mon désir d’étudier les Beaux-Arts qui m’a permis de développer une sensibilité pour l’image en mouvement. J’avais à rédiger un mémoire de fin d’études, et c’est en me rendant à un salon dédié aux ordinateurs graphiques – alors en plein essor - que l’idée de mon sujet m’est venue : mettre en relation les Beaux-Arts avec ces nouvelles palettes graphiques.  J’ai eu l’opportunité de me former à ces outils en effectuant des stages dans différentes sociétés. J’ai découvert un univers follement passionnant et extraordinaire, j’ai rencontré des gens dont le travail, la réflexion, la curiosité, le dynamisme me fascinaient. Voilà comment est née mon envie de travailler dans les effets visuels, d’abord comme graphiste. Par la suite, j’ai eu la chance de me rendre au Japon pour développer l’un de mes premiers projets et j’ai été subjuguée par les formats immenses sur lesquels les images étaient projetées.  Ce fut comme une révélation. C’est ce qui m’a amenée vers le cinéma.

« Décider des mouvements de caméra, des angles et des objectifs utilisés »

Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste le métier de « superviseur d’effets visuels » ?
Il faut déjà rappeler la différence entre les effets spéciaux et les effets visuels, que l’on confond souvent. Les effets spéciaux sont liés à la fabrication immédiate d’un film, et se créent au moment du tournage. Par exemple, imaginez une scène d’explosion qui se produit sur une planète fictive. L’explosion est un effet spécial créé en direct sur le plateau de tournage tandis que la planète fictive est un effet visuel (ou « VFX » pour « Visual Effects » en anglais) imaginé de toutes pièces et ajouté en post production.
Mon travail de supervision d’effets visuels commence dès la lecture du scénario. Car les effets visuels, c’est d’abord du texte, des précisions contenus dans un scénario. Si je lis « il y a un cochon qui vole », je sais que ce sera un effet à créer, les cochons ne volant pas a priori dans la réalité ! Je liste alors toutes les précisions du scénario et j’identifie ainsi quels seront les besoins en termes d’effets visuels. En fonction du sujet du film, il m’arrive souvent de me documenter, telle une historienne du cinéma, sur ce qui a déjà été fait en matière d’effets visuels.
Dans un deuxième temps,  je supervise, c’est-à-dire que j’encadre : je collabore avec tous les corps de métier, les maquilleurs, les spécialistes de l’animatronique – ces créatures robotisées souvent recouvertes de latex -, autour du storyboard, ou plutôt de l’animatic, qui est un storyboard animé permettant de visualiser le projet final. L’élaboration d’un film, c’est avant tout une aventure humaine où se rencontrent plusieurs savoir-faire. Une fois le décor connu, on le modélise puis on place une caméra virtuelle à l’intérieur qui va permettre de décider des mouvements de caméra, des angles et des objectifs utilisés. Cette technique détermine la façon de tourner, la découpe des plans, les éléments dont je me servirai en postproduction… En résumé, la « base » contractuelle des effets visuels, ce sont le texte, les images et l’animatic.

« Mes recherches esthétiques et plastiques servent de repères au réalisateur »

Vous avez travaillé avec Peter Greenaway, Brian de Palma, Walter Salles, Olivier Assayas, ou plus récemment Alex Lutz. Des artistes aux univers artistiques forts, très différents les uns des autres. On imagine que votre travail sur Mission impossible n’a pas été le même que celui que vous avez effectué sur Guy. Quelle est votre façon de travailler avec chaque réalisateur ?
J’ai effectivement eu la chance de participer à des projets très différents qui m’ont emmenée dans le monde entier. Certains projets ont été des concours de circonstance, comme Mission : Impossible de Brian de Palma, d’autres ont été de belles rencontres artistiques. Avec Steve Barron par exemple, avec qui j’ai travaillé à plusieurs reprises, notre collaboration artistique est totale. Pour Arabian Nights (Les 1001 nuits),  j’ai étudié l’orientalisme et sa représentation dans les films, dans les livres, et dans l’art en général. Ces recherches esthétiques et plastiques vont en fait servir de repères précis au réalisateur, à partir desquels il va pouvoir construire sa matière. Mon travail a été le même pour le téléfilm Dreamkeeper (2003), qui s’apparente à un conte indien. En revanche, j’ai eu beaucoup plus de difficultés à trouver des illustrations de l’art indien ; j’ai été confrontée à une pauvreté picturale très importante.  Dans un autre registre, le film Guy d’Alex Lutz m’a demandé de travailler sur les images d’archives. Cette fois-ci, je n’ai pas eu besoin d’interférer avant le montage. Je suis intervenue en postproduction, m’amusant à détruire les images originales pour leur donner un aspect « vieilli », comme dans les années 60, 70, 80.

