Le procédé autochrome, patrimoine oublié du cinéma

Le procédé autochrome, patrimoine oublié du cinéma

17 août 2023
Cinéma
Frères Lumière
Frères Lumière TCD

Parmi la pléthore d’inventions que l’on doit aux frères Lumière, l’autochrome est l’une des plus méconnues. Retour sur un procédé révolutionnaire qui a loupé le coche du Septième Art.


Contrairement aux idées reçues, la couleur au cinéma est arrivée bien avant la seconde moitié du XXe siècle. Dans les années 1910, Gaumont lance ainsi le chronochrome, fonctionnant avec un système de filtres. Dès les années 1930, l’avènement du technicolor dit trichrome (en raison des trois négatifs placés dans la caméra) pare les films de couleurs flamboyantes. Walt Disney figure parmi les précurseurs de cette technique qu’il utilise pour deux de ses courts métrages et son tout premier long : Blanche-Neige et les Sept Nains. D’autres lui emboîteront le pas comme Victor Fleming avec Le Magicien d’Oz ou encore Michael Powell et Emeric Pressburger, réalisateurs des Chaussons rouges et du Narcisse Noir. Caractérisée par des teintes vives et un flou marqué sur les arrière-plans, cette technique s’avère un succès commercial retentissant, jusqu’à sa disparition au début des années 1960. Une trajectoire radicalement différente du film autochrome, un temps pressenti comme l’avenir de la couleur au cinéma.

Parmi les quelques 180 brevets déposés par Auguste et Louis Lumière, l’autochrome reste pourtant une avancée majeure dans le domaine photographique. Pensée pour simplifier le processus trichrome traditionnel, il est le premier procédé industriel de photographie couleur (breveté en 1903 et commercialisé quatre ans plus tard). Afin de créer l’illusion de couleur, les frères Lumière tablent sur la synthèse additive, encore utilisée de nos jours dans les téléviseurs cathodiques et les vidéoprojecteurs. Cette technique s’appuie sur la combinaison de plusieurs sources colorées (fréquemment rouge-vert-bleu) dans le but de faire naître une palette infiniment plus large.

En pratique, l’autochrome est réalisé grâce à une plaque de verre sur laquelle sont disposés des millions de grains de fécule de pomme de terre et trois pigments complémentaires (orangé, vert, bleu). Ces particules microscopiques ainsi colorées sont recouvertes d’un vernis protecteur et d’une émulsion photographique sensible à la lumière. Lorsque cette plaque est placée dans l’appareil photographique, la lumière va activer l’émulsion et ne révéler que les grains qui correspondent à la couleur du sujet. Comme le dit le manuel des usines Lumière : « Supposons que le sujet soit vert : l’émulsion ne subira l’action de la lumière que derrière les grains de fécule verts. Les grains orangés et violets arrêteront à peu près complètement la lumière. » Cela donne une image à cheval entre la photographie et la peinture pointilliste. Cette impression est intimement liée à sa composition hétérogène, facilement discernable dans le détail. 

Exemple de photo autochrome Le Chronoscaphe
Cette photographie autochrome était intégrée aux Visions d’Orient que Jules Gervais-Courtellemont projetait dans le cadre des séances du Film d’Art, salle Charras à Paris en 1908-1909.Cinémathèque Robert-Lynen de la Ville de Paris

En dépit de sa popularité, notamment pour documenter la vie dans les tranchées durant la Première Guerre mondiale, l’autochrome n’a pas connu une transition facile sur la toile. Au début des années 1930, les frères Lumière, décidés à offrir ce procédé au cinéma, inventent le Filmcolor puis le Lumicolor. Ces deux procédés appliquent la technique autochrome à la pellicule, mais souffrent de défauts majeurs. Temps d’exposition très long, difficulté de capter le mouvement… Les problèmes techniques sont bien trop nombreux pour en faire un concurrent sérieux du Technicolor.

Outre ces inconvénients, les films tournés en Filmcolor et Lumicolor ne brillent pas par leur rendu sur l’écran. Un problème relevé par François Ede, directeur de la photographie, auteur et spécialiste de la couleur au cinéma. « Si le procédé autochrome avait un très beau rendu sur plaques de verre de format 9 x 12 cm, il en allait tout autrement sur un négatif 35mm ». En effet, le fourmillement des grains projetés rend l’image sur grand écran particulière. François Ede précise : « Le procédé en est resté à un stade expérimental de même que le Keller Dorian qui utilisait le film lenticulaire, alors que le procédé Technicolor trichrome allait conquérir le marché quelques années plus tard. »

L’autochrome appliqué au Septième Art a connu une dernière tentative avec l’Alticolor, au milieu des années 1950. Les pellicules qui témoignent de cette phase expérimentale du cinéma sont désormais rarissimes, de même que les techniciens capables de leur redonner vie. Parmi les laboratoires contactés pour cet article, aucun ne travaille actuellement sur des restaurations de cette nature.  Aujourd’hui, seul le CNC détient des films autochromes. Le film autochrome semble n’être plus que le vestige d’une technologie toujours déjà obsolète.