Bertrand Bonello : « Il n’y a pas de règles narratives, mais des sensations »

Bertrand Bonello : « Il n’y a pas de règles narratives, mais des sensations »

15 novembre 2022
Cinéma
Julia Faure dans « Coma ».
Julia Faure dans « Coma ». New Story

Coma, le dernier film de l’auteur de Saint Laurent ou de L’Apollonide : Souvenirs de la maison close, est le portrait d’une jeune adolescente d’aujourd’hui. C’est aussi et surtout un voyage dans ses mondes intérieurs. Bertrand Bonello mêle ici animation (qu’il explore pour la première fois), prises de vues réelles et images virtuelles. Décryptage.


Écouter la jeunesse

Après Nocturama (2016) et Zombi Child (2019), Coma explore les rêves et les cauchemars d’une jeune fille confinée dans sa chambre. Le film s’envisage comme « le dernier volet d’une trilogie sur la fin de l’adolescence ». Bertrand Bonello précise : « Ces trois longs métrages sur la jeunesse se sont enchaînés de façon presque naturelle, sans que je prémédite trop les choses. Pour comprendre les adolescents, il faut être à l’écoute et savoir regarder. Je suis père d’une ado et je pouvais observer au quotidien son comportement, ses aspirations, ses craintes, ses relations avec ses amis. Pour autant, ces trois films ne traitent pas du monde adolescent habituel en explorant, par exemple, l’éveil des passions amoureuses. Ils tentent de comprendre la façon dont ces jeunes s’inscrivent politiquement dans la société et comment le champ politique s’inscrit en eux. »

Après avoir montré une jeunesse en action, je voulais rentrer dans la tête de ma protagoniste. Cela demandait de faire coexister des univers différents.

On se souvient par exemple que Nocturama décrivait une jeunesse déboussolée et révoltée, prête à utiliser la violence extrême pour faire tomber les symboles d’un monde dans lequel elle ne se reconnaissait plus. Zombi Child, lui, opérait une sorte de contrepoint en s’intéressant à une quête mystique par contamination. « La sortie de Nocturama a été douloureuse, le spectre des attentats de 2015 était encore très frais dans les esprits. La critique avait été très dure. C’est un film dont on me parle souvent aujourd’hui. Les jeunes qui le découvrent sont très sensibles à ce qu’il raconte, au-delà de son contexte politique. Cela me touche évidemment énormément. D’une certaine manière, les héros de Nocturama sont les petits frères des protagonistes du Pornographe (2001), l’un de mes premiers longs métrages, qui racontait les contours d’une révolution silencieuse. L’héroïne de Coma appartient encore à une autre génération. Celle qui a notamment connu les confinements successifs liés à la crise du Covid et a vu l’éclatement de la notion de groupe. C’est une génération qui a été obligée de se poser des questions existentielles très fortes. L’héroïne de Coma est seule dans sa chambre, mais cela ne l’empêche pas de communiquer avec l’extérieur. Il y a quelque chose d’absolu dans l’adolescence, le positif comme le négatif, les rêves comme les cauchemars... J’aime ça. »

Imaginer des mondes 

« Après avoir montré une jeunesse en action, je voulais donc rentrer dans la tête de ma protagoniste. Cela demandait de faire coexister des univers différents. » C’est d’abord l’archive qui s’offre à nous. En effet, Coma s’ouvre sur un court métrage réalisé par Bertrand Bonello pendant le premier confinement de 2020, La Lettre à ma fille, un film composé d’images d’autres films du cinéaste, qu’il a ensuite recadrées. Puis très vite, c’est la figure de Gilles Deleuze qui s’impose, à travers un extrait d’une conférence donnée par le philosophe à la Fémis en 1987 : « N’entrez jamais dans le rêve d’un autre. Encore moins dans celui d’une jeune fille... », dit-il en substance.


