« La Prière aux étoiles »  : l’adaptation en BD du film perdu de Marcel Pagnol

« La Prière aux étoiles »  : l’adaptation en BD du film perdu de Marcel Pagnol

28 avril 2021
Cinéma
La Prière aux étoiles
La Prière aux étoiles Editions Bamboo
Poursuivant son entreprise d’adaptation de l’intégrale de l’œuvre de Marcel Pagnol en bande dessinée, Serge Scotto s’attaque avec La Prière aux étoiles à un défi de taille  : redonner vie à un film inachevé, qui fut détruit pendant l’Occupation par Pagnol lui-même, afin d’éviter de collaborer.

Avec son complice Éric Stoffel, le scénariste Serge Scotto s’est lancé en 2015 dans un projet à l’envergure titanesque : adapter en bande dessinée l’intégralité de l’œuvre de Marcel Pagnol. La collection, éditée dans la collection Grand Angle de Bamboo et ayant reçu la bénédiction de Nicolas Pagnol (petit-fils de l’écrivain et cinéaste provençal), a pour principe de changer de dessinateur à chaque nouveau volume, et alterne classiques (Marius, Le Schpountz) et œuvres plus confidentielles (Merlusse, Cigalon). Le concept d’intégrale s’étend même aux œuvres inédites, comme l’avait démontré Les Pestiférés, adaptation d’un roman inachevé sur l’épidémie de peste à Marseille en 1720. Ou comme le démontre aujourd’hui la sortie du tome 1 de La Prière aux étoiles, d’après le film éponyme, commencé en 1941 et resté inachevé. L’histoire d’un triangle amoureux formé par une actrice, son riche amant lyonnais et un musicien désabusé. Une œuvre au destin fou, que nous raconte Serge Scotto.

Quelle différence y a-t-il entre l’adaptation en BD d’un texte de Marcel Pagnol déjà porté au cinéma, et celle d’un film inédit comme La Prière aux étoiles ?

Ce qui est bien avec Pagnol, c’est que c’est toujours différent ! (Rires.) On travaille à l’adaptation de ses œuvres complètes, mais lui-même passait son temps à s’adapter. Il existe plusieurs versions de Marius, par exemple, en film ou en pièce. La BD passe souvent pour un art mineur, mais on est fiers de se dire que c’est par la BD que les gens vont connaître La Prière aux étoiles. Ça va être une découverte pour tout le monde.

C’est un film intéressant pour plusieurs raisons. Tout d’abord, parce que ça aurait dû être son autre grand œuvre, sa seconde trilogie après Marius, Fanny et César. Une trilogie nominale elle aussi, dont chaque segment aurait porté le nom d’un des protagonistes : Florence, Pierre et Dominique.

C’est aussi et surtout un film que son auteur, Marcel Pagnol, a lui-même détruit à coups de hache, ce qui doit être assez rare dans l’histoire du cinéma…

Oui, il a fait ce geste dans le contexte de l’Occupation. Après 1940 et La Fille du puisatier, Pagnol, qui déteste les nazis, ne veut absolument pas être supervisé par Vichy. Comme ses studios sont en zone libre, il commence le tournage de La Prière aux étoiles. Il faut rappeler qu’à l’époque, Pagnol maîtrise toutes les étapes de la chaîne de production d’un film. Là encore, un cas unique dans l’histoire du cinéma ! Il a ses studios, il est son propre producteur, il possède même quelques salles… Il est totalement autonome. Le problème, c’est que de nombreuses scènes de La Prière aux étoiles doivent être tournées à Paris, à commencer par celles qui se déroulent à Luna Park, un lieu que Pagnol trouvait très cinématographique. La Prière aux étoiles, c’est vraiment le film parisien de Pagnol. À partir de ce moment-là, la pression des Allemands va se faire plus forte. Alfred Greven, de la Continental-Films, se rapproche de lui, il veut lui confier des responsabilités dans la direction du cinéma français, ce que Pagnol refuse absolument. Mais comment dire non aux Allemands ? Il faut se souvenir que Pagnol était le réalisateur français le plus connu du monde, qu’il était très aimé en Allemagne où Topaze avait été un grand succès, tout comme la version allemande de Marius, tournée à l’époque en parallèle de la française. Alors, pour rompre avec les Allemands, il va leur faire une vraie galéjade marseillaise : il leur fait croire qu’il perd la vue  ! Qu’il doit en conséquence arrêter le cinéma. Et il l’a fait ! Il vend ses studios et achète une ferme horticole à Nice, où l’on cultivait des œillets. Il y fait venir tous les membres de son équipe pour leur éviter le STO [Service du travail obligatoire, NDLR]. Pour la petite histoire, c’est d’ailleurs en cherchant une source pour ses œillets, source qu’il ne trouvera jamais, qu’il aura l’idée de Jean de Florette et de Manon des sources… Entre-temps, il a détruit La Prière aux étoiles à coups de hache, officiellement pour que les Allemands ne puissent pas l’exploiter. Je dis « officiellement », car on peut aussi penser que la fin de son histoire avec Josette Day n’est pas étrangère à ce geste.

