Ça tourne à INA Campus. Dans les couloirs en béton menant aux studios du bâtiment de Bry-sur-Marne (94), Léo Tibloux, couverture de survie sur le dos, tremble. « J’ai froid », souffle le garçon. Le jeune acteur sort du maquillage. Incrustés sur ses épaules, des morceaux de verre factices l’empêchent de s’habiller. Autour de lui, un groupe installe les derniers décors et accessoires, mais eux ne ressentent pas la fraîcheur de la pièce. Léo Tibloux avance sur le plateau. Le tournage est imminent. L’atmosphère se réchauffe. Parquet au sol, rideau noir, projecteur puissant. Sur une table, quelques outils de chirurgie sont disposés ici et là. Tout près, Pablo Cabel regarde attentivement la scène. « Nous avons transformé ce studio son en salle d’opération pour les besoins du film », révèle le réalisateur. Un grand jour pour le cinéaste qui s’apprête à tourner plusieurs séquences de son court métrage, Chair adolescente, dans le cadre de la résidence Fabric’ACTION conçue par le CNC et l’INA.
Pratiquer
Inès Banzet-Benhagouga et lui sont les lauréats de la première édition du dispositif dont le coup d’envoi a été donné en novembre 2024 à INA Campus. Fabric’ACTION vise à accompagner pendant huit mois deux cinéastes émergents sur les aspects relevant du tournage d’extraits de leur scénario de fiction. Le programme intègre des écoles du secteur cinématographique et audiovisuel soutenues par le CNC ainsi que par « La Grande Fabrique de l’image », le volet du plan de relance France 2030 dédié notamment à la formation aux métiers de l’image.

Du scénario à la post-production, en passant par les effets spéciaux ou le tournage, le duo de lauréats expérimente une grande diversité des aspects du processus de création d’un film. Pour les accompagner : l’équipe pédagogique et les étudiants de la Classe Alpha. Créée par l’INA en 2020, cette formation professionnalisante aux métiers de l’image accueille des jeunes âgés de 17 à 25 ans, sans condition de diplôme. « Avec Fabric’ACTION, les élèves de la Classe Alpha passent de la théorie à la pratique. Ils se confrontent au monde réel et aux plateaux », témoigne David Khalifat, son responsable pédagogique. Deux écoles de comédiens, Kourtrajmé et 1000 Visages, sont également impliquées dans le dispositif. Léo Tibloux, le rôle-titre de Chair adolescente a ainsi suivi le stage Jeu d’Acteur de 1000 Visages tandis que Beidja Yahiaou, l’actrice principale de Match aller, le projet d’Inès Banzet-Benhagouga, est passée par les bancs de Kourtrajmé. L’école Méliès, spécialisée dans les effets visuels, et ITM, qui forme au maquillage de plateau, font aussi partie du programme. Leurs étudiants ont notamment fabriqué et réalisé les maquillages VFX du court métrage de Pablo Cabel.
Accompagner
Pour Pablo Cabel et Inès Banzet-Benhagouga, l’histoire commence en mai 2024 au lancement du premier appel à projets du programme. « J’ai candidaté à Fabric’ACTION car la thématique de mon film s’y imbriquait bien, explique Inès Banzet-Benhagouga. Je voulais également apprendre la définition d’un tournage, d’une préparation et d’un regard professionnels ». Alors que Pablo Cabel met en scène des jeunes touchés par un virus mutant dans Chair adolescente, Inès Banzet-Benhagouga raconte dans Match aller l’histoire d’une adolescente victime de viol, qui entame une relation avec son agresseur pour tenter de se reconstruire.