« Provoquer une réflexion sur l’art, sur l’image »

Y’a-t-il une collaboration qui vous a particulièrement marquée ?
Ma rencontre avec Peter Greenaway, un artiste à la connaissance encyclopédique qui fourmille d’idées plus enthousiasmantes les unes que les autres. C’est un artiste complet, qui est curieux de tout et qui a la capacité d’embarquer tout le monde dans son univers foisonnant. C’est, selon moi,  un « être de la Renaissance ». Nous avons travaillé sur plusieurs projets, notamment  Prospero’s Book (1991), une adaptation de la pièce de Shakespeare pour laquelle j’ai effectué des recherches à travers l’Europe, sur la Renaissance justement, avant de partir sur le tournage au Japon.  Là, il a fait venir une traductrice japonaise spécialisée dans la littérature pour nous raconter tous les après-midi, pendant une heure, un pan de l’histoire de la littérature japonaise. Ce temps suspendu nous a permis de nous imprégner d’une culture, de trouver le souffle du film.
Une autre expérience forte, la création de la scénographie visuelle de Mylène Farmer pour sa tournée Timeless (2013). Je me suis inspirée de Francis Bacon, en travaillant sur la déformation physique du corps, des têtes… sur un format d’une trentaine de mètres. Ça m’a donné envie d’aller encore plus loin dans ce type de traitement d’images.
Encore une fois, on en revient à la peinture, à l’amour de l’art, à ce désir de provoquer une réflexion sur l’art, sur l’image.

« Les effets visuels traduisent toujours une sensibilité artistique »

Vous êtes également réalisatrice. Parlez-nous de votre expérience.
Lors de mon premier projet - un projet de commande -, j’ai travaillé sur les effets visuels d’un générique d’une émission télévisée sur TF1. C’est alors que j’ai commencé à développer des courts métrages comme L’Excision de la pierre de folie, à partir de l’œuvre de Jérôme Bosch, ou L’Escamoteur, qui me permettaient en fait de me faire la main. Je travaillais le découpage, je cherchais à restituer le mouvement que je percevais à travers les différents tableaux. Au fur et à mesure, j’ai compris que ce qui m’animait à travers le support visuel, que ce soit pour la télévision, les clips musicaux, les films…, c’est de m’assurer que les images racontent toujours quelque chose, autant que les dialogues, si ce n’est plus. Les effets visuels traduisent toujours une sensibilité artistique.

On a souvent en tête que les effets spéciaux représentent un gros budget sur un film. Cela est-il vrai ?
Non, pas forcément. Tout dépend du tournage, du travail en post production. C’est un équilibre complexe à trouver entre ce qui est de l’ordre du tournage et ce qui est de l’ordre de la postproduction. C’est cet équilibre qui finalement déterminera le budget.

Vous êtes l’une des co-fondatrices du studio La Maison. Pouvez-vous nous parler de ce studio de création ?
Nous avons cofondé le studio avec Annie Dautane, qui en est la PDG et Luc Froehlicher, superviseur et responsable du département 3D. La Maison est une société dédiée à la création visuelle dans des domaines artistiques variés, tels que le cinéma, le documentaire, la publicité, la photographie…  Cela nous permet de ne pas nous enfermer dans un domaine unique, d’être pluridisciplinaires, tout en restant autonomes grâce à nos compétences techniques et artistiques.

Quels sont vos projets à venir ?
Nous travaillons actuellement au développement d’une série de documentaires autour d’une collection d’art pour France 5, un projet de portraits croisés que nous leur avons proposés.

Eve Ramboz

Eve Ramboz et les effets visuels, en quelques films disponibles en VàD


Prospero’s Book de Peter Greenway (1991)
Mission : Impossible de Brian de Palma (1996)
Avril brisé de Walter Salles (2003)
Le temps qu’il reste d’Elia Suleiman (2009)
Personal Shopper d’Olivier Assayas (2016)

Le Paris Images Digital Summit (PIDS)

Consacré aux effets numériques et l’animation numérique, le festival Paris Images Digital Summit propose un coup de projecteur sur les innovations qui se font dans le domaine des effets visuels utilisés dans l’audiovisuel et au cinéma. Créé en 2015, le PIDS a pour ambition de valoriser et promouvoir la création numérique française et d’en faire un lieu de rencontres et d’échanges entre les industriels du secteur, les professionnels  et les étudiants. 
Organisée au Centre des Arts d’Enghien-les-Bains, cette manifestation met en lumière la création numérique sous toutes ses formes : du VFX (Visual Effects)  à la VR (Virtual Reality), en passant par l’animation, le CGI (Computer-Generated Imagery) et la 3D.

En savoir plus : Paris Images Digital Summit