Jumbo, le singulier coup de foudre entre une femme… et un manège

Jumbo, le singulier coup de foudre entre une femme… et un manège

01 juillet 2020
Cinéma
Jumbo de Zoé Wittock
Jumbo de Zoé Wittock Caroline Fauvet - 2019 Insolence Productions – Les Films Fauves – Kwassa Films
Pour son premier long métrage, la cinéaste belge Zoé Wittock met en scène une jeune gardienne de nuit d’un parc d’attractions qui tombe amoureuse… d’un manège ! Un récit initiatique vraiment pas comme les autres. Rencontre avec sa réalisatrice.

Comment naît l’idée de raconter une histoire d’amour entre une femme et un manège ?

Zoé Wittock :

Tout part d’un article où il était question d’une femme tombée amoureuse… de la Tour Eiffel ! Ça m’avait d’abord laissée sans voix mais cette histoire ne m’a plus lâchée et j’ai eu envie de creuser ce mystère, en faisant des recherches

De fil en aiguille, j’ai réussi à rentrer en contact avec cette femme qui a accepté de me rencontrer. Et alors que je m’attendais à me retrouver face à quelqu’un d’étrange et en marge, j’ai découvert, à l’inverse, une femme très ancrée dans la réalité avec un discours très sensé. Tous mes a priori ont volé en éclats car elle ne me racontait finalement rien d’autre qu’une histoire d’amour tout à fait classique. Et en sortant de ce rendez-vous, j’ai tout de suite eu envie de développer une fiction autour d’un personnage similaire qui permettrait aux spectateurs de faire le même trajet que moi à travers cette rencontre. Avec le désir de traiter ce sujet sérieusement avec énormément de bienveillance mais aussi avec le recul indispensable pour ne jamais imposer aux spectateurs une empathie obligatoire. A eux de faire ce chemin seul. Pour cela, il n’allait falloir à aucun moment nier l’étrangeté de la situation, ni le malaise que cela peut créer. En cela, Jumbo est un film sur la différence.

Votre héroïne, Jeanne, ne tombe cependant pas amoureuse de la Tour Eiffel mais d’un manège. Pourquoi ce choix ?

D’abord parce que cette idée d’histoire d’amour avec la Tour Eiffel en tant que telle ne m’inspirait pas. J’ai donc cherché quelque chose qui me parlerait plus. Et là, l’idée de la fête foraine a surgi. D’abord parce que j’ai toujours adoré les attractions qui offrent des moments où l’on peut vraiment s’abandonner. Et ensuite parce que d’un strict point de vue visuel, le manège allait m’aider à visualiser très concrètement cette chose abstraite qu’est le sentiment amoureux.

Avec en point d’orgue, la scène d’amour entre ces deux amants singuliers que vous n’esquivez pas.

Je ne pouvais pas l’esquiver. Elle représente une des étapes d’un processus de séduction « normal ». L’histoire de Jumbo est tellement extraordinaire que je devais me raccrocher à un certain classicisme dans sa structure pour que le spectateur puisse retrouver certains codes qu’il connaît avant de se laisser aller. En l’occurrence : le premier regard, le premier contact, le flirt, la scène d’amour donc puis le doute, la remise en question…

Est-ce que cette scène a été vécue comme le climax du tournage ?

Il se trouve qu’elle est la dernière que nous ayons tournée. Je savais évidemment qu’elle était importante car elle constitue un moment-clé de basculement du film. Mais je n’ai ressenti aucune pression particulière. Je devais juste prendre garde à ce que sa fabrication techniquement très compliquée ne prenne pas le pas sur l’émotion et la sensualité.

L’âge de Jeanne a-t-il évolué au fil de l’écriture ?

Dans mon esprit, Jeanne a toujours été une fille un peu sans âge. Si son parcours initiatique amoureux évoque spontanément celui que pourrait vivre une jeune fille de 16 ans, il peut tout aussi bien se produire à 30 ans chez quelqu’un un peu plus en marge. J’ai donc imaginé Jeanne pile entre ces deux âges pour garder cette ambiguïté sur ce corps de femme qu’elle traite comme un corps d’enfant avant de peu à peu le découvrir à travers cette première rencontre amoureuse, aussi singulière soit-elle.

Jumbo 2019 Insolence Productions/Les Films Fauve/Kwassa Films/DR

Vous présentez d’emblée Jeanne comme une jeune femme inadaptée à notre vie quotidienne…

Je voulais qu’elle ait une sensibilité particulière, l’empêchant de réussir à communiquer avec le commun des mortels…

…Y compris avec une mère très envahissante, qui va jusqu’à susciter la gêne.

Oui, par son besoin exacerbé d’avoir un amour fusionnel avec sa fille, sa mère contribue malgré elle à cette incapacité handicapante dans la vie de tous les jours. Pour rentrer dans l’intimité de Jeanne, il me fallait un personnage secondaire très proche d’elle mais se situant aux antipodes. Soit cette mère envahissante et assez « olé-olé » (sourire). J’aime les personnages haut en couleurs et elle allait me permettre de ramener un aspect un peu fantasque dans cette réalité.

Jeanne est incarnée par Noémie Merlant. Pourquoi ce choix ?

Ce fut un très long casting qui m’a aussi permis d’affiner ce personnage. Noémie est l’une des toutes premières comédiennes que j’ai vue en audition. Elle avait fait une prestation très originale mais un peu trop en puissance par rapport au personnage que j’avais en tête. Et je n’avais pas su la diriger pour aller trouver en elle la fragilité du personnage. Dans la foulée, j’ai donc rencontré énormément d’autres jeunes actrices très douées mais sans qu’aucune ne réussisse à me convaincre à 100%. Et j’avais toujours gardé Noémie dans un coin de ma tête. Alors, je l’ai rappelée et elle a bien voulu revenir auditionner. Là, je lui ai donné plus d’indications car ma vision du personnage était devenue beaucoup plus limpide. Noémie a joué une scène et j’ai littéralement fondu en larmes. L’évidence s’est imposée à ce moment-là.

Comment ont réagi les financiers quand vous êtes allée présenter ce projet aussi singulier ?

Entre l’idée du film et sa sortie en salles, il s’est écoulé 8 ans. 8 années de combat. Et je pense d’ailleurs que si ce film a pu voir le jour aujourd’hui, c’est parce que les mentalités ont évolué et qu’il existe une plus grande ouverture d’esprit sur la question du genre et sur la sexualité de manière générale. Jumbo avait sans doute un côté un peu trop précurseur il y a 8 ans. Aujourd’hui, il participe pleinement au débat. Et cette évolution s’est aussi traduite dans son financement, à travers la confiance que le sujet de mon film a fini par inspirer. Même si on n’a été suivi ni par une chaîne de télévision, ni par la moindre région. C’est l’Avance sur recettes du CNC - qu’on a obtenue au premier tour - qui a été un vrai soutien artistique décisif. Et dans la foulée, j’ai pu trouver des partenaires en Belgique et au Luxembourg qui m’ont permis de faire décoller ce film et faire qu’il existe aujourd’hui.

Jumbo, qui sort ce mercredi 1er juillet, a reçu l’avance sur recettes avant réalisation et l’aide à la création de musique de film du CNC.