Durant la première phase de Fabric’ACTION, les jeunes cinéastes retravaillent leurs scénarios accompagnés par les intervenants de la Classe Alpha. L’objectif est de préparer les séquences qui seront ensuite tournées. « La grammaire du film s’est construite au fur et à mesure pour atteindre une forme qui me paraît finalement plus intéressante, remarque Pablo Cabel. Le format 4/3, le muet ainsi que le noir et blanc sont des choix artistiques mais découlent aussi des conditions du dispositif ». Des spécificités qui lui ont par ailleurs permis de mettre en valeur les VFX réalisés par les étudiants de l’école Méliès. De son côté, Inès Banzet-Benhagouga a profité de ces premiers mois de résidence pour pousser plus loin l’écriture de son film. « Fabric’ACTION m’a permis de quitter petit à petit l’amateurisme dans lequel j’évoluais auparavant, raconte la réalisatrice. Ce programme donne aussi l’opportunité de se tester soi-même dans sa capacité à défendre son sujet et son projet ».
Pendant la deuxième étape de la résidence, les lauréats passent au tournage des séquences. « Nous les faisons réfléchir en amont au découpage, au casting, à aller chercher des ressources supplémentaires », indique David Khalifat. Concernant les VFX, le réalisateur Pablo Cabel a été accompagné par Bruno Sommier en qualité de mentor. Récompensé aux César 2024 pour son travail sur Le Règne animal de Thomas Cailley, le superviseur d’effets visuels lui a été précieux pour comprendre la rigueur imposée par les VFX.
Les deux cinéastes ont également bénéficié du réseau de partenaires de Fabric’ACTION pour dénicher les lieux de tournage. Par exemple, le stade Paul-Meyer de Sucy-en-Brie (94) dans lequel Inès Banzet-Benhagouga tourne certaines scènes, a été mis à disposition par le département du Val-de-Marne. « Sans Fabric’ACTION, j’aurais trouvé un simple gazon, et je me serais débrouillée avec », avoue la jeune femme.







Transmettre
Soixante-quatre étudiants de la Classe Alpha de l’INA ont travaillé sur les projets d’Inès Banzet-Benhagouga et Pablo Cabel. La première expérience concrète dans le métier pour la plupart d’entre eux. « L’objectif de Fabric’ACTION est de donner à nos élèves des outils pour qu’ils se sentent prêts à se lancer dans la profession, ressentent du plaisir et de la fierté », développe Franck Guillemain, intervenant référent de la Classe Alpha sur le court métrage de Pablo Cabel. Le dispositif a également pour ambition de montrer aux étudiants comment travailler avec un réalisateur en conciliant contraintes réelles et attentes esthétiques. « En somme, apprendre via la pratique », résume David Khalifat.
Les élèves de la Classe Alpha ont planché sur les projets de Pablo Cabel et d’Inès Banzet-Benhagouga avant d’apprendre à maîtriser le matériel de tournage. « Nous avons travaillé étape par étape. Ils ont d’abord testé la caméra puis ont essayé les objectifs et enfin se sont occupés de la lumière », décrit Osman Mebarek André, intervenant référent sur le projet d’Inès Banzet-Benhagouga, précisant que « les élèves de la Classe Alpha en spécialisation image étudient l’ensemble des techniques de la prise de vue ». Pendant le tournage des scènes, les intervenants distillent aussi leurs conseils. Une étudiante montre ainsi comment elle a appris à coller du scotch rouge sur le dos de sa main pour pouvoir marquer, à tout moment, les appareils à la batterie vide.
Dans le cadre de Fabric’ACTION, les étudiants et les jeunes cinéastes échangent également en dehors du tournage. « Nous avons demandé à Pablo Cabel et Inès Banzet-Benhagouga de nous montrer leurs inspirations et références », rapporte David Khalifat. Chacun a organisé deux ciné-clubs. Une initiative plébiscitée par les élèves qui « donne une autre dimension aux projets », approuve Ambre, étudiante de la Classe Alpha en spécialisation production. Pablo Cabel a consacré une séance à La Mouche de David Cronenberg, l’autre à Eraserhead de David Lynch, deux films de body horror qui ont nourri la mise en scène de son court Chair adolescente. « Discuter avec les étudiants était très intéressant, interpellant parfois, car nous n’avons pas tous le même rapport aux images », se souvient-il. De son côté, Inès Banzet-Benhagouga, qui puise ses références dans la psychologie de jeunes personnages féminins, a projeté Perfect Blue de Satoshi Kon et Ninja Baby d’Yngvil Sve Flikke. En mars 2025, les cinéastes ont aussi pris part à la Fête du Court Métrage pour un autre temps de dialogue avec les étudiants de la Classe Alpha.
