Jérémie Elkaïm : « Avec Ils sont vivants, j’ai voulu creuser les mystères de la rencontre amoureuse »

Jérémie Elkaïm : « Avec Ils sont vivants, j’ai voulu creuser les mystères de la rencontre amoureuse »

25 février 2022
Cinéma
Tags :
Ils sont vivants de Jérémie Elkaïm
"Ils sont vivants" de Jérémie Elkaïm Memento Films

Pour ses débuts de réalisateur, Jérémie Elkaïm met en scène le coup de foudre entre la veuve d’un policier militant FN et un enseignant iranien arrivé clandestinement en Europe. Il raconte au CNC comment il s’est emparé du sujet brûlant des migrants.


Vous avez coécrit plusieurs films avec Valérie Donzelli et signé un court métrage, Manù, en 2010. Pourquoi avoir attendu si longtemps pour réaliser votre premier long métrage ?

Je suis venu au cinéma avec le désir de raconter des histoires et de faire des films. Mais ça a en effet pris du temps ! Il y a indéniablement dans tout cela une part de dilettantisme mais aussi une question de légitimité. Il fallait que je parvienne à trouver ma place et l’endroit où je pourrais le faire. Ce qui a changé la donne, c’est que le désir soit venu d’une actrice, Marina Foïs, et qu’un producteur m’ait proposé dans la foulée d’adapter Calais mon amour, écrit par Béatrice Huret –d’après sa propre histoire – et Catherine Siguret. Ça m’a libéré et, bizarrement, cela m’a permis de mettre énormément de moi dans une histoire que je n’avais pourtant pas initiée. 

Ils sont vivants raconte la passion amoureuse entre la veuve d’un policier militant FN et un enseignant iranien arrivé clandestinement en Europe, qui se rencontrent dans la jungle de Calais. Qu’est-ce qui vous a séduit dans cette histoire ?

J’avoue que j’ai d’abord eu un peu peur des écueils potentiels. Je voyais spontanément du danger dans un sujet qu’on peut penser essoré par le traitement médiatique et devenu par ricochet clivant. Mais dans un second temps, j’ai choisi de creuser un élément qui n’est pas raconté par Béatrice Huret dans son témoignage : l’intimité qu’elle a partagée avec cet homme. J’ai donc essayé d’imaginer ce qui pouvait se jouer chez les personnes exilées vivant une telle situation. Que pouvait-on imaginer des intentions de cet exilé qui, par instinct de survie, pourrait voir dans cette relation une manière de passer la frontière ? J’y ai vu un fil à tirer plus universel et plus personnel : qu’est-ce qu’une rencontre amoureuse quand une alchimie totalement improbable vous fait vibrer et faire naître des sentiments qui vous dépassent ?

Ça m’a paru passionnant d’essayer de questionner ce qu’est au fond une histoire d’amour.

Est-ce que deux personnes peuvent réellement se lier « gratuitement » toute une vie ? Sans que la situation de l’autre – y compris financière – ne pèse à aucun moment ?

Comment vous êtes-vous documenté sur ce sujet ?

Je me suis posé énormément de questions avant de commencer à écrire le scénario. Aurais-je assez de recul pour pouvoir représenter les drames des vies de ces gens ? Avant de me dire que pour eux – ce qui s’est confirmé au fil des rencontres que j’ai pu faire – la violence vient aussi du fait qu’on les « invisibilise », qu’ils n’ont pas suffisamment d’espace pour être autre chose qu’un numéro ou un archétype. J’ai donc pensé qu’une entreprise qui a pour but de les regarder avec acuité ne pourrait pas leur porter préjudice. Ça m’a un peu libéré. Mais une fois cette étape franchie, l’important a été de le faire très sérieusement. Pour cela, j’ai regardé énormément de documentaires, de reportages, de photos sur la jungle de Calais. J’ai beaucoup discuté avec Béatrice Huret. J’ai rencontré des aidants, des bénévoles… mais jamais seul. Avec toute mon équipe pour l’impliquer le plus en amont possible.

Comment, une fois ce travail préparatoire effectué, vous êtes-vous emparé de ce récit qui aborde un sujet politique et clivant ?

