La Bavarde : une grande innovation pour l’accessibilité au cinéma

La Bavarde : une grande innovation pour l’accessibilité au cinéma

22 février 2024
Cinéma
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La Bavarde
Aldéric Lesueur et Marie Gaumy, à l'origine de La Bavarde Jean Gaumy

L’association Les Yeux Dits travaille actuellement sur La Bavarde, une application permettant de synchroniser l’audiodescription d’un film sur le téléphone d’un utilisateur aveugle ou malvoyant. Une révolution menée par Marie Gaumy, chargée de production, et Aldéric Lesueur, chef de projet. Ce dernier nous présente cette application qui pourrait changer la vie de millions de cinéphiles.


Comment est né le projet La Bavarde ?

Aldéric Lesueur : Avant cette application, il y a le projet « 100 films patrimoniaux 100 % accessibles », toujours en cours, qui est né du constat suivant : pour les aveugle ou les malvoyants, l’accès au socle culturel cinématographique commun n’est pas le même. Or, le cinéma est la première pratique culturelle des Français, un lieu d’ouverture sur le monde, mais aussi de sociabilisation. Depuis le 1er janvier 2020, le CNC n’accorde l’accréditation de sortie qu’aux films français dont les accessibilités ont été réalisées, c’est-à-dire l’audiodescription et le sous-titrage pour malentendants. Il existe un stock de plus de 4 000 audiodescriptions listées mais  elles sont difficilement accessibles, car elles sont parfois dispersées. Certains ayants droit ne savent même pas qu’elles existent pour leurs films. Nous pouvons faire face à des situations où trois audiodescriptions ont été réalisées pour le même long métrage, par une chaîne de télévision, un producteur ou un festival. C’est un paysage complexe où la diffusion reste le maillon faible. Si des équipements existent dans certaines salles, de nombreux exploitants nous expliquent que le matériel est trop coûteux et parfois trop compliqué à faire fonctionner. Ce qui explique que certains ont abandonné. Ceux qui le font encore organisent des séances spécifiques, pour lesquelles le public doit souvent être libre en journée et en semaine… C’est pour cela que nous avons commencé à travailler avec les développeurs de la société IDVIU sur une solution permettant de synchroniser l’audiodescription au film, à partir d’un téléphone portable.

La Bavarde répond donc à un enjeu d’accessibilité pour les usagers, mais aussi de centralisation des audiodescriptions existantes ?

C’est l’objectif, pour les personnes malvoyantes comme pour les personnes malentendantes, car à terme nous envisageons de diffuser également des sous-titres. Dans ce cas-là, le problème est différent, puisque nous n’avons pas encore d’appareil, comme des lunettes connectées, suffisamment abordable. Mais je suis persuadé qu’un jour, la bonne solution sera trouvée. Les personnes en situation de handicap sensoriel sont 10 à 12 millions en France, dont environ 2 millions de malvoyants et d’aveugles. Socialement parlant, il est évident qu’il faut se pencher sur le sujet. L’accès à la culture doit exister pour tout le monde. Il est important d’avoir le plus large catalogue possible pour le public, mais aussi pour les professionnels. S’il existe une plateforme fiable d’audiodescription, ils n’auront de difficulté à trouver les fichiers, ce qui évitera les doublons. Les investissements mis dans l’accessibilité peuvent être mieux rentabilisés en touchant d’avantage le public pour lequel ils sont réalisés, ce qui attirera ledit public au cinéma. Je crois aussi que le travail de centralisation pourra permettre d’augmenter la qualité globale des audiodescriptions, puisqu’il y aura un retour du public.

Concrètement, comment fonctionne l’application ?

De la même façon que Shazam est capable de reconnaître un morceau de musique. Lorsqu’on regarde un film, l’application l’identifie grâce à sa bande-son et se synchronise automatiquement. Ce qui permet aux malvoyants d’être libres et de regarder des films comme les voyants, à l’aide de leur smartphone.

La Bavarde fonctionnera en salle et à la maison ?

C’est l’idée. Beaucoup aimeraient voir des films avec leurs enfants ou leurs proches, et c’est compliqué à l’heure actuelle. Imposer l’audiodescription à toute la famille devient vite désagréable car cela fait beaucoup d’informations à digérer pour quelqu’un qui n’est pas malvoyant ou aveugle. Avec l’application et un casque pour la personne malvoyante, chacun pourra regarder le film sans déranger l’expérience de cinéma de l’autre.

Où en êtes-vous du développement ?

Nous avons une version bêta, qui est presque au niveau « produit minimum viable ». Nous pensons pouvoir finaliser la version iOS cette année, puis sortir la version Android en 2025. Mais il existe deux formats dans l’audiodescription : la voix seule et la voix mixée au film. La voix seule sera diffusée dans un premier temps sur La Bavarde en accès gratuit pour le public. Nos clients seront les producteurs pour qui nous ferons la mise en ligne des fichiers sur l’application. Cependant, à partir du moment où l’on diffusera les bandes mixées, nous demanderons une participation au spectateur, car se posera alors une problématique de droits. Cela ressemblera à une location de film : une personne aveugle pourra écouter un long métrage d’où elle veut.

Ce type d’audiodescription serait comme un film audio ?

Oui, et cela pourrait également intéresser ceux qui ne sont pas en situation de handicap. On pourrait qualifier cela de roman sonore sur un film, une œuvre sur l’œuvre. L’audiodescription est un travail d’orfèvre qui demande beaucoup de connaissances, puisque certaines choses qui paraissent évidentes pour un voyant ne le sont pas forcément pour quelqu’un qui ne voit pas ou mal.