L’AFRHC : une association qui lie « cinéphilie » et « discours savant »

L’AFRHC : une association qui lie « cinéphilie » et « discours savant »

10 juin 2025
Cinéma
AFRHC-2025

Depuis 1984, l’Association française de recherche sur l’histoire du cinéma (AFRHC) vise à stimuler les débats et la recherche autour du septième art. À l’occasion des 130 ans du cinéma, Katalin Pór, son actuelle présidente, nous éclaire sur les missions et les actions de la structure qui édite notamment la revue 1895 revue d’histoire du cinéma.


Comment est née l’Association française de recherche sur l’histoire du cinéma (AFHRC) ?

Katalin Pór : Elle a été fondée en 1984 par Jean A. Gili, historien et universitaire, Jean-Pierre Jeancolas, historien et critique ainsi que par Vincent Pinel en charge des collections films de la Cinémathèque française. Tous trois ont souhaité créer un espace de rencontres entre universitaires, archivistes, historiens professionnels, collectionneurs amateurs… Leur idée a été de permettre un échange de connaissances et de faire un pont inédit entre cinéphilie et discours savant. Précisons que Jean A. Gili vient d’être nommé président d’honneur de l’AFHRC et continue donc à suivre les activités de l’association. Il a siégé au conseil d’administration sans discontinuer.

Quel a été votre parcours avant de devenir présidente de l’AFRHC ?

J’ai d’abord été maîtresse de conférences en cinéma à l’université de Lorraine pendant une dizaine d’années. Depuis trois ans, je suis professeure à l’université Paris 8. Mon travail porte essentiellement sur l’histoire du cinéma classique américain et plus précisément sur le rôle tenu par les Européens à Hollywood dans les années 1930-1940. J’ai fait ma thèse sur la place du théâtre hongrois dans le cinéma hollywoodien de cette période. J’ai intégré le comité d’administration de l’AFRHC il y a huit ans et j’en suis la présidente depuis deux ans. Mon rôle est de veiller à une bonne coordination des échanges ainsi qu’à l’animation du collectif.

Vous évoquiez plus haut « un pont inédit » entre « cinéphilie » et « discours savant ». Qu’est-ce qui rend cette alliance si singulière ?

Disons que les deux types de discours peuvent avoir tendance à se construire en opposition l’un avec l’autre ! L’association a très rapidement ressenti le besoin de construire un espace concret dans lequel ces échanges pourraient s’organiser. C’est pourquoi un bulletin de liaison entre chercheurs internationaux, 1895 revue d’histoire du cinéma, a été fondé peu après la création de l’AFRHC [en 1986 – NDLR]. Celui-ci est rapidement devenu une vraie revue. Il a semblé, en effet, important de partager de manière éditoriale la singularité des approches historiennes liées au cinéma. À l’époque, nous sommes dans les années 1980 et les moyens de communication ne sont alors évidemment pas ceux d’aujourd’hui. Cette revue a vite été un lieu d’échanges propres à stimuler les débats et la recherche. Elle s’est ensuite dotée d’un comité de rédaction, d’un secrétariat de rédaction… En cela le soutien du CNC a été décisif. Nous sommes ainsi passés d’une économie alternative et artisanale à celle d’une vraie revue.

Nous sommes toujours très attentifs à nous inscrire dans les débats contemporains, notamment ceux qui ont une portée historiographique.

Quels sujets aborde 1895 revue d’histoire du cinéma ?

Nous publions des textes qui ont pour point commun une approche historienne du cinéma, c’est-à-dire des travaux fondés sur le croisement de sources, de documents de première main. Les corpus, les périodes, les problématiques, en revanche, sont très variés. Nous avons publié il y a quelques années un hors-série autour du cinéma et de la couleur, un autre consacré au Film d’Art… Notre dernier numéro réfléchit, lui, à l’impact de l’intelligence artificielle sur le traitement des archives cinématographiques… Nous sommes toujours très attentifs à nous inscrire dans les débats contemporains, notamment ceux qui ont une portée historiographique. C’est la vocation de notre rubrique « Point de vue ». Il y a aussi, dans ce dernier numéro, des articles sur des objets plus circonscrits. Elisabeth Magotteaux, doctorante, évoque, par exemple, la réception aux États-Unis du Ballet mécanique de Fernand Léger, réalisé en 1924. L’historien Jean-Pierre Berthomé revient, lui, sur le tournage d’Othello d’Orson Welles à travers le prisme des décors. Pour ce texte, un travail d’illustration très soigné a été réalisé avec un choix de photographies rares. Enfin notre rubrique « Archives » s’intéresse cette fois au travail du Français Georges Sadoul sur le cinéma brésilien en écho à l’année croisée France-Brésil.