« Je place cette archive pour mieux désobéir à cette injonction, explique Bertrand Bonello. En explorant le mental d’une personne, on peut exploser son film, créer des hybridations... J’ai donc mis en place plusieurs dispositifs différents. J’ai ainsi filmé chez moi les séquences de la chaîne YouTube de la mystérieuse Patricia Coma, que regarde mon personnage. Pour la séquence de visioconférence entre toutes les copines, tout était préparé. Les interprètes devaient scrupuleusement respecter le texte. Il y a aussi les séquences animées avec les poupées ou encore le monde des limbes dans les bois. Pour ce dernier territoire, nous sommes partis en équipe très réduite dans la forêt de Fontainebleau. Je cherchais une texture particulière. Je l’ai tourné à l’aide d’une mini DV qui offrait un grain d’image très singulier. Nous avons beaucoup travaillé le clair-obscur. Comme il s’agissait d’une vision subjective, il fallait coordonner des plans-séquences. Il s’agissait d’être très précis dans nos mouvements. »

Mon appartement est devenu un vrai studio de cinéma : j’y ai tourné, monté, postsynchronisé et même composé la musique...

 Pour la réalisation de Coma, Bertrand Bonello a donc exploré pour la première fois l’animation. À l’aide de poupées, types Barbie, placées dans un décor coloré, le cinéaste a créé une sitcom volontairement caricaturale. « J’ai d’abord fait un montage avec les poupées, intégralement tourné en plans fixes. J’avais préalablement enregistré les voix des interprètes. Cet enregistrement s’est fait de manière très familiale. J’ai choisi des comédiens et des comédiennes que je connais bien et dont la voix est très identifiable : Laetitia Casta, Anaïs Demoustier, Louis Garrel, Gaspard Ulliel, Vincent Lacoste... Ils sont venus à la maison, j’avais placé des micros sur la table du salon et en une matinée, c’était plié. J’ai confié cette matière à des animateurs qui ont ensuite travaillé durant trois mois pour faire vivre tout ça ! Mon appartement est devenu un vrai studio de cinéma : j’y ai tourné, monté, postsynchronisé et même composé la musique... » 

Écrire et tester

Si la structure légère de Coma offrait au cinéaste une grande liberté, cela impliquait, paradoxalement, une grande préparation. « Il y a eu très peu, voire pas d’improvisation. Lorsque j’ai confié le texte à Louise Labèque qui tient le rôle principal, je l’avais autorisée à remanier certaines répliques si elle le voulait. Elle ne l’a pas fait et a préféré s’imprégner du texte original. » 

Bertrand Bonello a écrit une narration très stricte selon les mondes décrits et a ensuite réfléchi à la façon dont les différents univers pouvaient s’influencer les uns les autres. « Tout est une question de structure. Je devais réfléchir à la façon d’assembler des éléments a priori hétérogènes. L’écriture a été finalement assez rapide. Ensuite, comment faire pour que l’ensemble ne soit pas chaotique, que les mondes s’enrichissent et qu’il y ait une progression ? C’était plus compliqué. Il n’y a pas de règles narratives, ce n’était que de la sensation. Au montage, j’ai testé les choses. »

Coma, dont le tournage a duré douze jours en avril 2021, s’achève sur une déclaration à la fille du cinéaste, prolongement direct du court métrage qui ouvre le film. À l’écran, Bertrand Bonello a placé des images d’un monde en pleine destruction, en proie aux dérèglements climatiques. Pour autant, il refuse tout défaitisme. « Malgré ce que nos générations laissent à cette jeunesse, j’ai une grande confiance en elle. Elle va accomplir des choses que nous n’avons pas réussi à faire. Le texte qui apparaît en dessus des images est là pour dire à quel point j’y crois. Avec Coma, je m’adresse à cette jeunesse : “Si je peux vous donner un peu de force, je le ferai !” »

coma

Écrit et réalisé par Bertrand Bonello
Avec Louise Labèque, Julia Faure, Ninon François… et les voix de Laetitia Casta, Gaspard Ulliel, Vincent Lacoste, Louis Garrel, Anaïs Demoustier…
Chef opérateur : Antoine Parouty
Son : Romain Cadilhac, Clément Laforce, Jean-Pierre Laforce
Animation : Josselin Facon, Simon Cadilhac
Production : Les Films du Bélier, My New Pictures, Remembers
Distribution : New Story
Ventes internationales : BFF
En salles le 16 novembre 2022

Soutiens du CNC : Avance sur recettes après réalisation, Aide au programme (aide à la distribution)