La Warner a 100 ans : histoire d’un studio mythique

La Warner a 100 ans : histoire d’un studio mythique

27 juillet 2023
Cinéma
Le logo de la Warner a beaucoup évolué en 100 ans d'histoire
Le logo de la Warner a beaucoup évolué en 100 ans d'histoire Warner Bros.

Pour célébrer son centenaire, la Warner multiplie les événements : cycles sur TCM ou à la Cinémathèque française, rééditions de classiques, projection au Festival de Cannes du documentaire rétrospectif 100 ans de Warner Bros… Retour sur l’histoire de l’un des plus grands studios hollywoodiens, qui a accompagné et façonné les mutations du cinéma américain, de Bogart à Batman, en passant par Stanley Kubrick et Harry Potter.


Au départ, ils étaient quatre. Quatre frères, comme les Dalton de la légende. Harry, Albert, Sam et Jack Warner. Les fils d’un tailleur d’origine polonaise installé à Baltimore. Leurs noms, comme ceux de milliers d’immigrants, avaient été américanisés : avant que leurs parents ne cherchent dans le Nouveau Monde un refuge contre l’antisémitisme et la pauvreté qui frappaient la vieille Europe, ils étaient les frères Wrona : Hirsch, Aaron, Shmul et Itzhak. Travaillant d’abord dans la réparation de bicyclettes, les quatre hommes flairent vite les potentialités du cinématographe naissant. Grâce à la montre en or et au cheval de leur père, ils achètent un projecteur, puis organisent des projections itinérantes à travers l’Ohio et la Pennsylvanie. Bientôt, ils emménagent à Los Angeles, où ils se lancent dans la production et la distribution de films. C’est le 4 avril 1923 que naît officiellement la Warner Brothers Pictures Incorporated. Un petit studio qui entend se faire une place à l’ombre des déjà bien implantés Universal (fondé en 1912) et Paramount (actif depuis 1916). En moins de dix ans, la Warner pose les fondations d’un véritable empire de cinéma, et intègre le clan des « Big Five », MGM/ Warner/ Paramount/ 20th Century Fox/ RKO, ces majors qui règnent sur l’industrie du rêve.

Le goût de l’innovation

Dans un Hollywood où chaque studio se doit d’avoir sa patte, ses recettes identifiables, la Warner a d’abord eu un peu de mal à définir son identité. Les productions maison s’inspirent du style de la Paramount en privilégiant les adaptations de grands écrivains (Herman Melville, Edith Wharton, Francis Scott Fitzgerald…) et les comédies sophistiquées (c’est pour la Warner qu’Ernst Lubitsch signe ses premiers films américains). La plus grande vedette du studio à l’époque ? Le chien Rintintin ! Ce berger allemand superstar vaut à la firme ses premiers grands succès populaires et favorise l’ascension du directeur de la production Darryl F. Zanuck, qui sera remplacé par Hal Wallis en 1933, Zanuck étant parti fonder la 20th Century Fox.

Le studio va laisser une première marque indélébile dans l’histoire du cinéma en 1927, année de la sortie du Chanteur de jazz (signé Alan Crosland), le tout premier film parlant. Cette révolution technique et esthétique passionne les foules et renvoie très vite à l’âge de pierre l’art du cinéma muet, patiemment élaboré par les pionniers d’une industrie en pleine effervescence. L’année suivante, la Warner affirme son goût pour l’innovation avec le premier film entièrement parlant et en couleurs, La Revue en folie (de nouveau signé Alan Crosland). En 1929, après l’acquisition d’un studio concurrent, First National Pictures, elle enregistre plus de 14 millions de dollars de bénéfices. Un succès d’autant plus impressionnant que, quelques années auparavant, la société frôlait la banqueroute et était regardée par ses rivaux avec condescendance.

