Comment vous êtes-vous rencontrés ? Était-ce à l’occasion de La Vie de château ou bien avant ?
Nathaniel H’Limi : Nous nous sommes rencontrés il y a un bon moment, quand j’étais étudiant en dernière année aux Beaux-Arts. Je commençais à réaliser des clips, des films de commandes et expérimentaux. Et c’est un ami commun qui nous a présentés en m’expliquant que, comme moi, Clémence avait envie de faire plein de choses différentes, d’explorer divers formats. Nous sommes devenus amis très vite et La Vie de château a été notre premier grand projet commun. Même si, en se lançant dans cette aventure, nous n’avions évidemment jamais anticipé qu’elle nous conduirait jusqu’en 2025.
La Vie de château met en scène Violette, une petite fille de 8 ans devenue orpheline après l’attentat du Bataclan, qui se retrouve à devoir aller vivre chez son oncle, agent d’entretien au château de Versailles, qu’elle n’aime pas. Comment est née cette histoire ?
NH’L : Il se trouve qu’en novembre 2015, Madeleine et moi habitions à une rue l’un de l’autre, dans le Xe arrondissement de Paris, à deux pas des lieux des attaques terroristes qui, comme toute la France, nous ont bouleversés. Assez vite, avant même de penser à un éventuel film, nous avions commencé à nous demander comment parler de cet événement à des enfants. Et puis un jour, j’ai vu passer sur Internet un appel à projets de France Télévisions qui cherchait des récits de jeunes héroïnes contemporaines en animation. J’ai transféré l’annonce à Clémence avec l’idée d’essayer de réfléchir ensemble à une idée. Nous nous y sommes employés avec Lionel Massol, producteur (Films Grand Huit) qui n’avait alors encore jamais produit d’animation.
Clémence Madeleine-Perdrillat : Je connaissais Lionel car il venait de produire mon court métrage Gigot bitume (2016). J’ai parlé à Nathaniel de mon envie de raconter l’histoire d’une petite orpheline et il a immédiatement accroché.
NH’L : Notre projet a fait partie des trois sélectionnés, et nous avons commencé la fabrication d’un unitaire de 26 minutes pour France Télévisions.
Comment vous répartissez-vous le travail ?
NH’L : Clémence écrit assez vite des choses sur lesquelles je rebondis en croquis et en dessins. Notre échange s’enrichit aussi de photos que l’on s’envoie. C’est par ce biais que Violette est née peu à peu.
CMP : Dans un premier temps, je suis en effet plutôt du côté des textes et du scénario et Nathaniel du côté du dessin. En revanche, pour tout ce qui relève du découpage et de la mise en scène, nous fonctionnons vraiment ensemble.
Quand on aborde la thématique du deuil, qui plus est chez un enfant, comment déjoue-t-on le piège du pathos ?
CMP : L’une de nos références majeures, c’était Mon voisin Totoro (1988) de Hayao Miyasaki. Or, dans le film de Miyazaki, on retrouve ce côté extrêmement triste de ces deux petites filles confrontées à la maladie de leur maman. Pour autant, Totoro est plein de magie, de poésie. C’est exactement ce que nous avons essayé de faire en plongeant dans les coulisses de Versailles et en créant ce duo inattendu entre Violette et son oncle Régis, et la manière dont ils vont se rapprocher. Nous voulions également raconter ce film dans la tête de Violette, par le prisme de ses émotions mais aussi de ses découvertes au sein du château qui amènent spontanément de la légèreté dans le récit.
Pourquoi avoir situé l’action à Versailles ?
CMP : Au départ, l’action devait se situer uniquement à Paris. Mais ce Paris post-attentats était forcément un peu triste, un peu sombre. Donc assez vite, j’ai voulu sortir de ce réalisme pour aller vers un monde imaginaire. Et c’est ainsi qu’est arrivé Versailles, avec le personnage de Régis qui y travaille comme agent d’entretien.
NH’L : D’un point de vue visuel, Versailles possède cet aspect lumineux que nous recherchions. Pas uniquement pour ses dorures mais aussi pour ses jardins, ses grands espaces… Quand Clémence est arrivée avec l’idée de Régis, j’ai tout de suite adhéré. Cela apportait un aspect ludique qui nous éloignait encore plus de tout pathos.
Comment avez-vous construit le style d’animation de La Vie de château ?
NH’L : Je dessine depuis tout petit. Mais avant La Vie de château, je n’avais jamais dessiné pour un projet aussi ambitieux. À ce moment-là, j’étais vraiment inexpérimenté. Je n’avais jamais dessiné de décors, par exemple. Donc quand je me lance, j’essaye plein de choses très différentes. À la tablette graphique, mais aussi à la main, à la gouache. Et plus j’avance, plus je comprends que ce qui me touche vraiment dans le dessin, c’est la maladresse et les accidents. Alors je vais choisir d’utiliser une plume simple, toute noire : une ligne pure comme Sempé, l’une de mes références avec Joann Sfar ou Christophe Blain.

