Festival des 3 continents : à la découverte du cinéma costaricain

Festival des 3 continents : à la découverte du cinéma costaricain

15 novembre 2019
Cinéma
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Agua Fria de Paz Fabrega
"Agua Fria" de Paz Fabrega
Organisé à Nantes du 19 au 26 novembre, le festival consacré aux cinématographies d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie propose pour sa 41eme édition un focus sur le Costa Rica. Délégué général et directeur artistique de l’événement, Jérôme Baron nous éclaire sur les spécificités de ce cinéma.

Le Festival des 3 continents propose cette année un focus consacré au cinéma costaricain. Qu’est-ce qui a motivé ce choix ?

Ces cinq ou six dernières années, nous avons essayé de regarder autrement du côté des cinématographies latino-américaines. Nous avions notamment proposé une grande rétrospective du cinéma colombien, la plus vaste jamais présentée à ce jour en Europe. Ensuite, nous avons travaillé sur l’Argentine, puis le Brésil. Cette année, nous avons décidé de nous pencher sur un plus petit territoire, un pays d’une moins grande évidence du point de vue du cinéma : le Costa Rica. C’est une petite cinématographie. Nous avions peu de repères. Mais c’est parfois une bonne chose de commencer à travailler un programme sans trop en savoir, c’est une manière différente de procéder. Nous avons donc fait beaucoup de découvertes, dans ce parcours. Il a fallu trouver des œuvres qui pouvaient constituer des bornes, des références. Petit à petit, une sorte de carte mentale s’est dessinée, à partir de ce que l’on nous proposait de découvrir, mais aussi de la lecture que l’on se faisait de ces films, à distance.

Jérôme Baron
Pourriez-vous revenir sur l’histoire du cinéma costaricain ?

Comme dans beaucoup de pays d’Amérique centrale et d’Amérique latine, il y a toujours eu des velléités de cinéma car je pense que les peuples du monde, à un moment donné, ont tous eu envie de projeter des images d’eux-mêmes sur grand écran. C’est, comme souvent en Amérique centrale et dans la partie nord de l’Amérique latine (les pays andins), une histoire qui est très irrégulière. Il y a des années où un certain nombre de films sont tournés, d’autres pas du tout… Le Costa Rica est fait d’une succession de gestes a priori pionniers se succédant les uns aux autres sans pour autant dessiner ce que l’on pourrait appeler une histoire du cinéma. Pourtant, à partir de la décennie 1970, il y a eu une forte évolution, notamment à partir de la création d’un centre du cinéma costaricain. Le cinéma a alors été pris au sérieux. A cette même période, le pays a été marqué par un mouvement de réformes sociales, qui a rencontré aussi un cinéma ayant des préoccupations un peu plus politiques et documentaires, et qui va être le point de départ d’une véritable émergence. Cela a été irrégulier, mais depuis le début des années 1970, les Costaricains n’ont pas cessé de faire des films. Aujourd’hui c’est un cinéma qui est très dynamique et vivant, bien que précaire.

Quelles sont les caractéristiques artistiques et thématiques des films costaricains ?

Dans les films que l’on va montrer au festival, la dimension « art et essai » est très affirmée. Ce qui caractérise ces œuvres, c’est souvent une relation très intime aux personnages.

Le cinéma costaricain n’est pas un cinéma des mots, sans pour autant être un cinéma taiseux. Mais c’est un cinéma très attentif aux présences, à leurs manifestations, et qui laisse le temps aux spectateurs, qui ouvre des manières de récits qui font que, par étapes, on se rapproche de ces personnages dont on est a priori assez éloignés.

La dimension sociale n’y est pas prépondérante. Même si évidemment, parmi l’échantillon de ce programme, on voit un certain nombre d’aspects du pays. Ce qui m’a frappé, c’est que, contrairement à nombre de films latino-américains dans lesquels la place de la ville est prépondérante, là on a plutôt tendance à s’éloigner de San Jose, la capitale costaricaine, pour aller arpenter et trouver ailleurs un point d’attache. Enfin, l’autre dimension, et c’est celle qui m’est apparue de la manière la plus flagrante, c’est l’importance des femmes dans ce paysage cinématographique.

Comment explique-t-on cette place prépondérante des femmes dans le cinéma du Costa Rica ?

Il se trouve que parmi les œuvres les plus significatives de ces 20 dernières années, celles qui ont cherché à explorer d’autres voies que celle d’un cinéma local, commercial, hispanophone à même de toucher les pays limitrophes, les femmes ont souvent fait montre de plus d’ambition artistique, aussi bien en tant que scénaristes, qu’en tant que productrices ou réalisatrices.

Il n’est pas exclu, et certaines voix m’ont permis de le confirmer, que de ce point de vue-là, une sorte de solidarité, de collaboration féminine se soit mise un peu informellement mais efficacement en œuvre. Souvent, par exemple, les femmes réalisatrices sont produites par des femmes productrices. Le tout sans aucune forme de revendication ultra-féministe déterminée, mais un réseau de complicité s’est installé progressivement et fait qu’elles travaillent bien les unes avec les autres.

Del amor y otros demonos de Paz Fabrega

Quels films voir en priorité pour s’initier à cette cinématographie ?

Je conseillerais avant tout de voir les films d’Hilda Hidalgo, qui me semble être une voix absolument singulière dans le cinéma costaricain. Notamment son court métrage Sacramento et le long métrage Del amor y otros demonos, qui est adapté de Gabriel Garcia Marquez. Ce sont deux films très forts. On trouve chez elle une grande ambition romanesque. Paz Fabrega est également un nom important pour moi, une cinéaste costaricaine dont le premier film, Agua Fria, avait été primé à Rotterdam. Son œuvre est très singulière, personnelle et intime. Enfin, en élaborant ce programme, nous avons également découvert les films de Victor Vega, un cinéaste des années 1970 et 1980 qui a engagé avec quelques camarades une œuvre documentaire ayant une dimension sociale et militante. Il donne une présence physique à l’écran au petit peuple du Costa Rica.

Soutenu par le CNC, le Festival des 3 continents se tient à Nantes du 19 au 26 novembre 2019.