Ilan Klipper : « Le documentaire nourrit la fiction, et vice-versa »

Ilan Klipper : « Le documentaire nourrit la fiction, et vice-versa »

16 juin 2023
Cinéma
« Le Processus de paix ».
Camille Chamoux et Damien Bonnard dans « Le Processus de paix » Le Pacte

Depuis ses premiers pas derrière la caméra il y a un peu plus de quinze ans, le réalisateur du Processus de paix, une comédie sur un couple qui décide d’établir une charte et de s’y tenir pour prévenir la rupture, alterne documentaires et fictions. Retour sur un parcours singulier.


Pourquoi avoir choisi d’embrasser ce métier de réalisateur ?

Ilan Klipper : En fait, je n’avais jamais imaginé réaliser des films un jour. Je n’ai pas fait d’école de cinéma par exemple. Mais à un moment donné, j’ai fait un peu de journalisme télé. J’ai vite trouvé ça assez déprimant et c’est ce qui m’a donné envie de passer du reportage au documentaire, poussé aussi par ma rencontre avec le réalisateur Virgil Vernier avec qui je vais commencer à travailler.

Où cette rencontre a-t-elle eu lieu ?

Dans une colonie du CLEV, le Club laïque de l’enfance juive. Et quand j’ai eu l’opportunité d’aller tourner dans une école de police, j’ai demandé à Virgil de venir avec moi. On était alors à un moment de nos vies où l’on cherchait un peu notre chemin. C’est ainsi qu’est né notre premier film, Flics, en 2007. On a appris à faire du documentaire sur le tas ! Car, en parallèle du tournage, on regardait toute la journée des films de Jean Rouch, Frederick Wiseman, Donn Alan Pennebaker, Richard Leacock… ces cinéastes qui ont fondé le cinéma direct. Virgil et moi étions alors dans une logique de recherche expérimentale. Munis de nos petites caméras, on avait juste envie de faire quelque chose de singulier. Puis, après Flics, on a continué à suivre les élèves de l’école de police dans un deuxième documentaire, en 2009, Commissariat. Avant de poursuivre notre parcours chacun de notre côté.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de passer du documentaire à la fiction ?

Une raison assez pragmatique. Après mon film sur l’hôpital psychiatrique en 2011 (Sainte-Anne, hôpital psychiatrique), je me suis senti lassé de n’être que le spectateur du réel, j’avais envie de le mettre un peu en scène. Comme si je me sentais arrivé au bout de ce procédé-là. Je souhaitais agencer les choses afin qu’elles se produisent devant la caméra au lieu d’attendre qu’elles arrivent.

Passer du [documentaire] à [la fiction] constitue une gymnastique qui m’est devenue indispensable.

Votre première fiction fut un court métrage, Juke-Box, avec le chanteur Christophe, en 2014. Quelle en a été la genèse ?

Au départ, j’ai eu envie d’imaginer une suite à Sainte-Anne, centrée sur les visites à domicile de médecins chez des personnes qui retombent malades sans être hospitalisées et se mettent à hurler, à tout saccager. Mais je ne me voyais pas le filmer en mode documentaire. Je l’imaginais plutôt sous la forme d’une fiction. Et puis un jour, j’ai rencontré Christophe. On est devenus amis. J’ai découvert tout à la fois sa cinéphilie et son immense humilité. Il avait envie de tourner des films mais s’en empêchait car il avait un tel respect des comédiens qu’il ne se voyait pas occuper cette place. Par contre, il ne fermait pas la porte à des courts métrages qu’il trouvait plus à son échelle. Or moi, je trouvais sa personnalité tellement atypique que je pensais qu’il pourrait facilement tenir le rôle de quelqu’un d’un peu borderline. Sans le faire jouer, en créant un dispositif autour de lui pour qu’il reste naturel. C’est ainsi qu’est né Juke-Box. Il m’a permis de passer du documentaire à la fiction. J’ai eu la chance qu’il rencontre un beau succès en festivals. Et c’est l’un de mes films préférés.

C’est là que vous décidez de vous lancer dans votre premier long métrage de fiction, Le Ciel étoilé au-dessus de ma tête ?

