Houda Benyamina dans le « court » des grands

Houda Benyamina dans le « court » des grands

13 décembre 2019
Cinéma
Houda Benyamina au Festival de Toronto 2016
Houda Benyamina au Festival de Toronto 2016 Jean-Baptiste Le Mercier -UniFrance
Du 14 au 21 décembre, Les Arcs Film Festival réservera une place de choix au court métrage européen. Émergence de jeunes talents, diversité des thèmes et des sensibilités : le programme devrait séduire Houda Benyamina, réalisatrice de Divines, qui sera la présidente du Jury court. Rencontre.

Aviez-vous déjà participé aux Arcs Film Festival ?

Houda Benyamina : J'y avais été invitée en 2016 à l'occasion d'une table ronde sur la place des femmes dans le cinéma européen. Nous avions discuté de la discrimination positive et cherché des solutions à l'occasion d'ateliers. C'était un début de réflexion avant-gardiste, le mouvement #MeToo et le collectif « 50/50 en 2020 » réunissant les femmes et les minorités n'existaient pas encore.

Le Festival se définit comme un espace de liberté et de découverte. Est-ce l'une des raisons qui vous a convaincue de présider le Jury court métrage ?

Tout à fait. C'est un festival qui met en lumière un cinéma peu représenté par ailleurs. Présider ce jury est l'occasion d'avoir une vue d’ensemble de ce qui se tourne en Europe. C'est important pour moi de rester connectée à la diversité des films. Aux Arcs, je viens découvrir des confrères : c'est un lieu où les échanges se font de manière fluide, où l'on fait des rencontres incroyables, où les gens sont animés d'une même passion, quelle que soient les origines sociales, ethniques et culturelles.

Qu'est-ce qui fait la singularité du format court ?

Sa liberté. Avec des moyens réduits, la créativité et le ton s'y révèlent souvent surprenants. Des gestes sont tentés, parfois maladroits, mais c'est l'audace qui importe. Le champ des possibles est plus ouvert : on peut être politique, social, humain, inventif, hors normes... L'idéal, en commençant un long métrage, serait de retrouver cette fougue des débuts. Prenez les courts de Scorsese : ils fourmillaient déjà d'inventivité, de sublimes tentatives qu'il insuffle encore aujourd'hui dans The Irishman. Je ne crois pas que la créativité se perde en passant au long métrage : c'est le système français qui est trop frileux, qui manque encore de diversité, sans compter le poids des enjeux économiques. Mais je suis optimiste : le renouveau du cinéma est là ! Certains premiers films, comme Grave, Les Misérables ou Atlantique ont renoué avec cette ferveur : ils font partie de cette « Double vague » dont Claire Diao parle dans son livre.

Vous vous êtes lancée en 2006 dans le court métrage, délaissant le métier d'actrice parce que vous aviez votre « vision du monde » et besoin de vous « exprimer autrement »...

C'était compliqué de rentrer dans des écoles comme La Fémis ou Louis-Lumière et il n'existait pas d'autres structures. La bascule s'est faite grâce à l'arrivée du numérique qui a démocratisé l'accès au cinéma. La caméra a été un canal pour exprimer des choses intimes... Nourrie de films, j'ai expérimenté, je me suis trompée, j'ai persévéré jusqu'à maîtriser le son, l'image, le découpage.

A l'époque, vous avez réalisé 9 courts métrages en 9 mois ! Était-ce un pari ou une folie ?

Je ne m'étais pas dit « 9 courts métrages » mais un par mois (rires). J'avais même fixé une date de projection avant d'avoir tourné. J'avais peu d'argent, aucun lien avec le milieu du cinéma : c'était le système D et j'y suis arrivée parce que j'avais la flamme... De tous mes courts, c'est Taxiphone Francaoui qui me tient le plus à cœur : il est libre, drôle, politique ; je ne me souciais pas du bon goût et je parlais déjà de diversité, du genre masculin et féminin, du racisme ordinaire...

Le court métrage est-il un passage obligé ?

Même si je viens de cette école, seule compte la règle que l'on s'invente. L'avantage de débuter par le court, c'est l'expérimentation : on a le temps d'y apprendre de ses erreurs, alors qu'on vous les pardonnera moins sur un premier film. On doit aussi susciter l'émotion sans avoir beaucoup de temps pour développer ses personnages, ce qui est un défi stimulant.

Qu'attendez-vous des courts que vous allez devoir juger ?

La sincérité et la nécessité du geste créatif. La forme a moins d'importance pour moi, elle peut être multiple. Quant à les « juger »... Je mettrai de côté mon mental et privilégierai le ressenti. Je vais laisser chaque film infuser pour mesurer ce qu'ils ont provoqué en moi et chez les autres membres du jury.