Quelle était la nature de vos relations avec Claude Lanzmann ?
Claude m’avait sollicité en 1985 à la sortie de Shoah. J’étais alors étudiant à la Fémis. Il s’inquiétait que son film n’ait pas le retentissement escompté, notamment auprès des plus jeunes spectateurs. Finalement, il n’a pas eu besoin de moi pour faire de Shoah le film-référence qu’il est devenu. Depuis, nous avons continué à nous voir régulièrement. Les prémisses de cet Automne à Pyongyang, un portrait de Claude Lanzmann, datent du retour de mon premier voyage en Corée du Nord où j’étais membre du jury du Festival international du film de Pyongyang, en 2014. En repartant les autorités nord-coréennes m’ont proposé de m’accueillir à nouveau si j’avais un projet de film sur place. Je n’en avais aucun. En revanche, je savais que Claude cherchait à adapter son autobiographie Le Lièvre de Patagonie et notamment cet épisode de 1958 où il est tombé amoureux d’une infirmière nord-coréenne à Pyongyang. Il a été évidemment très enthousiaste. Il pensait d’abord faire une fiction. C’est devenu le documentaire Napalm (2017), que j’ai produit. Les cinq dernières années de sa vie, nous nous sommes beaucoup côtoyés.
Toutes les images de L’Automne à Pyongyang ont-elles été filmées lors du tournage de Napalm ?
J’ai commencé à tourner dès les repérages. Ces voyages en Corée du Nord avaient un caractère tellement exceptionnel que j’ai immédiatement décidé d’emporter avec moi une caméra pour filmer Claude sur place. Au départ, je pensais faire une sorte de making-of du film que nous étions en train de tourner et, peu à peu, s’est dessiné un portrait sensible de Claude. Il est mort en 2018, donc peu de temps après la sortie de Napalm, et ces images sont restées dans mes tiroirs. Il a fallu que je me remette de sa disparition pour pouvoir les revoir, essayer de les assembler et me rendre compte enfin qu’il y avait un film à faire. Un film qui permettrait de montrer et d’entendre Claude autrement que de la manière dont on avait l’habitude de le voir. Le présenter sous toutes ses facettes, même dans son versant colérique, était le meilleur moyen de le garder vivant. Le cinéma sert aussi à rendre les gens éternels. Il faut bien comprendre qu’une fois en Corée du Nord, nos mouvements étaient très limités, nous passions la plupart de notre temps dans nos chambres d’hôtel et avions donc beaucoup de temps pour parler. C’était propice à la confession. Je voulais également que L’Automne à Pyongyang rende compte de notre aventure sur place. Il nous fallait constamment mentir aux autorités, persuadées que nous tournions un documentaire sur le taekwondo. Claude lance d’ailleurs cette réflexion très juste à propos de la Corée du Nord : « Ce pays est une fiction ! »
Que recherchait réellement Claude Lanzmann en Corée du Nord ?
Au-delà des traces de son histoire d’amour avec cette infirmière nord-coréenne un peu mythique, c’est avant tout sa jeunesse perdue que Claude voulait retrouver sur place. Malgré ses 90 ans, il était persuadé d’en avoir toujours 25 ! Claude était fasciné par l’idée d’éternité et notamment par Kim Il-sung, fondateur et premier dirigeant du pays, qui même trente ans après sa mort, reste officiellement le président du pays. J’ai gardé toute une séquence où il évoque justement cette idée d’éternité. Contredisant Simone de Beauvoir qui pensait que la mort apportait un repos nécessaire, Claude affirme : « Je suis prêt à vivre des milliards d’années, je ne me ferai pas chier ! »
L’Automne à Pyongyang, ce titre semble induire d’emblée la fin de quelque chose…
Il suggère évidemment cette idée d’automne, donc du crépuscule d’une vie. Il est directement inspiré d’un livre de Boris Vian, L’Automne à Pékin, un des romans qui m’a le plus fasciné quand j’étais lycéen. Et même s’il n’a aucun rapport avec mon film, j’ai toujours adoré ce titre.
L’Automne à Pyongyang
Réalisation et production : François Margolin
Montage : Olivier Jacquin et Camille Lotteau