Mon obsession était de ne pas faire un film qui sonne faux. Autant du côté du drame que vivent ces personnes exilées que des aidants qui les accompagnent. Quant à la dimension politique et idéologique que vous évoquez, je considère pour ma part que le cinéma est toujours politique. Y compris une comédie régressive, car elle est l’expression d’un point de vue sur le monde et les êtres. Je fais volontiers mienne une phrase d’Ingmar Bergman que j’adore : « Tous les films posent la question de savoir si l’amour existe. » J’ai conscience évidemment avec mon film que sur ce sujet, il existe des camps irréconciliables comme à chaque fois qu’on aborde des questions polarisées. Mon but a donc été de mettre de la nuance, de refuser le manichéisme. Je n’ai pas la prétention de penser qu’en voyant Ils sont vivants, des gens feront le choix de Béatrice, mais j’espère que cette alchimie rend un peu plus absurdes les notions de frontières. Attention, je sais combien ces choses sont complexes et je n’ai vraiment de leçon à donner à personne. D’ailleurs, le film ne le cherche à aucun moment. Mais dans une société qui ne cesse de prôner comme valeurs à nos enfants le partage, l’inclusion, la prise en compte des différences, il me paraît étrange qu’on n’arrive pas, en suivant la même logique, à se dire qu’il faut non seulement maintenir en vie ces personnes exilées mais aussi mettre tout en œuvre pour qu’elles aient une existence digne. Une fois encore, Ils sont vivants ne cherche pas à raconter cela, mais j’espère qu’on le lit en sous-texte.

Mais le fait que cette histoire d’amour concerne la veuve d’un militant FN et un exilé iranien ne vous a pas semblé être un obstacle ? Comme si cela faisait un peu « too much » dans le cadre d’une fiction…

J’ai ressenti ce dont vous parlez. C’est ce qui m’a conduit à tenter de radiographier cette défiance préalable. Personne n’est fait que d’un seul morceau. Pas plus Béatrice qu’une autre. D’abord parce qu’elle est avant tout une affranchie. Au moment où son mari meurt, comme souvent à la faveur d’un drame, elle change de point de vue sur les choses. Elle est comme en suspend quand elle croise la route de Mokhtar. Elle va faire un mouvement vers la lumière qui sera forcément un peu mystérieux pour le spectateur.

Est-ce que des films vous ont influencé pendant la création de Ils sont vivants ?

J’en avais certains en tête, mais qui traitaient plus de la transgression amoureuse que de la figure des exilés. Je pense tout particulièrement à Tous les autres s’appellent Ali de Fassbinder, intéressant à voir aujourd’hui car il s’est fait dans une Allemagne étriquée où l’idée qu’une femme d’un certain âge vive une histoire d’amour avec un émigré marocain faisait scandale. Dans le cas de Béatrice et Mokhtar, je ne pense pas qu’il s’agisse de la plus grande ttransgression. Indépendamment du fait qu’elle soit la veuve d’un flic FN et lui un exilé, c’est culturellement que leur histoire est encore plus improbable. Mokhtar est très lettré et Béatrice n’a pas fait de grandes études. C’est là la plus grande différence entre eux deux, mais c’est ce qui crée aussi le côté électrique de leur rencontre. 

Cette rencontre électrique se traduit à l’écran par une grande sensualité. Comment avez-vous travaillé cet aspect ?

Tout a débuté par l’alchimie entre Marina et Seear Kohi. Elle a été immédiate durant les essais que j’ai tenu à faire dans les conditions de tournage, pour gommer le côté toujours un peu factice de l’exercice. Ensuite, je sais par expérience que, très vite, tout peut être figé sur un plateau et perdre de l’organique. Pour éviter cet écueil, j’ai essayé d’enlever tous les freins. J’ai souhaité qu’on soit très peu nombreux sur le plateau pour chaque scène, pas seulement durant les scènes d’amour. J’ai demandé des prises très longues pour autoriser les comédiens à prendre le temps de dire les choses, de vivre les choses, de se regarder. Augmenter la durée de tournage participait à cette même logique, réduire au minimum les temps de préparation. Tout cela a offert un cadre dans lequel ont pu s’insérer les scènes sensuelles où j’ai essayé d’être le plus précis possible, notamment sur les gestes, afin de libérer les acteurs pour qu’ils puissent être eux-mêmes. Et là, forcément, ma propre expérience de comédien m’a été tout particulièrement utile.

ILS SONT VIVANTS

De Jérémie Elkaïm.
Scénario : Jérémie Elkaïm, Arthur Cahn, Gilles Marchand, d’après le livre Calais mon amour de Béatrice Huret et Catherine Siguret.
Photographie : Jeanne Lapoirie. 
Montage : Laurence Briaud.
Production : Super 8 production.
Distribution : Memento.
Ventes internationales : Totem Films et Best Friend Forever.