S’adapter
Ancienne de la Classe Alpha, Joséphine Achmet, intermittente du spectacle, a été chargée de la production des films des lauréats. Une position qui lui « permet d’échanger plus facilement avec les étudiants et de faire en sorte que nous nous comprenions », confie-t-elle. Son travail consiste à concilier les emplois du temps des élèves et le planning des courts métrages, ou encore à obtenir les autorisations de tournage sur les sites extérieurs, comme le Fort de Villiers à Noisy-le-Grand (93), l’un des décors du film de Pablo Cabel. Une organisation au cordeau susceptible d’être bouleversée au dernier moment. « Il faut toujours s’adapter ! », s’exclame la jeune femme. Le découpage des scènes et les plans préparés en amont peuvent également être modifiés par le réalisateur d’un jour à l’autre, en fonction des avancées du tournage. De quoi apprendre aux élèves à innover et à appréhender la réalité du milieu, même si Franck Guillemain nuance : « La souplesse est l’une des conditions du métier, mais nous devons conserver un cadre de formation et ménager les étudiants ». Inès Banzet-Benhagouga a attentivement veillé à cet équilibre pour le bon déroulement du dispositif. « La première expérience de tournage doit être plaisante et confortable. D’autant que la manière dont celui-ci se déroule influence le film et sa réception par le public », affirme la jeune femme.

S’adapter encore et toujours. Sur le tournage de Chair adolescente, Pablo Cabel et les étudiants ont également dû faire preuve d’ingéniosité. « La lampe vient de la Fémis, souligne le réalisateur. Nous tournons avec une caméra que mon frère a ramenée. Nous utilisons aussi de vrais accessoires de chirurgie. Ils appartiennent au comédien qui joue le rôle du chirurgien, puisqu’il exerçait ce métier avant ». En dehors du Fort de Villiers à Noisy-le-Grand, les décors de son film ont tous été construits à INA Campus. Trois murs ont été dressés dans un des bureaux du site qui est devenu quelques heures plus tard la chambre du personnage principal campé par Léo Tibloux. Les équipes ont également trouvé une desserte en métal dans les environs. Un accessoire parfait pour la scène d’opération tournée dans le studio son du campus. Là-bas, les acteurs sont en place et les techniciens de Chair adolescente prêts à tourner. La lumière s’éteint. Il n’y a plus un bruit sur le plateau. « Et action ! ».
Il reste encore à Pablo Cabel et Inès Banzet-Benhagouga plusieurs semaines de travail devant eux. La suite est entre les mains des deux créateurs. Le dispositif Fabric’ACTION, quant à lui, se prépare pour une deuxième édition.
fabric'action, un programme de rÉsidences
portÉ par le CNC et la classe alpha de l'ina
Dans le cadre de sa mission d’accompagnement des professionnels et en partenariat avec la Classe Alpha de l’INA, le CNC a lancé le dispositif Fabric’ACTION à l’attention de talents repérés de l’industrie cinématographique. Il consiste à accueillir au maximum deux lauréats dans un programme de résidences de fabrication au sein d’écoles du secteur soutenues par le CNC et « La Grande Fabrique de l’Image ». L’objectif est de leur offrir l’opportunité d’expérimenter des fragments de la version en cours de leur scénario de fiction sur les aspects relevant du tournage.
Période de dépôt des candidatures pour le 2e appel à projets du dispositif : du 1er mai au 1er juin 2025 (minuit).
Les 10 et 11 juillet 2025 : oraux des cinq candidats présélectionnés sur le campus de l’INA, et sélection finale du ou des deux lauréats.