Soutenir l’audace

Sur cette lancée qui la propulse à la pointe de la modernité, la Warner aborde les années 1930 en entreprise conquérante. Cette décennie, synonyme de crise pour les États-Unis, va lui permettre de marquer pour de bon son territoire. Contrairement à la MGM ou à la Paramount, qui privilégient le faste et l’évasion, le studio propose au public des films rapides, frénétiques, mouvementés, en prise avec l’actualité, la réalité sociale et les convulsions politiques du pays. C’est l’affirmation d’un style populaire, voire « plébéien », pour reprendre l’expression de Jean-Pierre Coursodon et Bertrand Tavernier dans 50 ans de cinéma américain.

Actuellement en charge de la gestion et de la conservation du catalogue Warner, George Feltenstein expliquait récemment dans le magazine Première : « Le souci de la MGM était surtout de vendre du rêve, donc une forme de démesure. La Warner, elle, a toujours été le studio du peuple et restait accrochée à la réalité. C’est dans les journaux que les cinéastes trouvaient leur inspiration. Les frères Warner soutenaient l’audace. Quand je revois la portée sociale des films de gangsters avec Bogart et Cagney, ou les films, dits pré-Code [Hays], évoquant frontalement le sexisme de la société et la façon dont les héroïnes se battaient contre ça, je suis toujours surpris du courage déployé. »

Les trois genres qui dominent la production Warner dans les années 1930 sont le film criminel (Le Petit César, L’Ennemi public…), les films d’aventures (Capitaine Blood, Les Aventures de Robin des Bois…) et les comédies musicales (42ème rue, Prologues…), généralement chorégraphiées par le génial Busby Berkeley. Mais même quand il s’agit de divertir les foules avec du chant et de la danse, la réalité sociale n’est jamais loin : voir les numéros Remember my Forgotten Man et We’re in the Money dans Chercheuses d’or (1933), qui évoquent frontalement la Grande Guerre et la Dépression. Du début des années 1930 au mitan des années 1940, le studio assoit son pouvoir de séduction grâce à une écurie de réalisateurs fidèles (Michael Curtiz, William Dieterle, Raoul Walsh, John Huston…) et de stars légendaires : Errol Flynn, Olivia de Havilland, James Cagney, Edward G. Robinson… Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les deux vedettes les mieux payées de Hollywood sont des stars Warner : Humphrey Bogart et Bette Davis. Durant cet âge d’or, les chefs-d’œuvre abondent : L’Aigle des mers, La Lettre, Le Faucon maltais, Gentleman Jim, Sergent York, L’Homme de la rue, La Glorieuse Parade, Casablanca, Le Roman de Mildred Pierce, Le Port de l’angoisse, Le Grand Sommeil, Le Trésor de la Sierra Madre, L’enfer est à lui… Le studio, qui a très tôt misé sur les cartoons, a également son armada de stars animées grâce aux Looney Tunes : Bugs Bunny, Daffy Duck, Porky Pig, Titi et Grosminet…

 

Vers le Nouvel Hollywood

Le délitement progressif du star-system dans les années 1950 va faire perdre à la Warner une partie de ses spécificités, les « talents » passant désormais plus facilement d’un studio à l’autre. Mais certains cinéastes continuent de creuser leur sillon au sein de la « WB », comme Elia Kazan, qui y multiplie les productions d’importance (Un tramway nommé Désir, À l’est d’Eden, Baby Doll…). Ils contribuent à imposer les nouvelles stars de l’Actors Studio, une approche résolument moderne de l’interprétation et du vedettariat. Après Marlon Brando, James Dean devient la nouvelle idole des jeunes, et la vedette Warner absolue des fifties, en enchaînant, avant sa mort tragique, les mythiques À l’est d’Eden, La Fureur de vivre et Géant. D’autres films iconiques marquent la période (La Prisonnière du désert, Rio Bravo…), certains accouchés dans la douleur, comme Une étoile est née (George Cukor, 1954), une production indépendante mutilée par Jack Warner. Ce dernier, durant cette période, s’est débrouillé pour exclure ses frères de la direction du studio et devenir le seul maître à bord. De tous les grands nababs hollywoodiens « historiques », il est le dernier en activité.

