Comment s’est faite la rencontre entre MK2 et Kleber Mendonça Filho ?
Yasmine Talli : Les discussions remontent à assez longtemps. Nous avions l’habitude, avec Nathanaël Karmitz, de rencontrer Kleber Mendonça Filho et Émilie Lesclaux, sa femme et productrice, à Cannes. Nos liens avec lui s’expliquent aussi par le fait que Kleber est très proche de l’exploitation cinématographique au Brésil, où il s’occupe d’un festival. Il y avait donc des discussions assez larges, qui ne concernaient pas que son travail, et qui nous ont permis de comprendre que nous avions de vraies affinités et que nous aimerions bien travailler ensemble dans un futur proche. La première rencontre a eu lieu à Cannes en 2022. En 2023, Kleber nous a dit qu’il avait écrit un scénario et qu’il cherchait des partenaires. Il nous a envoyé le scénario de L’Agent secret et, pour nous, ça a tout de suite été une évidence, d’abord pour les ventes internationales, l’activité principale de MK2 Films, mais aussi pour qu’il s’agisse de l’une de nos grosses coproductions de 2025. Le point de départ a donc été ce scénario. Ensuite, tout est allé vite. Entre Cannes 2023 et le tournage du film qui a eu lieu entre mai et août 2024, la période de financement a été assez courte. En France, nous avons obtenu l’Aide aux cinémas du monde, mais aussi la coproduction d’ARTE France Cinéma, puis Canal+ et Ciné+, ainsi qu’un apport important du distributeur Ad Vitam. Entre le financement du Brésil et celui de la France, il manquait encore un peu, et nous avons apporté la coproduction hollandaise et la coproduction allemande : Lemming Film pour la Hollande et One Two Films pour l’Allemagne.
Ce qui a rendu ce processus aussi facile, est-ce l’évidence du scénario, ou bien la stature acquise par Kleber Mendonça Filho au fil des ans ?
Les deux. Kleber est un réalisateur identifié. Beaucoup de personnes croient en son talent et estimaient qu’il avait la capacité d’aller encore plus loin en termes de reconnaissance, aussi bien en festival que sur le plan de la distribution internationale. Tout le monde a été convaincu que ce scénario-là, à ce moment-là de la carrière de Kleber, faisait particulièrement sens. Il faut noter aussi, après Je suis toujours là de Walter Salles, qu’il y a un vrai retour du cinéma brésilien, après des années compliquées sous la présidence de Jair Bolsonaro, où ils ont perdu de nombreuses possibilités de financements. Il y a un regain de vitalité, et ce scénario très ambitieux tombait à point nommé.
La présence en tête d’affiche d’un acteur renommé internationalement comme Wagner Moura a-t-elle également joué ?
Bien sûr. Il y a comme un alignement des planètes. Un réalisateur qui progresse dans sa carrière. Un scénario qui aborde des sujets contemporains, exprimés de manière très personnelle. Et le fait, en effet, que Kleber travaille pour la première fois avec un acteur certes brésilien, mais connu dans le monde entier, notamment grâce à son travail aux États-Unis. Tous ces facteurs se sont combinés.
Comment s’est déroulée la production du film ?
Kleber travaille avec des partenaires de longue date. La seule grande différence sur L’Agent secret, c’est qu’il a changé de chef opérateur. Il a collaboré cette fois avec Evgenia Alexandrova, une directrice de la photographie française dont il avait aimé le travail sur Sans cœur, réalisé par Nara Normande et Tião, et produit par Émilie Lesclaux. Le tournage au Brésil a été géré d’une main de maître par Émilie. Il y a encore un côté très artisanal dans leur manière de travailler. Ce qui a changé également pour Kleber, c’est la post-production, qui a été partagée entre la France, la Hollande et l’Allemagne. Kleber a collaboré avec des personnes avec qui il n’avait jamais travaillé, comme, en France, le mixeur Cyril Holtz, qui est aussi le mixeur de Jafar Panahi. L’étalonneur était en Allemagne, l’enregistrement des musiques avec un orchestre a eu lieu en Hollande… Kleber était d’abord un peu stressé de devoir se partager entre plusieurs pays, il avait peur d’une post-production morcelée, mais tout s’est bien coordonné et il a finalement été très satisfait.
La très bonne réception du film à Cannes a lancé la carrière internationale du film…
Comme Kleber était déjà allé plusieurs fois en compétition à Cannes, nous avions peu de doutes sur le fait que ce film pourrait y aller aussi. Nous avons vu les premières versions de montage en janvier et février. Ce que Kleber nous a alors montré était déjà très abouti, nous étions donc confiants sur la sélection cannoise. Cela a confirmé notre stratégie, qui consistait à montrer et à vendre le film à Cannes. Nous avions montré un promo reel à Berlin, qui avait déjà très bien marché, et nous avait permis de pré-vendre le film à quelques distributeurs, ce qui nous a donné une certaine garantie. À Cannes, le film a été très bien reçu. Le fait que Neon ou Mubi s’intéressent au projet l’a fait rentrer dans une autre catégorie avec des répercussions sur les distributeurs dans les autres pays. En termes de distribution, cela a été une success story. Le film a commencé par sortir en novembre au Brésil, puis aux États-Unis, au Portugal, en Allemagne, et en France cette semaine… Tout s’enchaîne très vite, Kleber est très pris par la campagne pour les Oscars [L’Agent secret représente le Brésil à la 98e cérémonie des Oscars, qui se tiendra le 15 mars 2026 à Los Angeles – NDLR]. Le film a gagné des prix au New York Film Critics Circle, il est nommé aux Golden Globes… Tout cela est de très bon augure pour les Oscars en mars prochain.
Comment coproduire à l’international tout en faisant entendre la voix française d’un film ?
Kleber est très lié à la France, ne serait-ce que parce que sa femme est française et que leurs enfants grandissent entre ces deux cultures. Il se reconnaît aussi dans la culture française de la cinéphilie. Il reste cependant très attaché à la ville de Recife et à la région du Nordeste, il n’y a rien de français dans le sujet de L’Agent secret. Mais la participation de techniciens français comme Cyril Holtz a apporté quelque chose de neuf à la réflexion de Kleber. Et le fait qu’un film au sujet aussi important puisse être fait grâce à des fonds français est extrêmement précieux.
L’AGENT SECRET
De Kleber Mendonça Filho
Scénario : Kleber Mendonça Filho
Production : MK2 Productions, CinemaScópio, Arte France Cinéma
Distribution : Ad Vitam
Ventes internationales : MK2 Films
Sortie le 17 décembre 2025
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