En filigrane de La Prière aux étoiles, on peut donc chercher à lire l’histoire d’amour entre Josette Day et Marcel Pagnol ?
 

Ce film, à l’origine, est une déclaration d’amour que Marcel Pagnol adresse à son actrice principale. Et, plus largement, c’est le grand film de Pagnol sur l’amour, ce qui n’est pas le cas des autres.

Au moment où il écrit le scénario, il est fou amoureux de Josette Day, mais il doit peut-être aussi savoir au fond de lui que ça finira mal. Dans le scénario, le personnage de Florence est clairement Josette Day, cette actrice dont l’amant lui offre les moyens de faire du cinéma. Avec mon camarade Éric Stoffel [coauteur de l’adaptation, NDLR], nous avons également acquis la conviction que Pagnol se projette dans les deux personnages masculins. D’abord dans Dominique, l’homme riche, qui offre le cinéma à sa maîtresse mais la soupçonne en permanence de ne pas l’aimer vraiment. Puis dans Pierre, l’artiste dont Florence va tomber amoureuse, qui est à la fois généreux et misanthrope. Il voulait écrire de la grande musique et se retrouve à composer des chansonnettes… Pagnol, de la même façon, voulait écrire du théâtre classique, mais fait finalement du cinéma, un art populaire, et est montré du doigt, considéré comme un auteur mineur. La Prière aux étoiles, c’est vraiment l’histoire de Pagnol.

Que reste-t-il du film ? Un scénario, quelques images ?

Il reste moins de cinq minutes de film, quelques bouts de pellicule ont été épargnés. On a travaillé à partir du scénario. Il faut garder en tête que Pagnol le scénariste l’avait écrit pour Pagnol le réalisateur. C’est-à-dire qu’il n’avait pas besoin de s’expliquer à lui-même les coupes qu’il allait devoir faire. Le sentiment qu’on a eu en le lisant, c’est que Pagnol avait tout mis dans le scénario, en se disant qu’il écrémerait en cours de tournage. Le texte est vraiment verbeux, et ce n’est pas le genre de Pagnol d’être verbeux. Ce script est une étape de travail, il ne faut pas le considérer comme définitif. On s’est mis au service du scénario en l’écrémant nous aussi. Pagnol lui-même le disait : « On fait toujours trop long. » On ne trahit donc pas Pagnol en faisant ça. On fait ce qu’il a sans doute fait lui-même. En revanche, on ne pourra jamais comparer notre « retaillage » au film de Pagnol.

Et pour le dessin ? Comment « faire du Pagnol », a fortiori du Pagnol inédit, en BD ?

Pour chaque nouvelle BD, nous faisons appel à un dessinateur différent. Pour La Prière aux étoiles, nous avons pensé à Iñaki Holgado, car on voulait quelque chose d’élégant. Il y a beaucoup de belles voitures, de jolis intérieurs… Le principe de cette collection, c’est qu’il n’y a qu’un seul auteur : Pagnol. On choisit ensuite ce qu’on va faire passer par le texte, et ce qu’on va faire passer par le dessin. On se permet de raconter par le dessin l’époque, l’ambiance. Ici, en l’occurrence, la bourgeoisie des Années folles, le jazz, etc. Quand les personnages vont en discothèque, ils croisent Joséphine Baker. Elle n’aurait pas été dans le film, mais c’est un clin d’œil. La BD nous permet de nous payer des guest-stars de luxe. On essaye d’être plus fidèle à l’esprit qu’à la lettre. Le cinéma de Pagnol est en noir et blanc, mais ce n’est pas une raison pour faire de la BD en noir et blanc ! La bande dessinée offre de gros moyens par rapport au cinéma. Il suffit de quelques coups de crayon pour avoir mille figurants, les angles les plus vertigineux et les décors les plus fabuleux. On est au service d’une œuvre, d’un auteur, et on lui offre parfois des moyens qu’il n’avait pas.

La Prière aux étoiles, tome 1

Scénario  : Serge Scotto et Éric Stoffel
Story-board  : Marko
Dessins  : Iñaki Holgado
Couleurs  : Sébastien Bouet
Éditions Bamboo