L’aventure de « Capitaine Conan »

L’aventure de « Capitaine Conan »

14 octobre 2021
Cinéma
Capitaine Conan marque l'un des sommets de l'œuvre de Bertrand Tavernier.
Capitaine Conan marque l'un des sommets de l'œuvre de Bertrand Tavernier. Tamasa
Alors que le festival Lumière de Lyon vient de rendre un bouleversant hommage à Bertrand Tavernier, retour sur l’un des sommets de sa carrière, sorti il y a tout juste vingt-cinq ans, le 16 octobre 1996.

Bien avant d’être un film, Capitaine Conan fut d’abord un roman historique signé Roger Vercel, récompensé du prix Goncourt en 1934. Une plongée au cœur des Balkans en septembre 1918 où, alors que l’armistice vient d’être signé pour mettre fin à la Première Guerre mondiale, l’Armée française d’Orient n’est pas démobilisée. Ses troupes continuent à semer le désordre, à piller et à tuer. Dans ce chaos généralisé, un jeune diplômé en lettres, Norbert, va avoir la délicate mission de faire condamner les coupables, les soldats de son ami, le capitaine Conan, héros de guerre à qui l’on doit la prise périlleuse du mont Sokol et qui va défendre ses hommes envers et contre tout.

À travers ce livre, Vercel mêlait fiction (les personnages de Conan et Norbert) et récit autobiographique inspiré par ce qu’il avait lui-même vécu sur le front oriental. Bertrand Tavernier avait découvert et dévoré cette œuvre dans sa jeunesse, le temps d’un voyage en train. Elle va refaire surface dans sa mémoire à la fin des années 80, après la sortie de La Vie et rien d’autre, dans lequel le cinéaste mettait en lumière une autre vérité longtemps cachée de ce premier conflit mondial : les 350?000 hommes toujours portés disparus deux ans après la fin de la guerre. Et ce, grâce à un échange avec son scénariste Jean Cosmos au cours duquel ils se découvrent un amour commun pour le roman de Vercel. Chez Cosmos, il fait écho à son père – qui le lui avait fait découvrir – brisé physiquement par la guerre dont il était revenu avec une grave maladie pulmonaire. Chez Tavernier, adapter ce livre est un moyen de dénoncer d’autres scandales de soldats obligés de se battre alors que les conflits ont cessé, comme cela a pu se produire lors la guerre d’Algérie (à laquelle il a d’ailleurs consacré un remarquable documentaire, La Guerre sans nom, en 1992).

Tavernier se lance dans l’aventure de Capitaine Conan au milieu des années 90, alors qu’il vient de remporter l’Ours d’or à Berlin pour L’Appât. Un film de guerre ? Oui, mais pas seulement, comme il le précisait à l’époque dans le magazine Première.

Il y a bien des scènes de bataille au début et à la fin, mais, entre-temps, le film parle d’autres choses : de justice, de responsabilité et surtout de l’effet des guerres sur ceux qui les ont vécues intensément et qui, une fois que l’arbitre a sifflé, ne savent plus quoi faire.
Vincent Tavernier dans Première

 Pour lui, Conan est aussi et surtout un film d’une triste actualité, dressant un parallèle évident à ses yeux entre ses personnages et les appelés revenant, dans les années 90, de la guerre en Bosnie. Pour autant, il ne fait pas l’impasse sur les scènes de guerre. Il les construit même méticuleusement après avoir revu l’un de ses films favoris, La Bataille de San Pietro, un documentaire signé John Huston en 1945. Comme l’a fait à l’époque le cinéaste américain, Tavernier va demander à son directeur de la photo Alain Choquart que, dans chaque scène de bataille, la caméra soit toujours au milieu des soldats, que jamais elle ne s’en éloigne par un mouvement de travelling. Et il va préciser aux comédiens qu’une fois l’action lancée, ils devront continuer de jouer, quoi qu’il arrive, tant que n’est pas donné le signal d’arrêter, afin de coller au maximum à la véracité de la guerre. Pour que ses acteurs soient prêts à ce défi physique, il leur a organisé, en amont du tournage, un mois de préparation sous les ordres d’un ancien chef de commando en Algérie. Sur le plateau, Tavernier va refuser toute violence chorégraphiée pour filmer la réalité crue, la vitesse de l’action dans le combat, où personne n’a le temps de voir réellement qui s’effondre en sang à côté de lui. La vitesse, le maître-mot du travail de Choquart dans ces scènes, avec comme objectif d’être aussi rapide que les acteurs.

Pour son casting, Bertrand Tavernier a choisi pour le rôle-titre un comédien de la Comédie-Française dont la prestation en Monsieur Diafoirus dans Le Malade imaginaire lui avait tapé dans l’œil : Philippe Torreton. Après l’avoir fait débuter au cinéma dans L627 (1992), puis lui avoir confié le rôle du chef de la police dans L’Appât (1995), Tavernier va le propulser sur le devant de la scène avec un personnage qui vient percuter d’une certaine manière la propre histoire familiale du comédien. Le père de Torreton, alors tout jeune sous-officier, fut en effet l’un des rares rescapés de Diên Biên Phu et lui a d’ailleurs confié, pour qu’il prépare son rôle, des liasses de lettres et de poèmes qu’il avait écrits sur le front. Face à lui, pour camper Norbert, l’ami diplômé en lettres enquêtant sur les dérives des hommes de Conan, le cinéaste fait appel à un autre membre de la Comédie-Française, vu dans des petits rôles chez Catherine Breillat (Sale comme un ange), Krzysztof Kieslowski (Rouge) ou Régis Wargnier (Une femme française) : Samuel Le Bihan. Et autour d’eux, il réunit une galerie de seconds rôles plus savoureux les uns que les autres, de Bernard Le Coq à Claude Rich, en passant par François Berléand ou André Marcon.

À sa sortie, le 16 octobre 1996, Capitaine Conan réunira un peu plus d’un demi-million de spectateurs avant de triompher quelques mois plus tard lors de la cérémonie des César. Vingt et un ans après celui pour Que la fête commence…, Bertrand Tavernier y reçoit (ex aequo avec Patrice Leconte pour Ridicule) le second de ses deux César du meilleur réalisateur (il s’était aussi imposé en scénario en 1977 avec Le Juge et l’Assassin et en adaptation en 1985 avec Un dimanche à la campagne). Philippe Torreton, lui, est sacré meilleur acteur, face à Daniel Auteuil (pourtant primé à Cannes pour sa composition dans Le Huitième Jour) et à Fabrice Luchini (Beaumarchais, l’insolent).

Capitaine Conan

De Vincent Tavernier
Scénario de Bertrand Tavernier et Jean Cosmos
Avec Philippe Torreton, Samuel Le Bihan, Bernard Le Coq
Photographie : Alain Choquart
Musique : Oswald d'Andréa
Décors : Guy-Claude François
Distribution : Tamasa