Ma première envie a été de donner une suite à Juke-Box, mais sous la forme d’un long métrage. J’ai donc commencé à écrire un scénario qui s’appelait Chris, l’histoire d’un musicien qui avait connu la gloire avant de sombrer dans l’anonymat et dont la maison de disques envoyait des gens chez lui pour essayer de le remotiver. Je l’ai coécrit avec Vincent Dietschy sous la forme d’un drame très sombre. Parce que longtemps, de manière snob, j’étais persuadé que pour réaliser un beau film, il devait nécessairement être très noir. Nos productrices nous ont fait tellement de retours qu’on ne se voyait pas replonger dans l’écriture sans changer radicalement l’optique du projet. On a basculé vers la comédie afin de profiter aussi du talent de Vincent. On s’y est employé mais ce projet n’a, hélas, pas trouvé son financement. J’ai alors voulu essayer de refaire un court métrage. J’avais toujours en tête cette idée de gens enfermés dans leur appartement quand une amie m’a raconté comment, un jour, elle a organisé une opération sauvetage pour tenter de libérer son fils de ses addictions en débarquant dans l’appartement où il vivait cloîtré. Ça m’a inspiré pour développer une histoire similaire mais sous forme de comédie avec comme héros un type qui vivrait lui aussi cloîtré chez lui mais heureux de l’être et que ses proches viendraient sauver malgré lui. J’ai trouvé un producteur et en plein milieu de ce tournage très joyeux, on a décidé de le prolonger de quelques jours et d’en faire un long qui deviendra donc Le Ciel étoilé au-dessus de ma tête, en 2017.

Qu’est-ce qui vous a paru le plus complexe dans le passage du documentaire à la fiction ?

Les relations avec le directeur photo, même si j’adore travailler avec Lazare Pedron depuis Juke-Box. Ça n’a rien à voir avec lui. J’ai juste du mal à trouver ma place puisque dans tous mes documentaires, c’est moi qui filme. Ne pas avoir l’œil dans l’œilleton de la caméra n’est pas naturel pour moi. Et cela traduit plus largement ma difficulté à trouver une place sur le plateau où je peux apporter les meilleures idées avec le plus d’efficacité. Je n’y suis pas encore totalement parvenu.

Comme vous l’aviez fait avec les documentaires à vos débuts, vous vous nourrissez de fictions pour concevoir les vôtres ?

Je ne suis pas un immense cinéphile. Mais quand j’ai réalisé Juke-Box, j’étais très habité par Last Days de Gus Van Sant sur Kurt Cobain, et je voulais faire des plans très longs, comme lui. En comédie, c’est plus compliqué. J’en regarde, certes, mais surtout pour le travail des comédiens et l’efficacité des blagues. L’une des rares personnes qui fait de la mise en scène en comédie, c’est Woody Allen. Mais je ne vois pas comment m’en inspirer sauf à le copier.

La comédie, c’est justement le registre de votre nouveau film, Le Processus de paix, coécrit avec votre interprète principale Camille Chamoux, que vous aviez déjà dirigée dans Le Ciel étoilé au-dessus de ma tête. Qu’est-ce qui a donné naissance à cette collaboration ?

Le fait qu’elle ne soit pas qu’une actrice, mais aussi une autrice. Je me considère en formation dans la comédie. Et rencontrer quelqu’un comme Camille qui est sur les planches depuis vingt ans n’a pas de prix. Je m’inspire de son expérience, de son sens du rythme. C’est quelqu’un avec qui on a des échanges très profonds quand on travaille sur des scènes. On rit, on se tire vers le haut. Il y a quelque chose d’extrêmement enthousiasmant dans cette collaboration.

Vous êtes revenu au documentaire en 2020 avec Soigner à tout prix. Ce besoin d’alterner les genres vous est-il indispensable ?

J’aime en effet revenir régulièrement à de la fabrication artisanale. J’ai une grande admiration pour le réalisateur israélien David Perlov et ses journaux filmés dans lesquels il raconte aussi bien sa vie de famille que son pays. En ce moment justement, j’ai très envie de revenir au documentaire et de raconter ma famille sur plusieurs générations, tout en écrivant une nouvelle comédie avec Mikael Buch. Rien ne me plaît plus que de passer d’un genre à l’autre. Quand tu es sur un tournage où il y a des enjeux financiers, tu ne peux pas être uniquement dans la recherche, ton espace de liberté est plus restreint, même si le travail avec les comédiens t’apporte beaucoup. À l’inverse, un documentaire, c’est plus laborieux, tu n’es pas porté par la même énergie d’équipe. Il demande beaucoup de ténacité, mais te laisse un champ de liberté inestimable. Passer de l’un à l’autre constitue une gymnastique qui m’est devenue indispensable car l’un nourrit l’autre. Et vice-versa.

Le Processus de paix

Le Processus de paix

Réalisation : Ilan Klipper
Scénario : Ilan Klipper et Camille Chamoux
Photographie : Lazare Pedron
Montage : Carole Le Page
Musique : Frank Williams, Stéphane Cochet, Jeanne La Fonta, Martin Mahieu
Production : Cinéfrance Studios
Distribution et ventes internationales : Le Pacte
Sortie le 14 juin 2023

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