« Le Jardin des Finzi-Contini » ou le temps des morts

« Le Jardin des Finzi-Contini » ou le temps des morts

07 décembre 2020
Cinéma
Le Jardin des Finzi-Contini de Vittorio De Sica
Le Jardin des Finzi-Contini de Vittorio De Sica CCC filmkunst - Documento Films - Les Films du Camélia

Le chef-d’œuvre crépusculaire de Vittorio De Sica adapté du roman de Giorgio Bassani, avec Dominique Sanda et Helmut Berger, fête ses 50 ans. Retour sur un film fiévreux et désespéré où planent les fantômes du fascisme.


Le Roman de Ferrare

Publié en 1962 en Italie, Le Jardin des Finzi-Contini est un roman de l’Italien Giorgio Bassani. L’auteur d’origine juive est né à Bologne en 1916 mais a grandi à Ferrare, ville qui sert de cadre à l’intrigue du livre. Le Jardin des Finzi-Contini appartient d’ailleurs à un cycle baptisé Le Roman de Ferrare, tout comme La Longue Nuit de 43, adapté au cinéma en 1960 par Florestano Vancini et le recueil de nouvelles, Les Lunettes d’or porté également à l’écran en 1987 par Giuliano Montaldo. Victime des lois raciales en 1938 et militant antifasciste, Bassani publie ses premiers écrits sous le pseudonyme de Giacomo Marchi. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, il s’installe à Rome et tente sa chance dans le cinéma. Il collabore notamment en tant que scénariste à l’écriture de Senso de Luchino Visconti, La Belle Romaine de Luigi Zampa ou encore à cinq longs métrages de Mario Soldati dont La Marchande d’amour. Giorgio Bassani, décédé en 2000 à l’âge de 84 ans, est toujours resté très critique à l’encontre de l’adaptation du Jardin des Finzi-Contini par Vittorio De Sica, ce dernier ayant pris – selon l’auteur – trop de libertés par rapport à son roman avec notamment la réécriture complète de la tragédie finale.

Une jeunesse dans la tourmente

Le Jardin des Finzi-Contini raconte la fin d’un monde. Nous sommes en 1938 et toute l’Italie s’est mise peu à peu au pas du fascisme. À Ferrare, dans le nord du pays, il règne encore une douce torpeur comme si le monde s’était engourdi pour mieux se protéger des fracas extérieurs. Dans la belle demeure des Finzi-Contini, riche famille aristocratique de la région, une jeunesse insouciante continue de passer des après-midis à folâtrer et jouer au tennis. Parmi eux, il y a Giorgio (Lino Capolicchio) amoureux fou de son amie d’enfance, Micòl Finzi-Contini (Dominique Sanda). Bientôt, la violence du monde va briser le calme apparent et cet été sans fin va s’enfoncer dans un hiver glacial. Le groupe va imploser. Les visages déformés par la peur vont s’effacer et disparaître dans les limbes du souvenir. Comme l’écrit Giorgio Bassani dans l’épilogue de son roman : « Même dans une ville aussi petite que Ferrare on parvient très bien, si on le veut, à disparaître pendant des années et des années les uns pour les autres, à cohabiter ensemble comme des morts. »

Les ombres de Fritz Lang et de Valerio Zurlini

Peu après la publication du roman de Giorgio Bassani, la Documento Films lance son adaptation cinématographique. La société de production italienne spécialisée dans les comédies et les films d’aventures s’associe avec une compagnie allemande et notamment le producteur Artur Brauner. Brauner, d’origine polonaise est alors connu pour avoir supervisé les derniers films de Fritz Lang : Le Tombeau hindou, Le Tigre du Bengale, Le Diabolique Docteur Mabuse. L’homme décide de confier la réalisation du film à Valerio Zurlini (Été violent, La Fille à la valise, Le Désert des Tartares...) qui travaille alors avec le scénariste de Barbarella, Vittorio Bonicelli. Mais Zurlini abandonne rapidement le projet pour des raisons de santé. La production se tourne alors vers Vittorio De Sica.

Une actualité violente

Lorsqu’il accepte de se lancer dans l’aventure, Vittorio De Sica a bientôt 70 ans. L’homme, également acteur, a été l’un des fers de lance du néo-réalisme (Le Voleur de bicyclette, Umberto D...) et un adepte de la comédie à l’italienne (Hier, aujourd’hui et demain, Mariage à l’italienne...) À la fin des années 60, il a déjà obtenu trois Oscars du meilleur film étranger et s’apprête à en recevoir un quatrième pour Le Jardin des Finzi-Contini. À la lecture du roman de Giorgio Bassani, De Sica y voit d’emblée des résonances avec le présent : « Nous avons supporté le monstre du fascisme durant vingt ans, connu une guerre non voulue et assisté au massacre de sept millions de juifs, et voilà qu’en Italie, certains jeunes arrivent avec des attitudes fascistes, des chants fascistes... Aussi, il m’a semblé nécessaire de rappeler aux uns ou d’apprendre aux jeunes ce que furent les années 40 en Italie. »

Succès

Avec Le Jardin des Finzi-Contini, Vittorio De Sica retrouve les faveurs du public et d’une critique qui ne croyait plus le revoir atteindre de tels sommets d’inspiration. Le film sort en Italie à la fin de l’année 1970 et connaît un grand succès. Le public français attendra un an pour le découvrir. Entre-temps, le film aura remporté l’Oscar du meilleur film étranger et l’Ours d’or au Festival de Berlin. Le Jardin des Finzi-Contini permet à son actrice principale, la Française Dominique Sanda – 19 ans à l’époque, déjà vue chez Robert Bresson (Une femme douce) et Bernardo Bertolucci (Le Conformiste) – de véritablement lancer sa carrière. La grande puissance du film réside également dans sa photographie. La lumière du chef opérateur Ennio Guarnieri – qui venait de signer celle du Médée de Pier Paolo Pasolini – parvient, en effet, à capturer la beauté fragile d’un moment que l’on sait fugace.