Dans les années 1960, quatre décennies après les débuts du parlant, il préside à une autre révolution, en contribuant à accélérer la transition vers ce qu’on nommera le Nouvel Hollywood. C’est en effet un film Warner, Qui a peur de Virginia Woolf ? de Mike Nichols (1966) qui contribue, avec ses dialogues provoquants, à révéler l’archaïsme de la censure du Code Hays qui régissait la production hollywoodienne depuis les années 1930 ; et c’est l’année suivante, Bonnie & Clyde d’Arthur Penn, qui fait entrer le cinéma dans une nouvelle ère, marquée par l’anticonformisme, le doute moral et la violence frontale.

Fidélité aux grands auteurs

Une page se tourne, d’autant plus que la Warner est alors rachetée par Seven Arts Communication. C’est le début de l’ère des conglomérats, qui se raconte désormais au fil des fusions et acquisitions (avec Time, AOL…), des associations avec des sociétés de production (la Ladd Company, Legendary Pictures…), jusqu’à la naissance, en 2022, de Warner Bros. Discovery, fruit de la fusion entre WarnerMedia et Discovery Inc. En parallèle de ces mutations successives, l’une des boussoles du studio reste sa fidélité aux grands auteurs. La Warner s’est en effet bâti une image de havre créatif pour une poignée de réalisateurs visionnaires, auxquels elle a offert les conditions pour qu’ils déploient leurs œuvres sur le long terme, nonobstant certains revers au box-office. Parmi eux : Stanley Kubrick, qui signe tous ses films pour le studio, d’Orange mécanique (1971) à Eyes Wide Shut (1999), dans une liberté artistique presque totale ; Christopher Nolan, qui alterne relectures des mythes populaires et propositions plus audacieuses (Inception, Interstellar, Tenet, Oppenheimer…) ; les Wachowski, qui profitent du succès de la trilogie Matrix pour signer l’ovni Speed Racer (2008)… Mais l’association au long cours la plus fameuse de Warner avec un auteur est celle qui lie le studio à Clint Eastwood, nouée dès les années 1970 (L’Inspecteur Harry de Don Siegel, 1971), et qui se poursuit encore aujourd’hui (Cry Macho, 2021).


Cette reconnaissance louable de la notion d’« auteur » (rare dans l’organisation de la production américaine), n’a pas empêché le studio de prendre en compte les mutations du cinéma contemporain, intégrant très vite la logique des franchises, capitalisant par exemple sur les adaptations de la saga littéraire Harry Potter, ou anticipant le règne des superhéros grâce aux personnages du catalogue DC Comics, mis en scène dès les pionniers Superman (Richard Donner, 1978) et Batman (Tim Burton, 1989). L’Homme de fer, le Chevalier noir et leurs camarades – Wonder Woman, Aquaman, le Joker… – ont remplacé Bogart, Bette Davis et Errol Flynn comme figures de proue du studio. Ils viennent d’être rejoints par Barbie, héroïne du dernier succès en date de la firme. Un film phénomène qui rejoint la cohorte de classiques Warner, dont l’énumération peut donner le tournis – notons que certains d’entre eux sont réédités en 4K en cette année de célébration, comme Le Faucon maltais (John Huston, 1941), Luke la main froide (Stuart Rosenberg, 1967) ou encore L’Exorciste (William Friedkin, 1973). Au fil du temps, le catalogue Warner a également été augmenté du rachat d’autres catalogues, comme ceux de la MGM ou de la RKO, qui permet au studio de posséder dans son étourdissante filmothèque, en plus de ses chefs-d’œuvre « maison », des titres aussi légendaires que Citizen Kane, King Kong, Chantons sous la pluie ou 2001, l'Odyssée de l’espace.

À l’occasion de son centenaire, la Warner a mis en avant son patrimoine, le lien puissant qu’elle a lié avec les spectateurs grâce aux films qui ont marqué son histoire, pour mieux souligner l’idée que son futur dépend toujours de la solidité de ses fondations. Ses porte-parole ont ainsi fait savoir que lors de sa récente prise de fonction, le nouveau dirigeant du studio, David Zaslav, avait accroché au mur de son bureau la célèbre photo des quatre frères Warner. Une manière de dire que l’histoire continue.