La ligne éditoriale a-t-elle beaucoup évolué depuis sa création ?

Pendant longtemps, la revue s’est focalisée sur le cinéma des premiers temps, avec un intérêt marqué pour la question des avant-gardes. Cela a correspondu à une volonté dans les années 1990 d’accompagner un renouvellement historiographique du cinéma et de répondre aux questions archivistiques qui se sont posées. Nous sommes aujourd’hui de plus en plus attentifs à créer des ouvertures vers d’autres sujets plus contemporains. Nous préparons actuellement un numéro lié aux questions écologiques. Nous veillons à laisser s’exprimer des doctorants. Ce sont eux qui créent ce renouvellement.

Quel est le quotidien de l’AFRHC ?

Notre conseil d’administration se réunit six à sept fois par an. C’est un fonctionnement associatif assez classique. Lors de ces réunions, nous discutons notamment des questions éditoriales, liées à notre maison d’édition. Celle-ci propose plusieurs collections : histoire culturelle, correspondances, archives, focus… Nous publions trois à quatre ouvrages par an. Nous avons également en projet de créer un prix dédié aux travaux liés à l’histoire du cinéma. Depuis quelques années, nous organisons aussi un séminaire d’histoire du cinéma, véritable lieu d’échanges intellectuels. Les séances se déroulent à l’Institut National d’histoire de l’art (INHA), à Paris, et peuvent en même temps être suivies en direct, en ligne, pour les auditeurs qui ne peuvent s’y déplacer.

Y a-t-il d’autres projets de ce type ?

Deux membres du conseil d’administration ont récemment lancé les Ciné Book Clubs, un programme de rencontres en librairie autour de l’actualité éditoriale de l’histoire du cinéma. Il se tiennent pour l’instant à la librairie Autour du monde, à Metz. Depuis quatre ans, nous organisons également un cycle annuel de programmation intitulé "Ciné-Histoire" aux cinémas de Saint-Maur des Fossés (Le Lido et les 4 Delta), dans le Val-de-Marne. Enfin, nous réfléchissons en permanence à d’éventuels partenariats avec des colloques, des festivals, des salles art et essai dans lesquelles un de nos membres soulèverait autour d’un film des questions historiographiques ou historiennes. Plus globalement, la question qui nous anime est toujours la suivante : qu’est-ce qui rentre dans le champ de l’histoire du cinéma ? Cela nous oblige à repenser le sens de notre vocation, notre spécificité… Notre ambition est de rester ouvert au maximum.

Outre des universitaires, qui sont les membres de l’AFRHC ?

Beaucoup d’amateurs cinéphiles en constituent une partie non négligeable, qu’ils soient collectionneurs ou simplement férus d’histoire du cinéma. Il y a aussi des personnes qui travaillent directement au sein des archives, des milieux patrimoniaux. Certains universitaires à la retraite restent présents mais aussi des doctorants et des mastérants…

Les membres sont majoritairement français, y a-t-il également des étrangers ?

L’AFRHC est une association francophone. Nous avons logiquement des liens privilégiés avec la Suisse, la Belgique et le Canada. Ce qui n’empêche pas certains membres d’être américains, brésiliens ou anglais. Nous renforçons aussi nos liens avec l’Italie. Nous avons fêté les 40 ans de l’AFRHC conjointement avec les 60 ans de son équivalent transalpin, l’AIRSC (Associazione italiana per le ricerche di storia del cinema). Cet anniversaire a donné lieu à un colloque dont une journée s’est d’ailleurs tenue au CNC.

Quelle place occupe l’histoire du cinéma auprès des institutions aujourd’hui ?

L’histoire du cinéma n’existe pas d’un point de vue institutionnel, dans le sens où elle n’a pas de disciplines universitaires dédiées. Il n’y a pas de section « Histoire du cinéma » au Conseil national des universités, ni, à une exception près, de formation en histoire du cinéma à l’université. L’histoire du cinéma fait partie des études cinématographiques, et de l’histoire. Le 100e numéro de la revue 1895 histoire du cinéma a d’ailleurs été consacré à cette question : comment travaille-t-on à une histoire du cinéma, comment est-elle pratiquée, a-t-elle évolué ? Il convient dans nos travaux de respecter une méthodologie historienne. C’est ce qui fonde à la fois la spécificité et la légitimité de l’AFRHC.