Jerzy Skolimowski, au-délà des genres et des frontières

Jerzy Skolimowski, au-délà des genres et des frontières

Le Départ
Le Départ Elisabeth Films - DR - T.C.D

Le cinéaste polonais qui bénéfice d’une rétrospective en salles, est l’un des invités d’honneur de la Cinémathèque française dans le cadre de son festival Toute la mémoire du monde. L’occasion de revenir sur une filmographie sinueuse et foisonnante


LE DEPART (1967)

Né en 1938 à Lodz, Jerzy Skolimowski est passé par la célèbre école de cinéma de sa ville natale où il rencontre Roman Polanski. Il collabore au scénario du premier long métrage de ce dernier : Le couteau dans l’eau. Il signe ses premiers longs métrages en tant que réalisateur au début des années 60 avec une trilogie autour d’un jeune homme sans qualité balloté par les aléas de l’existence : Signe particulier : néant, Walkover et La barrière. Son quatrième long métrage Le départ marque un virage puisque Skolimowski tourne pour la première fois en dehors de son pays – en Belgique précisément - mais surtout de l’autre côté du rideau de fer. Ecrit et tourné très rapidement, ce film très « Nouvelle Vague française » respire la liberté et l’improvisation. Jean-Pierre Léaud joue un garçon coiffeur passionné de voitures qui va vivre mille aventures. Ce film très drôle qui avance à 200 à l’heure obtient l’Ours d’or à Berlin en 1967.

 

DEEP END (1970)

Suite au succès du Départ, Skolimowski retourne en Pologne en 1967 mais son film Haut les mains, jugé subversif car antistalinien, sera interdit par la censure. Il décide alors de s’exiler définitivement. Après une première tentative anglaise (Les aventures du Brigadier Gérard) qu’il juge ratée, Skolimowski prépare ce Deep end. L’Angleterre vit alors aux rythmes libertaires et agités du Swinging London. Jerzy Skolimowski a écrit le scénario dans l’appartement contigu de celui de Jimi Hendrix et la future héroïne de ce Deep end, Jane Asher, n’est autre que la petite amie de Paul McCartney. Mais le cinéaste polonais se tourne vers Cat Stevens et le groupe Can pour composer la bande originale de son film. Cette ébullition artistique se retrouve dans cette comédie colorée qui ose toutes les expérimentations formelles. Deep end raconte l’éducation sentimentale et sexuelle d'un adolescent qui va tomber sous le charme d'une déesse sortie des eaux d’un bain public. Ce film où l’absurde côtoie le drame vaut pour sa beauté plastique et poétique inouïe. Témoin ce final dans une piscine vide.

LE CRI DU SORCIER (1978)

En 1978, le polonais Jerzy Skolimowski a quitté la Pologne depuis maintenant une décennie et officie donc en Angleterre où il a rejoint son compatriote Roman Polanski. Ce Cri du sorcier est moins politique qu’esthétique. Skolimowski choisit comme narrateur un malade mental et impose d’emblée une lecture aléatoire des évènements. Il était une fois un fou qui était aussi sorcier. Formé aux rites aborigènes, il est capable de tuer par la seule force de son cri. Notre homme s’incruste ici chez un couple sans histoire vivant paisiblement dans les verts pâturages anglais, pour tout saccager. Sans autres effets spéciaux que les outils rudimentaires du cinéma, la mise en scène de Skolimowski accouche d’un film hybride. Dans la peau du mari brisé, on remarque un certain John Hurt juste avant qu' Elephant Man ne le propulse au firmament.

TRAVAIL AU NOIR (1982)

Si Skolimowski tourne depuis des années en dehors de son pays, il reste très préoccupé par la situation politique instable de son pays. Le 13 décembre 1981, le gouvernement polonais instaure l’état de siège dans un pays où la situation économique catastrophique menace de tout faire chavirer. Cette situation aussi tendue que violente est le point de départ de ce Travail au noir, qui voit trois ouvriers polonais et leur contremaître accepter un chantier en Angleterre. C’est au moment où débutent les travaux qu’a lieu le coup d’état polonais. Nowak, le contremaître, incarné par Jeremy Irons, décide de cacher l’information à des ouvriers qui subissent une pression constante de la part de ce patron dont ils ignorent pourtant la grande part d’humanité. Le film obtient le Prix du scénario au Festival de Cannes en 1982.

ESSENTIAL KILLING (2010)

En 1990, Jerzy Skolimowski décide de signer son grand retour en Pologne où les bouleversements politiques récents (chute du mur de Berlin…) permettent une plus grande liberté à ce cinéaste farouchement indépendant. Le rendez-vous est toutefois manqué. Ferdydurke, adaptation d’un roman du grand écrivain polonais Witold Gombrowicz, est une coproduction européenne qui échappe à son auteur. Skolimowski le considère comme son plus mauvais film et entraîne chez lui un dégout profond du cinéma. Le cinéaste se consacre alors avec succès à la peinture. Il revient au cinéma avec Quatre nuits avec Anna en 2008 avant de signer deux ans plus tard Essential killing, un film de survie minimaliste avec Vincent Gallo. L’acteur incarne un taliban en fuite dans les montagnes afghanes qui va bientôt se retrouver pieds nus et menotté dans la neige. Ce film dépouillé et quasiment sans dialogues, évoque Deux hommes en fuite de Joseph Losey (1970). Le film obtient le Grand Prix du Jury à la Mostra de Venise en 2010. Le cinéaste a depuis réalisé le film 11 minutes en 2015.