Comment cet unitaire va-t-il se déployer en série puis en long métrage ?
NH’L : Ce 26 minutes a eu la chance d’être sélectionné dans de nombreux festivals et, à l’issue des projections, on venait régulièrement nous poser la question de la suite. Cet engouement nous a donc incités à proposer une série à France Télévisions. Au même moment, L’École des loisirs nous a contactés pour adapter les aventures de Violette en romans graphiques jeunesse. Nous avons donc écrit les deux en parallèle. Mais le processus de fabrication des livres étant plus rapide, ils sont sortis en librairie avant la diffusion de la série. Puis, une fois la série terminée, l’idée du long métrage est venue avec l’envie de prolonger la vie de Violette, de donner un autre public à ses aventures, de resserrer aussi pas mal de choses dans le récit.
CMP : Nous avions très envie de partager Violette avec la salle de cinéma. Nous avons fait un remontage assez long au niveau du scénario puis du montage, pour passer des 2 h 40 de la série à 1 h 20 de film. Nous avons changé en profondeur certaines choses au lieu de faire des mini-coupes un peu partout.
Comment se sont construites précisément ces coupes ?
CMP : Elles sont guidées par la différence entre les deux formats. Par nature, une série est polyphonique, peuplée de personnages secondaires avec plein de fils à tirer. Nous avons donc beaucoup coupé dans ceux-ci pour resserrer le récit sur ce qui constitue l’angle de notre long métrage : la manière dont Régis et Violette vont faire famille. Pour nous, La Vie de château : Mon enfance à Versailles raconte l’histoire d’une double réparation. Mais ce fut un travail de longue haleine pour tout reprendre et trouver de la fluidité. Couper certaines scènes a été un vrai déchirement. Mais nous n’avions pas le choix car elles auraient emmené le film vers tout autre chose.
Ce qui frappe dans le long métrage, c’est sa capacité à s’adresser à tous les publics, enfants comme adultes. C’est un objectif qui vous a guidés tout au long du processus créatif ?
CMP : Oui, nous l’avons vraiment pensé avec cette idée d’être transgénérationnel, à l’image de Mon voisin Totoro ou Ma vie de Courgette (2016) de Claude Barras, ces films qui offrent des endroits de merveilleux pour les adultes comme pour les enfants. Le contexte de départ s’adresse évidemment davantage aux adultes, car la plupart des enfants qui iront voir le film n’étaient même pas nés au moment de l’attentat du Bataclan. Mais pour nous, c’était essentiel que tout le monde puisse s’y retrouver et que ça puisse constituer un support de discussion sur cette période-là, car il n’existe pas d’autres films pour enfants qui parlent des attentats de 2015.

C’est rare dans une vie de créateurs de passer autant d’années avec les mêmes personnages, même si évidemment vous meniez chacun d’autres projets en parallèle. Vous n’avez jamais eu peur de vous lasser ?
NH’L : Non, vraiment jamais. Sans doute parce que j’ai mis du temps à découvrir ces personnages, à les apprivoiser. Si bien qu’à chaque fois que j’y retourne, je suis heureux de les retrouver.
CMP : Je n’ai jamais éprouvé la moindre lassitude non plus. J’ai travaillé sur énormément de choses entre-temps (de Nona et ses filles aux Gouttes de Dieu en passant par En thérapie, Tapie…) mais à chaque fois j’avais en ligne de mire La Vie de château et j’étais impatiente d’y revenir.
Clémence, vous évoquez En thérapie (2021), série qui elle aussi s’appuie sur les attentats du 13 novembre. C’est en travaillant à son écriture que vous avez eu l’idée de confier à Frédéric Pierrot – qui y incarne le psychanalyste Philippe Dayan – la voix de Régis ?
CMP : Non, car nous avions enregistré sa voix bien avant En thérapie. Je suis allée vers Frédéric car j’aimais le côté bourru et en même temps extrêmement tendre de sa voix. Pour lui comme pour les autres comédiens, nous cherchions des signatures vocales très fortes, le plus souvent dans des tessitures assez basses, chez les adultes comme chez les enfants. À l’image de ce que Claude Barras avait pu faire dans Ma vie de Courgette.
À quel moment le distributeur Jour2Fête est-il arrivé dans l’aventure ?
CMP : Il se trouve que les enfants d’Étienne Ollagnier (le cofondateur de Jour2Fête) étaient fans de La Vie de château et avaient lu les livres. Quand nous avons présenté les épisodes de la série, Étienne était venu nous voir et avait commencé à discuter avec Lionel. Dès que nous avons eu l’idée du long, nous lui en avons parlé et son enthousiasme a été immédiat. Jour2Fête a donc accompagné le film dès sa genèse et ils sont venus à plusieurs étapes du montage. Aujourd’hui, La Vie de château sort sur 140 copies, ce dont nous sommes très fiers. Nous n’aurions jamais cru cela possible.
Est-ce la fin définitive de l’aventure La Vie de château ?
NH’L : Chez moi, l’envie de collaborer avec Lionel et Clémence est intacte.
CMP : Je pense que ce qui est fini, c’est La Vie de château. En revanche, nous avons très envie de retrouver Régis et Violette et de voir grandir leur relation. Nous sommes en discussion avec Lionel et France Télévisions. Il n’est donc pas du tout impossible que nous les retrouvions.
LA VIE DE CHÂTEAU– MON ENFANCE A VERSAILLES

Réalisation : Clémence Madeleine-Perdrillat et Nathaniel H’Limi.
Scénario : Clémence Madeleine-Perdrillat, Alice Vial et Olivier Demangel.
Production : Films Grand Huit, Mélusine Productions, Xilam Animation, Miyu Productions.
Distribution : Jour2Fête.
Ventes internationales : Dandeloo.
Sortie le 15 octobre 2025
Soutien sélectif du CNC : Aide sélective à la distribution (aide au programme 2025)