Juliette Binoche, actrice sans frontières

Juliette Binoche, actrice sans frontières

07 février 2019
Juliette Binoche
Juliette Binoche Fred Meylan - Berlinale 2019

La comédienne française a été choisie pour présider le Jury du prestigieux Festival de Berlin, qui se tient du 7 au 17 février. Portrait.


Juliette Binoche va fêter ses 55 ans le 9 mars prochain et a joué dans plus de 60 films mais son énergie et sa curiosité insatiables sont pourtant celles de la jeunesse, des premières fois. Pas étonnant, dès lors, de la découvrir en séductrice -involontaire- d’un jeune homme de 24 ans dans Celle que vous croyez (sortie le 27 février), le nouveau film de Safy Nebbou (Le Cou de la girafe, Dans les forêts de Sibérie).

Involontaire, car c’est en se créant un faux profil mentant sur son âge sur les réseaux sociaux qu’elle va faire tourner la tête d’un internaute en quête de l’âme sœur. Qui d’autre que Juliette Binoche aurait pu interpréter cette quinquagénaire prise à son propre jeu avec une telle évidence ?

Comme le personnage qu’elle interprète, Juliette Binoche a de l’esprit. Et une conception de son métier assez radicale. « Ce qui me motive, c’est le désir de vertige et la passion, déclarait-elle au magazine Première en 2012. Je veux perdre pied. Ce que j’aime, c’est le moment où l’on disparaît à soi-même pour laisser une autre exister. (...) Le danger ne me fait pas peur si je le choisis. Ce que je trouve dangereux, c’est de rester au bord et de ne pas plonger. »

Nouvelle star

Flashback. Nous sommes au milieu des années 80. Juliette Binoche est la nouvelle déflagration du cinéma français. Coup sur coup, Rendez-vous (1985) d’André Téchiné et Mauvais sang (1986) de Leos Carax ont imposé la modernité de son jeu, mélange d’énergie brute et de sensibilité à fleur de peau. Avec ses contemporaines Sandrine Bonnaire et Béatrice Dalle, elle symbolise une génération d’actrices portée vers une mise en abyme extrême.

Réel et fiction se confondent, parfois dangereusement comme dans Les Amants du Pont-Neuf (1991) de Leos Carax, récit d’une passion amoureuse torturée faisant écho à la véritable histoire du réalisateur et de l’actrice. « J’ai quitté Leos pendant un temps à cause d’une scène qu’il avait écrite et qui mettait en doute l’amour que j’avais pour lui. À l’époque, c’était une humiliation pour moi, j’étais jeune et impulsive. Je ne voulais pas jouer ce qu’il avait écrit, ça me paraissait insupportable. » Carax écartera finalement la scène en question et l’incandescent Les Amants du Pont-Neuf, archétype du film maudit (trop cher, arrêté, repris, descendu par la presse), servira paradoxalement la carrière de Juliette Binoche, désormais réputée pour ses prises de risques.

La trilogie “Trois Couleurs” qu’elle entame dans la foulée avec Krzysztof Kieslowski donne une couleur internationale à sa carrière qui la mènera jusqu’à Hollywood, jusqu’au triomphe du Patient anglais qui lui vaudra l’Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle. La liste des cinéastes avec lesquels elle a tourné depuis est vertigineuse :  Godard, Boorman, Haneke, Ferrara, Kiarostami, Hsiao-Sien, Cronenberg, Dumont... Elle témoigne de son pouvoir d’attraction qui aura traversé quatre décennies et fait d’elle l’ambassadrice d’un certain goût français et d’un certain cinéma d’auteur international dont elle est l’infatigable cœur battant.

Une présidence inédite

Des talents féminins pareils, brillant par leur longévité, leur exigence et leur rayonnement à l’extérieur des frontières, il n’en existe pas beaucoup. Juliette Binoche partage d’ailleurs avec l’américaine Julianne Moore une caractéristique unique : elle a remporté un prix d’interprétation dans les trois plus grands festivals du monde, Cannes, Venise et Berlin. La coupe n’était pas tout à fait pleine. Il lui restait à obtenir le titre, rare pour une actrice, de présidente de jury d’un grand festival - elle ne l’a été que du festival de Cabourg, en 2015.

C’est désormais chose faite. Du 7 au 17 février, Juliette Binoche occupera la fonction dans le cadre de la 69ème Berlinale, l’une des plus vénérables manifestations internationales de cinéma. Son président, Dieter Kosslick, s’est d’ailleurs exprimé avec flamme au sujet de l’actrice française. « Je suis ravi que Juliette soit la présidente du jury international 2019. Le festival partage un lien fort avec elle, et je suis heureux qu'elle y revienne à ce poste prestigieux. » Pour rappel, Mauvais sang et Les Amants du Pont-Neuf, les chefs d’œuvre anxieux de Leos Carax, ont été projetés à Berlin ainsi que Le Patient anglais, la puissante fresque d’Anthony Minghella, qui valut un prix à l’actrice. « C'est incroyable pour moi !, a réagi Juliette Binoche à cette annonce. Je me projette déjà pour ce rendez-vous si spécial avec tout le jury et je remplirai ma tâche avec joie et intérêt. »

Après le festival, il sera temps pour elle de rejoindre le tournage de l’adaptation du récit autobiographique Quai de Ouistreham de Florence Aubenas par l’écrivain-cinéaste Emmanuel Carrère. Juliette Binoche interprétera la célèbre journaliste infiltrée au milieu de femmes demandeuses d’emploi et vivant dans la précarité. Un film qui sera sans doute prêt pour le Festival de Berlin 2020 ou, pourquoi pas, pour son homologue cannois…